Le quotidien chrétien La Croix (ou s’affirmant toujours chrétien, les avis sont partagés), a lancé son hebdomadaire. L’OJIM a décidé de lire les deux premiers numéros, afin de ne pas juger autrement que sur pièces. Analyse du numéro 1.
Ainsi que l’OJIM l’annonçait le 5 octobre 2019, le groupe Bayard a lancé La Croix Hebdo, dans un contexte où tout semble pourtant indiquer un recul des ventes de la presse papier. Sans doute y a‑t-il de nombreuses raisons à ce lancement, dont le souhait de relancer indirectement le quotidien. D’autant que le ton est dans la lignée de celui du quotidien, chrétien de gauche, de moins en moins chrétien diront certains catholiques et de plus en plus bobo parisien.
C’est parti pour les émotions fortes
La couverture : une femme et un homme, jeunes, à l’évidence issus d’Afrique et noirs, se « retrouvent », l’air apaisé. En toile de fond, l’évocation du chemin traversé pour (enfin ?) être sauvés. Le titre : « Le bureau des retrouvailles. Ici, on réunit les familles séparées par l’exil ».
Le choix rédactionnel est donc très clair, le même que la mise en avant des enfants mourant sur une plage ou pleurant dans les bras de leur mère voilée : on en appelle aux émotions et au sentimentalisme de l’armée libérale-libertaire. De mauvaises langues verront sans doute un usage cynique des migrations à des fins de lancement économique d’un organe de presse, dont il faut signaler qu’il était, pour ce premier numéro, en piles partout et annoncé à grand renfort d’affichettes.
Le sommaire : les titres des rubriques font plus dans le club de yoga zen que dans la nef d’église : « rencontrer », « explorer », « s’inspirer », « ralentir ». De quoi discuter sous le bonzaï. Donc, qui rencontrer pour La Croix, en ce début de mois d’octobre 2019 ? Alain Juppé. La Croix frappe fort et vise indéniablement son électorat le plus âgé avec cet entretien. Les équilibres sont toujours difficiles à trouver quand on veut innover. La rédaction, à la tête de laquelle se trouve Anne Ponce, a décidé de donner la parole à un vieux ponte de l’ancien RPR/UMP, autrefois fusible d’un Chirac embourbé dans les affaires de la ville de Paris, amateur de manifestations massives (et hostiles) dans la capitale, mais depuis devenu un ferme soutien du jeune Macron. La Croix hebdo se sent d’ailleurs des affinités avec un Chirac mort puisque la citation qui ouvre ce premier numéro (« une citation pour commencer ») est : « Les valeurs ne sont pas des principes désincarnés mais elles s’imposent quand une situation concrète se présente et que l’on sait ouvrir les yeux » (Chirac, janvier 2007, « Hommage aux Justes de France »). La Croix se situe donc parmi les Justes d’aujourd’hui. Comment ses acteurs peuvent-ils en être si certains ?
Retrouvailles et amalgame
Suit le cœur du numéro : 11 pages consacrées au « bureau des retrouvailles. Ici on réunit les familles séparées par l’exil ». Présentation du dossier :
« Chaque année, des milliers de réfugiés perdent la trace de leurs proches sur les routes de l’exil. A la douleur du déracinement s’ajoute alors l’angoisse d’une séparation définitive. En France, les enquêteurs de la Croix-Rouge tentent de réunir les familles dispersées. Voici leur quotidien, tour à tour âpre, déchirant, lumineux ».
Rien de bien neuf, beaucoup de sentimentalisme lacrymal, d’émotion… On se croirait en pleine visite scolaire au sein du conseil régional de Bourgogne Franche-comté. Ce n’est pas tout ? Non. Il était peu facile de faire pire en terme d’utilisation de la souffrance humaine, dans cette accroche ; pourtant, la journaliste y parvient, avec une colonne d’introduction intitulée « Pourquoi nous l’avons fait » qui commence ainsi : « Il y a quinze ans, des messages épinglés à la sortie du mémorial de l’holocauste, à Washington, m’avaient bouleversée : des survivants de la Shoah y avaient griffonné leurs nom et adresse dans l’espoir d’être recontactas par un proche disparu durant la guerre mais — qui sait — qui aurait pu être encore vivant quelque part ». Il fallait oser : un dossier afin de ne pas être les nazis d’aujourd’hui tandis que les migrants, ici uniquement dénommés « réfugiés » seraient les juifs de maintenant.
Cet amalgame entre l’Europe et la France d’aujourd’hui et l’Allemagne nazie d’hier n’est bien sûr pas le seul morceau de bravoure de ce numéro 1. Ce dernier est rythmé par diverses rubriques et sous-rubriques, la plupart dans le même ton yoga zen. La Croix hebdo s’intéresse par exemple sur deux pages à un sujet qui devrait sans doute bien plus motiver un magazine chrétien : la PMA. Evidemment, la rédaction est gênée aux entournures, elle préfère donc rapporter les propos tenus par quatre personnalités lors d’une soirée du Collège des Bernardins, de manière à ne pas avoir à s’engager, sauf à « faire droit au débat nécessaire » (ce qui par contre, dans les mêmes pages, ne vaut pas au sujet des migrants clandestins). Mais le sujet de la PMA est sensible et La Croix hebdo, tout comme son aînée quotidienne n’a pas envie de faire fuir des lecteurs sur cette délicate question.
Le numéro se termine sur une grande partie « culture » mais fourre-tout, se finissant elle-même par un « récit graphique » insipide comme une bande dessinée pour bobo.
Visiblement le groupe Bayard et La Croix ont besoin d’élargir leur clientèle, et de la rajeunir. D’autant que nombre de lecteurs et d’abonnés du quotidien le sont par vieille habitude. Le Paris qui a voté Macron suivra-t-il ? D’autant qu’il y a la concurrence d’un Télérama qui a depuis longtemps cessé d’être un programme de télévision, orientant plutôt les choix de livres et de films des bobos parisiens.