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France 5 contre la fabrique du mensonge. Épisode 4, Hillary Clinton et le pizzagate

29 mai 2019

Temps de lecture : 6 minutes
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France 5 contre la fabrique du mensonge. Épisode 4, Hillary Clinton et le pizzagate

Temps de lecture : 6 minutes

Les deux premiers épisodes de la série de France 5 prétendument consacrée aux infox, le brexit et l’ombre russe, montraient comment les médias officiels fabriquent la vérité qu’ils veulent promouvoir. Puis est venu un épisode sur les vaccins et la folie consistant à ne pas leur trouver que des bienfaits. La « fabrique du mensonge » se penchait aussi sur cette malheureuse Hillary Clinton, vaincue lors des présidentielles américaines par tous les super-vilains du monde, à commencer par BadTrump. Analyse, épisode 4, de la série de France 5 qui voit des infox partout sauf dans ses propres programmes.

Après avoir pré­ten­du démon­tr­er une « influ­ence » déter­mi­nante des infox ayant con­duit le Roy­aume-Uni au brex­it, une ingérence russe dans la cam­pagne prési­den­tielle améri­caine de 2016, puis, dans un évi­dent but d’amalgame, le rôle nocif de ceux qui s’opposent aux vac­cins, France 5 pour­suiv­ait sa traque de l’infox sup­posée en s’intéressant au « Piz­za­gate : Hillary face aux com­plots ». L’aspect ami­cal des médias français à l’égard de Madame Clin­ton se pro­longe donc, laque­lle est automa­tique­ment désignée par son prénom. Ce fait per­met de mesur­er l’immensité de la décep­tion causée par l’élection de Trump (les mêmes médias désig­nant ain­si le prési­dent américain).

Hillary, victime du gang des pizzas ?

Les faits : début décem­bre 2016, un homme armé d’un fusil ouvre le feu dans une pizze­ria de Wash­ing­ton. On le dit influ­encé par une théorie du com­plot visant la can­di­date Hillary Clin­ton : il vient véri­fi­er la rumeur selon laque­lle ce restau­rant serait impliqué dans une alam­biquée et peu crédi­ble affaire de pédophilie. Il y aurait der­rière cette « cou­ver­ture » une sorte de groupe sataniste pédophile impli­quant le directeur de cam­pagne d’Hillary Clin­ton, et donc cette dernière par ric­o­chet. Le pro­prié­taire de la piz­zéria a la par­tic­u­lar­ité d’être l’un des plus impor­tants leveurs de fond de la cam­pagne démoc­rate à l’échelle de l’État. Quelques man­i­fes­tants vien­nent devant le mag­a­sin, cela s’agite sur les réseaux com­plo­tistes, aux forums emplis en per­ma­nence du même faible nom­bre d’intervenants tou­jours iden­tiques, à l’échelle améri­caine, et obsessionnels.

L’infox n’aurait pas dû avoir plus d’impact que cela… sauf que, comme d’habitude, elle a été relayée, out­re par les sites com­plo­tistes, par les médias offi­ciels qui, du coup, sont les véri­ta­bles prop­a­ga­teurs de ce type de fauss­es nou­velles : que ne les lais­sent-elles pas à leur place ? Dans les bas-fonds d’un web sur lesquels tout électeur n’a pas les yeux sans cesse rivés ? Et donc : pourquoi les dif­fusent-elles en leur don­nant une cham­bre d’écho qu’elles ne devraient pas avoir ? Cela vaut encore pour France 5 en ce mois d’avril 2019. Pourquoi s’y intéress­er ? Des élec­tions peut-être ?

La fabrique de France 5 :

→ la parole est immé­di­ate­ment don­née au con­seiller médi­a­tique d’Hillary Clin­ton. Elle ne sera don­née qu’aux ten­ants d’une manip­u­la­tion en forme de piz­za con­tre Hillary Clin­ton, jamais au camp opposé.

→ Google est accusé de favoris­er, par son fonc­tion­nement de référence­ment, la prop­a­ga­tion de ce genre d’infox. La ques­tion est donc posée : Google ne devrait-il pas exercer un con­trôle sur ce qu’il diffuse ?

