La SCAM (Société civile des auteurs multimédias) réalise tous les cinq ans une grande enquête sur la condition des journalistes, la dernière décrit la situation de 2018 en la comparant à celle de 2013. Plus de 3700 journalistes ont répondu à l’enquête menée par Béatrice de Mondenard.
La précarité gagne du terrain
Ils ne sont plus que 56% (contre 62% cinq ans auparavant) à bénéficier d’un statut permanent. Au même moment le statut de pigiste fait un bon de 28 à 42%.
Le statut d’auteur (rémunéré en droits d’auteur), l’auto-entrepreneuriat, l’intermittence et le travail indépendant, cumulés atteignent 27% des sondés.
Le total est supérieur à 100% car un grand nombre cumule plusieurs statuts. Comme le dit une journaliste de presse écrite « Le statut d’autoentrepreneur pousse les sociétés à virer les vieux encartés pour faire trimer les jeunes payés sur facture et éviter ainsi de payer l’Ursaff ». Comme 2000 à 2500 nouveaux diplômés entrent dans la profession chaque année contre 500 départs à la retraite, la précarité croît avec la concurrence. Une telle situation n’encourage pas à l’indépendance d’esprit. Un jeune journaliste non conformiste hésitera à exercer son métier dans le sens du pluralisme, sous peine de se voir indiqué gentiment la porte de sortie.
Deux pigistes devenues prestataires pour Reworld Media (qui a racheté les périodiques de Mondadori en France) témoignent de leurs difficultés. La première après 22 ans de piges n’est plus en relation avec un rédacteur en chef mais avec un coordinateur média qu’elle n’a jamais rencontré et qu’elle ne connaît que par courriel. La seconde perçoit 15€ nets par feuillet et précise « on ne me demande ni de réfléchir, ni d’avoir des idées. Les sujets sont très dirigés avec des mots à mettre dans le chapeau, un déroulé à suivre, parfois ce sont des phrases entières qui sont imposées… J’ai l’impression de fournir du contenu, de remplir ». Le correspondant de presse local est encore plus mal loti : 1€50 la brève, 27€ pour un article d’une page avec photo. France 24 ne salarie plus aucun de ses correspondants à l’étranger, mais les rémunère sur facture via des sociétés tierces qui récupèrent une partie significative de la marge.
Soulignons que pour les nouveaux entrants (premières demandes de carte de presse), les statuts précaires ont explosé. Ils sont passés de 30% en 2001 à 50% en 2009 et 70% en 2018.
Rémunérations : le grand écart
Les revenus annuels déclarés n’augmentent pas en cinq ans, les deux-tiers se situent entre 20K€ et 60K€ mais avec de grandes disparités.
Pour les moins de 35 ans la moitié gagne moins de 20K€ par an et un cinquième sont en dessous du SMIC. Chez les plus de 50 ans, embauchés à une meilleure période, le revenu moyen est environ de 40K€ (les statistiques sont présentées par tranches). Pour les non permanents toutes classes d’âges confondues, la moitié gagnent moins de 20K€ et un quart sont au SMIC. Rappelons qu’un jeune journaliste débute généralement à bac +5.
Les activités extra- journalistiques se développent en parallèle, plus de la moitié des indépendants y ont recours : communication, formation, enseignement, traduction, édition et même immobilier via Rbnb. Un critique de cinéma explique que certains médias spécialisés ne paient pas du tout: y écrire permet d’accéder aux projections. Il se reconvertit dans l’organisation de festivals.
Au total à la question « Au cours des cinq dernières années, considérez-vous que l’exercice de votre métier s’est amélioré, maintenu ou dégradé ? »
74% répondent « dégradé ». Peu étonnant quand on sait que les tâches annexes imposées au rédacteur se sont multipliées : photographe, vidéaste, monteur, secrétaire de rédaction etc. De quoi miner une information de qualité comme le note un journaliste en chaine info: « on n’a pas le temps de vérifier, de réfléchir ». En guise de conclusion, le témoignage d’un journaliste de presse écrite de 44 ans :
« Je fais ce métier avec passion, depuis plus de vingt ans. Lorsque j’ai débuté, on me demandait d’écrire pour des lecteurs, aujourd’hui pour des clients ».