Première diffusion le 09/12/2019
Le 21 novembre 2019, Claude Chollet Président de l’Observatoire du journalisme, a donné une conférence à Prague dans le cadre du « Free Media Forum », organisé par les autorités russes. Vous trouverez ci-dessous le texte revu en français de cette conférence donnée en anglais.
Totem et tabou
En 1913 Freud publie son ouvrage Totem et tabou sur les structures primitives d’appartenance et leur prégnance. Pour faire partie de la tribu vous devez en partager les tabous. Partageant les tabous, vous révérez les mêmes totems, vous appartenez au groupe. Les médias dominants français partagent les mêmes tabous et adorent les mêmes totems. En simplifiant, 70 à 80% des journalistes et des médias qui les emploient partagent au moins trois tabous : l’immigration, l’Islam et l’insécurité.
Il est impossible d’évoquer dans les médias mainstream les effets négatifs de l’immigration extra-européenne, que ce soit sur le plan économique, culturel ou démographique. Il en est de même pour les sujets se référant à l’Islam ou à l’insécurité ou aux liens entre ces différents paramètres.
Habitus mon beau souci
L’habitus telle que définie par Pierre Bourdieu représente le système symbolique qui permet à un individu de se comporter en société pour y être intégré. L’habitus indique à l’individu le comportement conforme aux cadres acceptés de sa catégorie sociale. L’habitus n’est pas une loi écrite, c’est un ensemble d’attitudes, de comportements sémantiques, de choses dont on peut parler, de celles dont on ne peut pas parler y compris la manière dont on peut les évoquer. Le processus est largement inconscient.
La majorité des médias français ont un habitus progressiste que l’on peut appeler libéral libertaire. Défier cet habitus progressiste peut faire de vous un paria sur le plan professionnel. Cette situation est largement entretenue par les actions des GAFA.
Comment les GAFA influencent le journalisme
Il est inutile d’épiloguer sur le pouvoir des GAFA. Google domine le marché des moteurs de recherche et avec Facebook ils collectent à deux entre 70 et 80% des recettes publicitaires digitales. Amazon étouffe ses concurrents dans la distribution et son propriétaire investit dans la presse. Facebook, avec Instagram et WhatsApp, a plus de 2,5 milliards d’utilisateurs. Apple, Amazon et Facebook dominent le marché des enceintes intelligentes, recueillant ainsi encore plus de données sur leurs clients.
Je ne parlerai pas de la mode des fake news/infox ; pour notre sujet remarquons que les GAFA ont saisi ce prétexte pour s’engouffrer dans le contrôle de l’information via de multiples opérations de « fact checking », la vérification des faits et le recours aux données massives. Je vous en donnerai quelques exemples, la liste n’est pas limitative.
International Fact-Checking Network@Poynter
“Un forum pour les fact-checkers, abrité par l’Institut Poynter pour les études sur les médias”
Financement : Fondation Bill et Melinda Gates, Google, National Endowment for Democracy (NED), Open Society (Soros), Fondation Park. Remarquons que la NED est une quasi filiale de la CIA.
Cross-Check France
« Un projet de journalisme collaboratif pour combattre en ligne la désinformation en combinant les efforts de 34 partenaires et ceux d’étudiants en journalisme »
Financement : Google News Lab
Google Fact Check
« Une source confirmée de vérification de l’information ». Produit maison Google.
News Integrity Initiative (USA)
« Un consortium global pour aider la population à se constituer des jugements informés au sujet des nouvelles qu’elle lit et partage en ligne. La mission de l’Initiative est de faire avancer la connaissance de l’information, de faire progresser la confiance dans le journalisme dans le monde et de mieux informer le public »
Financement : Fondation Ford, Facebook, Mozilla, Democracy Fund.
The Trust Project (USA)
“Le projet Trust (confiance) explore comment le journalisme peut sortir d’un monde chaotique et signifier sa pertinence »
Financement : Craig Newmark, Google
Le Décodex (France)
« Le Décodex est un outil pour vous aider à vérifier les informations qui circulent sur internet et dénicher les rumeurs, exagérations ou déformations ». Interne au quotidien Le Monde.
Financement : Google
Check News (France)
« Pour mieux comprendre l’actualité, Libération lance CheckNews, un nouveau type de moteur de recherche géré par des journalistes ».
Financement : Facebook
Festival international du journalisme de Perugia (Italie)
Depuis 2006 le principal festival européen de journalisme se tient au printemps à Pérouse. Pour l’anecdote, en 2018 lors de la table-ronde sur « les médias en Europe de l’est », les six personnes du panel (incluant le modérateur), avaient tous des liens avec l’Open Society de George Soros.
Financement : Facebook, Google
Création d’un Conseil mondial par Facebook
Le 27 juin 2019, Nick Clegg, vice-président de Facebook annonçait la création d’un « Oversight Board ». Le but de ce conseil est de prendre en dernier ressort des décisions sur ce qui peut être posté sur le réseau social et ce qui doit être interdit.
Une équipe internationale de 40 membres, rémunérés par Facebook représentera je cite « les intérêts de la communauté globale ». Je cite de nouveau « Le conseil sera en mesure de porter un jugement final (vous lisez bien jugement final) sur ce que devrait être un discours acceptable dans une communauté reflétant les normes sociales et les valeurs des gens dans le monde entier ». Vous avez bien lu, « dans le monde entier ».
Les autorités françaises et la loi Avia
Comme si ce n’était pas suffisant, le gouvernement français charge la barque. Après une rencontre précédente avec Mark Zuckerberg, le président Macron annonçait le 12 novembre 2018 une collaboration étroite entre des représentants du gouvernement et ceux de Facebook pour combattre les fake news et les discours de haine.
Une nouvelle loi a été proposée par Laetitia Avia, députée de la majorité. D’après cette loi votée (à la date de la conférence) par l’Assemblée Nationale mais pas par le Sénat, tous les réseaux sociaux devront disposer d’un « bouton rouge » sur lequel chacun pourra cliquer pour dénoncer les discours « violents, haineux, racistes ou extrémistes ». Le réseau social aura 24h pour les retirer ou pourra subir une amende importante. Il n’y aura pas d’intervention d’un juge. Les réseaux sociaux ont anticipé l’application de cette loi liberticide et ont commencé dès le printemps 2019 à « nettoyer » tout discours pouvant être considéré comme dangereux, une nouvelle atteinte à la liberté d’expression et même à la liberté d’opinion.
La liberté d’expression fait maintenant face à de nouvelles atteintes et ceci au nom de la liberté. Les GAFA défendent leurs intérêts propres et dans la plupart des cas, directement ou indirectement, les intérêts des Etats-Unis. Devant ces menaces des européens doivent protéger leur liberté d’expression et développer urgemment leurs propres réseaux sociaux. A une époque différente Mao Tse Toung disait « Compter sur ses propres forces ». Le moment est venu pour l’Europe de défendre sa tradition de libre expression.