→ aux orig­ines de l’affaire ? Une autre affaire : wik­ileaks qui dévoile des mes­sages piratés sur les comptes de l’équipe de Clin­ton. Il y a des mes­sages du directeur de cam­pagne, et cela se pro­duit 48 heures avant le 2e débat prési­den­tiel. Un mail qui évoque un mou­choir oublié, avec… un plan indi­quant l’emplacement d’une piz­zéria. Podes­ta, directeur de la cam­pagne, serait l’incarnation de tout ce que détesterait « l’extrême droite améri­caine », ayant servi Bill Clin­ton puis Oba­ma, homme de la côte Est. La séman­tique ici est intéres­sante : le doc­u­men­taire com­mence alors à utilis­er les mots « com­plo­tistes », « extrême droite » et « militants/soutiens de Trump », comme des synonymes.

→ le doc­u­men­taire mon­tre que depuis plusieurs mois Madame Clin­ton est l’objet d’infox « relayées sur le web par les par­ti­sans de Trump ». Quid des infox relayées sur le web durant la même péri­ode par les par­ti­sans de Clin­ton ? A quand un épisode de cette série ?

→ ce sont « des mil­i­tants fana­tiques », qui croient « réelle­ment faire preuve d’esprit cri­tique, dans la logique des lanceurs d’alerte ».

→ Piz­za sig­ni­fierait « filles », un autre mot « sperme ». Tout cela est évidem­ment déli­rant. Il est tout aus­si déli­rant de ne pas imag­in­er que d’étonnantes pra­tiques exis­tent : un exem­ple con­cret par exem­ple, avec les « marchan­dis­es » com­mandées par les proches de Strauss-Kahn en France.

→ la rumeur explose autour d’un « réseau de pédophilie grav­i­tant autour d’Hillary Clin­ton », tweet dif­fusé par un faux pro­fil, « piloté par un supré­maciste blanc » (pas plus de pré­ci­sion sur ce per­son­nage ?). Nous y sommes : un autre supré­maciste blanc, bien plus influ­ent dans ces milieux (qui ont quelle influ­ence réelle ? Le doc­u­men­taire ne le pré­cise pas) « analyse » le mail de Podes­ta et pré­tend démon­tr­er la réal­ité d’un scan­dale pédophile. C’est forte­ment retwit­té et l’infox monte dans le référence­ment Google. L’infox est en même temps relayée par un com­plo­tiste influ­ent, Alex Jones, nous dit le doc­u­men­taire. C’est ensuite présent sur Fox News. Pas de hasard, c’est BuzFeed qui révèle la théorie et… la dif­fuse encore plus, « à par­tir d’une inten­tion louable » dit le doc­u­men­taire. Un Buz­zfeed lui-même inven­teur réguli­er de fauss­es nou­velles.

→ le reportage ne s’arrêtera pas à l’élection de Trump. Il vise plus loin, et pose en con­clu­sion sa vraie ques­tion : « pour enray­er une telle théorie du com­plot (com­pren­dre pour que Clin­ton soit élue), Google n’aurait-il pas dû déréférencer les sites com­plo­tistes ? », autrement dit manip­uler l’opinion par le biais des moteurs de recherche afin que la « bonne can­di­date » soit élue. France 5 ne paraît pas s’apercevoir de ce que son doc­u­men­taire implique.

Don­ald Trump est élu le 8 novem­bre 2016 : « la pire nuit de ma vie », indique le con­seiller médi­a­tique de Clin­ton. Il ose une com­para­i­son : « Votre stade de France con­tient 80 000 per­son­nes, imag­inez que l’on fasse chang­er leur vote à 40 000 d’entre eux. Eh bien ce sont ces 40 000 votes qui nous ont man­qués ». Ah bon ? Il n’y aurait aucune rai­son de l’échec des démoc­rates à chercher dans les poli­tiques d’Obama, de Clin­ton, des élites des côtes Est et Ouest ? Dans le mépris, lequel n’a rien d’une infox, quand Hillary Clin­ton par­le des « déplorables » ? Dans les bilans économiques et poli­tiques. Non, sem­ble-t-il : les défaites libérales-lib­er­taires résul­tent de manip­u­la­tions, d’infox, d’ingérences, de délires con­spir­a­tionnistes, jamais du bon sens des électeurs. Le doc­u­men­taire n’évoque jamais d’autres affaires, liées à la famille Clin­ton, comme celle de la fel­la­tion de Bill Clin­ton dans le bureau ovale. Aujourd’hui, une affaire pareille serait com­bat­tue par Buz­zfeed et CNN, au nom de la théorie du com­plot et de l’infox, et ferait l’objet d’un doc­u­men­taire sur France 5, afin d’en démon­ter les rouages manipulatoires.

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