France Culture se met au goût de la modernité et des nouvelles pratiques de consommation de la radio en multipliant les podcasts, accessibles en ligne de diverses manières, dont des applications. Par contre, si la manière est intéressante, le fond des sujets est toujours aussi orienté, comme le montre la série « Mécaniques du complotisme ». Analyse de la saison 3, épisode 1.
L’émission « Mécaniques du complotisme » se présente ainsi sur le site de France Culture :
« 11 septembre, vaccins, premiers pas sur la lune, sionisme, grand remplacement, chemtrails… Les enquêtes d’opinion le montrent : sur un nombre grandissant de sujets, les Français sont friands de complotisme. Hier cantonnées aux marges, les théories les plus improbables ont gagné en audience et en respectabilité. De l’internaute anonyme au chef d’État populiste, des librairies spécialisées aux plateformes de streaming, des cafés du commerce aux plateaux télé, on les retrouve désormais dans toutes les strates de la société. Pour comprendre cette progression, appréhender leur attrait et, peut-être, atteindre leurs relayeurs crédules, il faut en revenir à leurs origines et identifier leurs concepteurs ». Un podcast de Roman Bornstein, réalisation Thomas Dutter
Faux postulat et vrais complots
Les postulats sont intéressants : crédulité et aspect récent du phénomène. Ce second point est factuellement faux : il y a toujours eu des théories du complot pour la simple raison qu’il y a toujours eu des complots, de l’assassinat de Jules César au Watergate en passant par les fumeuses armes de destruction massive irakiennes. Le premier point mériterait d’être nuancé : il est possible de comprendre la crédulité de certains quand, par exemple, ce sont les représentants de la première puissance du monde de l’époque, les États-Unis, qui présentent ces armes de destruction massive et pas n’importe où : à l’Assemble des Nations-Unies. Ou encore lorsqu’ un gouvernement mis en place par le président Mitterrand ordonne aux « services » de couler un bateau de Greenpeace. Il y a aussi, bien sûr des complots plus doux et plus discrets, comme celui reconnu par Lionel Jospin au sujet de l’emploi incessant de l’expression « fascisme » à l’encontre des oppositions politiques françaises autres que de gauche, dans l’émission répliques de France Culture (29 septembre 2007) : « Pendant toutes les années du mitterrandisme nous n’avons jamais été face à une menace fasciste et donc, tout antifascisme n’était que du théâtre. Nous avons été face à un parti, le Front national, qui était un parti d’extrême droite, un parti populiste aussi à sa façon, mais nous n’avons jamais été dans une situation de menace fasciste et même pas face à un parti fasciste ».
Création de SOS Racisme
Une définition en usage du mot complot ? « Projet concerté secrètement afin de nuire (à qqn, à une institution) ». Nul doute, ainsi que le disait Jospin, que le projet de se définir un adversaire « d’extrême droite » (mentir, donc) afin de gagner les élections (manipuler, donc) ait été concertée (complot, donc) dans l’un ou l’autre bureau de l’époque de Mitterrand, et sans doute avec son aval, « afin de nuire » aux têtes d’affiche adverses (définition du complot, donc). SOS Racisme fut par exemple créé dans les bureaux des Jeunesses Socialistes, rue de Solférino.
Pourtant ce que vise « Mécaniques du complot » est exposé ainsi par la médiatrice Emmanuelle Daviet, sur France Culture le 12 septembre 2019 : « La manipulation est le défi majeur dans le champ de l’information. Internet et les réseaux sociaux offrent aux théories conspirationnistes une vitalité nouvelle et une audience mondiale. Nous ne glissons plus vers l’ère de « la post vérité »…nous y sommes…sous l’emprise croissante des rumeurs, des algorithmes et des oligarques ».
Episode 1 de la saison 3 : « Le grand remplacement, un virus français », faits remarquables
L’utilisation du mot « virus » d’ordinaire plutôt utilisé au-delà de l’extrême droite ultra et historique, par l’extrême des extrêmes de type nazi, au sujet de ses adversaires, surprend. La réthorique la plus extrême pour désigner son adversaire et le réduire à l’état de parasite ou de « virus » devient donc fréquente dans les médias convenus.
Le podcast est sous-titré « A l’origine du mythe ». L’orientation est donc claire : il s’agit selon d’une des deux définitions en usage d’une « chose imaginaire ». La question de la réalité d’un grand remplacement n’existe pas. N’a peut-être jamais existé avant notre époque ? La romanisation est sans aucun doute un minuscule remplacement.
