Il n’est pas toujours facile d’être journaliste entre pressions économiques, pressions politiques, pressions du milieu, sans doute encore moins en Russie qu’ailleurs, même si la réalité éditoriale est plus contrastée que la doxa ne le dit. L’aventure d’Ivan Golounov, journaliste indépendant, travaillant pour le site Meduza installé en Lettonie et spécialiste des enquêtes sur la corruption à Moscou est révélatrice.
Acte I. L’accusation
Le 6 juin 2019, Ivan Golounov, 36 ans est arrêté pour « trafic de drogue ». Les policiers déclarent avoir trouvé dans son sac à dos quatre grammes d’une drogue de synthèse et à son domicile un dispositif artisanal de fabrication. Les médias soupçonnent une affaire montée de toutes pièces. Le lendemain plusieurs journalistes qui protestaient avec des pancartes contre son incarcération sont embarqués dans un fourgon de la police et libérés quelques heures plus tard. Deux jours plus tard Golunov reçoit la visite d’un des conseillers du Kremlin et il est hospitalisé. Le même jour un tribunal l’assigne à résidence à son domicile, pour deux mois et sous bracelet électronique.
Le lundi 10 juin trois quotidiens russes, Kommersant, Vedomisti, RBK publient une tribune commune en première page pour soutenir le journaliste. La tribune s’intitule « Je suis, nous sommes Ivan Golounov ». L’affaire prend de l’ampleur.
Les autorités russes ont disculpé le journaliste d’investigation Ivan Golounov, accusé de trafic de drogue, opérant un recul rarissime, à la mesure de l’indignation et de la mobilisation suscitées par cette affaire dans la société civilehttps://t.co/bKsHscH8A8 #AFP pic.twitter.com/VM7okyEPUG
— Agence France-Presse (@afpfr) June 11, 2019
Acte II. La libération
Coup de théâtre le 11 juin, le ministre de l’Intérieur russe, Vladimir Kolokoltsev déclare levé l’acte d’accusation faute de preuves et annonce la libération de Golounov de son assignation à résidence. Comme dans un film policier classique, les agents de la police russe sont soupçonnés d’avoir introduit eux-mêmes les preuves permettant la mise en accusation. La présidente du Sénat russe Valentina Matvienko parle « soit d’une bavure, soit d’une provocation ». L’opposant Alexeï Navalny souligne que Golounov travaillait sur les liens mafieux des pompes funèbres de Moscou où la famille du maire Sergueï Sobyanine serait impliquée.
Les avocats soulignent qu’aucune drogue n’avait été décelée dans le sang du journaliste et que ses empreintes ne figuraient pas sur les sachets soit-disant trouvés dans son sac à dos et à son domicile. Dans la foulée les enquêteurs ayant accusé Golounov sont mis à pied par la police des polices russe, le temps d’éclaircir l’affaire. Et deux têtes tombent : celles du général Poutchkov, responsable de l’ouest de Moscou et du général Deviatkine responsable de la lutte contre la drogue dans la capitale russe. Golounov et Meduza ont annoncé qu’ils reprendraient leurs investigations sur le marché des pompes funèbres à Moscou, une enquête à laquelle ne pourront plus s’opposer les commanditaires d’une tentative de les réduire au silence qui a échoué.
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Photo : capture d’écran vidéo RT France