Première diffusion le 13/05/2019
La revue Éléments, devenue bimestrielle il y a quelques années, connaît un bel épanouissement avec une jeune rédaction sous la direction du tandem François Bousquet/Pascal Eysseric. Éléments, publié dans discontinuer depuis 1972, veut « gagner le combat culturel » (éditorial du numéro 176, février/mars 2019). De quoi provoquer des aigreurs dans le monde libéral-libertaire dont le quotidien du soir est un des dignes défenseurs. Décryptage.
Argument d’autorité
Pour attaquer une idée, un mouvement, une personne, un des angles est le « recours à l’expert ». Qu’importe la qualification de « l’expert », seule l‘étiquette compte et non le contenu. En l’espèce prenez un fort obscur politiste enseignant à Perpignan (que mes amis de Perpignan ne voient là nul signe d’ostracisme, nous aimons la ville et ses habitants, mais Perpignan n’est pas encore considéré comme un centre international de sciences politiques) alias Jean Jacob, Gégé pour les intimes. Dans la rubrique Opinion, Gégé publie une tribune le 9 mai 2019 sous le titre « L’allure plaisante de la revue Éléments dissimule son réel ancrage à l’extrême droite ». Diantre, l’affaire est sérieuse et mérite examen.
Concurrence déloyale
Après quelques compliments de forme, « allure plaisante », « a su attirer de nombreux intellectuels de premier plan », le rideau est levé, la revue « dissimule ». Ses débuts furent extrêmes, nous citons « posture héroïque, éloge des différences contre l’égalitarisme niveleur, rappel des indépassables déterminismes génétiques, révolution conservatrice, grande Europe ». On voit mal pourquoi l’éloge des héros (Homère), celle des différences, la simple évidence de certains déterminismes génétiques, la révolution même conservatrice ou le souci d’une grande Europe (Luc Ferry, vient de faire référence à une « Europe puissance » dans un numéro récent du Figaro) seraient signes de radicalité, mais glissons puisque l’ami Gégé ne les signale qu’au passé.
Le vrai péché est ailleurs, celui de curiosité intellectuelle, facteur aggravant, une curiosité contemporaine, curiosité du monde tel qu’il est au XXIème siècle. La revue aurait abordé des domaines nouveaux que l’on devine interdits aux intrus, entendez par là tout intellectuel n’appartenant pas au monde libéral-libertaire. Par exemple aborder « la marchandisation du monde, les ravages du capitalisme, se soucier d’écologie et dénoncer les hypocrisies contemporaines au profit de la recherche d’un monde moins égoïste ». Il y a de quoi déconcerter un chercheur, même sous le beau soleil de Perpignan. Et de voir là une sorte de concurrence déloyale dans des domaines réservés jusqu’ici à la gauche conformiste. Quand un monopole est attaqué, il défend ses parts de marché en s’indignant de la nouvelle concurrence, déloyale par essence puisque marchant sur des plate bandes jusque là soigneusement balisées.
Cordon sanitaire
Et l’ami Gégé de se lamenter, Michel Onfray, Alain Finkielkraut, Antoine Compagnon, Pierre Manent, Jacques Julliard, Marcel Gauchet, Bernard Langlois (fondateur et ancien directeur de l’hebdomadaire Politis), Serge Latouche, le théoricien réputé de la « décroissance mais aussi Natacha Polony, Olivier Rey ou encore Christophe Guilluy se sont exprimés dans Eléments ou ont fait l’objet d’un entretien. Toutes personnalités que « le fait de converser avec la nouvelle droite ne semble guère rebuter ». Rappelons le titre de la tribune « ancrage à l’extrême-droite », Gégé fait retomber brutalement le rideau qu’il avait levé : le terme diabolisant « extrême-droite » fonctionne comme un exorcisme. Le cercle de feu doit être établi autour du possédé. Au fond Gégé ne regrette qu’une chose, que le débat ne puisse s’établir comme avant, comme toujours, entre gens qui partagent les mêmes opinions et les mêmes intérêts.
Fricoteur et marotte
Le Littré indique pour fricoteur, « Celui qui aime à fricoter, mauvais cuisinier » et pour marotte « Attribut de la Folie, c’était celui des fous des rois ». Pour appuyer ses propos le doux Gégé a sa marotte et son fricot. La marotte c’est de lire entre les lignes et de voir par exemple dans la revue l’apologie d’un « monde … mû par la force brute qui jaillit de la vie ». Citation de la tribune du Monde que l’on aurait du mal à retrouver dans la revue, mais la « force brute » ne peut qu’inquiéter. Le fricot c’est de débusquer un entretien de 2007 d’Alain de Benoist dans une revue identitaire puis de trouver une mention du philosophe douze ans plus tard dans la même revue en y adjoignant une citation peu compréhensible sur le slogan « CRS=SS ».
Le mieux pour parler d’une revue intellectuelle serait sans doute de la lire sérieusement. Gégé tout à son fricot se laisse emporter par sa passion réductrice, mais à force de réduire sa sauce tourne et devient aigre. Le plat est renvoyé en cuisine : immangeable.
Éléments pour la civilisation européenne (“Le magazine des idées”), numéro 177, avril-mai 2019, dossier sur Étienne Chouard et les 36 familles du populisme, 96 p, 6.90 €. Site internet : revue-elements.com