Pitch du site : « Le mythe d’une invasion migratoire n’est pas un thème nouveau. A intervalles réguliers, il traverse la France depuis près d’un siècle. Belle époque, années folles, grande dépression, décolonisation : chaque décennie a connu ses prophètes de la submersion étrangère qui lancent leurs carrières littéraires et politiques sur le dos de l’immigration. Dès les années 1910, le mythe prend forme ».
Un mythe donc, dont l’existence est avérée depuis… seulement un siècle. Gageons avant d’écouter que l’émission va parler des immigrés comme étant les principales victimes.
Le mythe du grand remplacement qui n’existe pas
« Lien » avec l’actualité :
« Entre octobre 2018 et août 2019, 3 attentats ont ensanglanté l’actualité : Pittsburgh, 11 morts ; Christchurch, 51 morts ; El Paso, 22 morts. Perpétrés par des suprémacistes blancs, ces trois massacres visaient respectivement des juifs, des musulmans, des hispaniques. Chaque fois, les terroristes avaient rédigé un texte pour expliquer le choix de leurs cibles. Parmi ces revendications, le manifeste du tueur de Christchurch se distingue par son titre : The Great Replacement, Le Grand remplacement.
Derrière cette formule se cache une idée complotiste : via l’immigration, les élites mondiales chercheraient à organiser le remplacement de la population occidentale. …elles guident les campagnes de dirigeants européens et la politique de la Maison Blanche. A l’origine de ce concept, un écrivain français : Renaud Camus. Pour comprendre comment sa formule est devenue un cri de ralliement pour les identitaires du monde entier, Jean-Yves Camus, directeur de l’Observatoire des Radicalités Politiques à la Fondation Jean Jaurès, nous fait remonter au début du XXe siècle et aux origines des angoisses migratoires françaises ».
Il est à noter qu’un tiers donc seulement des attentats évoqués se réfèrent directement à ce concept, ce qui signifie que 67 % y échappent. La très grande majorité donc. France Culture part d’un fait minoritaire en le posant comme essentiel. Ce n’est pas une infox, c’est un simple et discret détournement comme les médias français sont friands. Plus important : Renaud Camus n’est pas « à l’origine de ce concept » puisqu’il existait déjà à la fin du 19e et du 20e siècle, selon les historiens Gérard Noiriel, Laurent Joly, Nicolas Lebourg, Grégoire Kauffmann ou Patrick Weil… et nombre d’autres universitaires Il s’agit donc là d’une fake news : l’information est tellement aisée à trouver que son omission ne peut être que volontaire.
Il est aussi à noter que France Culture n’indique aucunement la présence très forte de ce thème, en particulier sur son versant antisémite, au sein de la gauche radicale de la fin du 19e et du début du 20e siècle.
Sélection des preuves
- L’écoute intégrale du podcast de 14 minutes permet de constater la légitimation de ces a priori de départ a priori qui sont une faute en sciences historiques : théoriquement, l’historien part d’une hypothèse et voit si elle est démontrée par les faits ; sur France Culture, c’est le contraire, l’émission dite d’Histoire part d’opinions et cherche à les prouver en sélectionnant ce qui l’arrange parmi les faits du passé.
- Heureusement, ceux qui ont le courage d’écouter l’émission peuvent entendre Jean-Yves Camus, historien spécialiste de l’extrême droite, tempérer ce que France Culture met en avant.
- Un exemple du ton de l’émission : François Coty, « La France aux autres », tribune dans Le Figaro, 23 août 1927 : « 3 millions de Français, vigoureux, sains, honnêtes ont été poussés à l’abattoir pour qu’on puisse leur substituer la vermine du monde. Le gouvernement occulte des 300 et qui constitue la véritable internationale a décidé de remplacer la race française en France par une autre race. Elle a réglé d’abord la destruction des vrais Français, elle règle ensuite l’introduction des néo-Français ».
- Plus loin, l’auteur du podcast : « A la veille de la seconde guerre mondiale, les immigrés représentent moins de 6% de la population. Mais pour certains, c’est déjà trop : la France serait en passe d’être détruite par ces nouvelles minorités. Une police des étrangers se forme. Ses hommes fourniront les cadres du Commissariat général aux questions Juives de Vichy ».
- A 30 s de la fin, conclusion avec l’entrée en scène de Jean-Marie Le Pen, comme point d’orgue.
Jean- Yves Camus a protesté dans un tweet devant ce qui était présenté comme un entretien, ce qui ne semble pas être le cas. France Culture n’est pas à cela près. Si c’est pour la bonne cause.