Dans son émission de France Inter, L’Instant M, Sonia Devillers s’intéresse aux médias. Encensant ses amis idéologiques la plupart du temps, cassant du sucre sur les autres. Le mardi 17 décembre2019, surprise, la parole est à Valeurs Actuelles. Cela valait donc la peine d’écouter.
Surprenant ? Oui, a priori. Plutôt difficile d’y échapper en réalité, l’hebdomadaire Valeurs Actuelles s’étant retrouvé au centre de la vie médiatique depuis deux mois, entre son interview inattendue d’Emmanuel Macron et les polémiques à propos de Zemmour, Quotidien de Yann Barthès ou bien sa contre-offensive contre l’activisme militant minoritaire des Sleeping Giants, ce dernier mouvement ne semblant pas inquiéter jusque-là des journalistes comme Sonia Devillers. Inviter Geoffroy Lejeune, directeur de la rédaction de Valeurs Actuelles, est en soi un progrès. L’émission L’Instant M n’ayant pas jusqu’alors fait preuve de beaucoup d’enthousiasme ni de tolérance à l’égard de qui pense autrement que le parti médiatique.
Une accroche offensive
L’ouverture de l’émission ne cache pas la position de Sonia Devillers (le fameux et ancien « d’où parles-tu, camarade ? ») : « Hebdomadaire à la droite de la droite qui voudrait. Rassembler les droites alors qu’Emmanuel Macron ne cherche qu’une chose, les diviser. Le président avale la droite, il en digère une partie et il en recrache une autre, la plus extrême, la plus réactionnaire, la plus identitaire, pour mieux l’affronter en duel à la présidentielle ».
Le camp des méchants (auquel Valeurs Actuelles est supposé appartenir) est fixé : droite de la droite, extrême, réactionnaire, identitaire… Tous les mots dans un même panier, pas de mesure, peu de finesse.
Tout aussi grave « Valeurs Actuelles se frotte les mains. Car il vise ce lectorat-là, d’une droite non soluble dans la macronie ».
Il y donc le crime et le mobile. Quid du principal suspect ? Il est là : « Questions à son très jeune directeur de la rédaction. Ami et zélateur d’Éric Zemmour que le journal aimerait tellement voir s’engager en politique envers et contre une certaine « terreur médiatique » que France Inter doit, probablement avec d’autres, contribuer à faire régner ».
La jeunesse ? Elle ne semble pas gêner outre mesure quand il s’agit d’aider à faire battre Marine Le Pen par le plus jeune Macron. Quant à la question de la « terreur médiatique », si France Inter commence à se rendre compte de son rôle dans la promotion d’un carcan idéologique libéral libertaire par les médias, c’est une fort bonne chose.
Des échanges faussement courtois
Autant attaquer fort : « Les ventes sont moins fortes que fut un temps à Valeurs Actuelles, autour de 90 000 exemplaires, c’était monté à 120 000 à la bonne époque ». Du négatif, pour commencer, qui sonne comme un reproche contre la politique éditoriale du magazine. Pas un mot pour mettre en perspective, avec la chute des ventes de la presse en général, celle des hebdomadaires ou quotidiens qui pensent comme Sonia Devillers (Libération, L’Obs etc). Les mots sont pesés, la figure amicale du dénigrement.
Point de départ, les “géants endormis”
Les Sleeping Giants, quelques dizaines d’activistes anonymes, ce que la journaliste ne relève pas, qui poursuivent Valeurs Actuelles entre autres en poussant les annonceurs à retirer leurs publicités, sous peine d’être mis au ban de la société pour avoir « cautionné » des valeurs dites d’extrême droite, selon ces activistes. N’importe qui devrait évidemment dénoncer ces méthodes de délation, peut-être apprises par grand-papa à l’époque gestapiste et transmises à l’un ou l’autre des rejetons formant les Sleeping Giants. Geoffroy Lejeune répond sur la question du débat : la « ligne de conduite de magazine est le débat ». Devillers insiste : « Ce n’est pas tout à fait vrai, là ils disent que vous véhiculez des discours de haine ». On sent qu’elle le pense aussi. Réponse : « Qui sont-ils pour dire cela ? Ils sont anonymes, ils ont des méthodes d’intimidation, de harcèlement sur le net vis-à-vis de nos annonceurs. Au lieu de venir débattre, moi je suis d’accord avec cela, qu’ils viennent discuter, au lieu de cela ils essaient de nous assécher financièrement ».
Gentils annonceurs contre vilains annonceurs
Sonia Devillers sent qu’elle a mal mesuré l’argumentaire de Geoffroy Lejeune et son positionnement en faveur du débat : « C’est pourquoi je suis heureux d’être là, bien que nous ne soyons pas souvent sur la même ligne ». Réponse : « ah non… ». Arroseur arrosée, elle est censée représenter avec France Inter la garantie d’un débat honnête, Sonia Devillers d’en prend à un tweet de Valeurs Actuelles qui félicite les annonceurs n’ayant pas retiré leur pub, mimant ne pas comprendre : « Cela signifie qu’ils adhèrent à vos idées, n’est-ce pas ? ». Réponse : « Non, non, non, nous les félicitons de ne pas céder au chantage ».
Sleeping Giants a fait pression pour que CNews et Paris Première retirent leurs annonces sur le site de Valeurs Actuelles. Vient ensuite la séquence bobo de gauche « sympa pas sympa ». VA serait sympa avec les « ministres qui vous accordent des interviews », elle voudrait que cela cogne alors que Lejeune insiste sur la notion pluraliste. Ce qui en ressort ? Sonia Devillers ne comprend pas la nécessité du débat, l’auditeur en est presque baba. Elle s’exalte à propos de l’interview d’Emmanuel Macron : « On dirait que vous bichez comme c’est pas possible, tout y est, le jus de tomate, etc, vous n’en pouvez plus d’être à la table du pouvoir. Tout ça pour dégouliner de plaisir d’être à la table du pouvoir dans l’avion présidentiel ? ». Réponse : « Je vais vous dire, Sonia Devillers, demain vous interviewez Emmanuel Macron pendant trois quarts d’heure en tête à tête, vous n’êtes pas contente en vrai ? C’est quand même un truc important dans ce métier. En plus, ce n’est pas moi qui l’ait fait, c’est un de mes camarades, Louis de Raguenel, qui a obtenu cette interview tout seul comme un grand ». Il explique ensuite pourquoi l’article autour de l’entretien donne beaucoup de détails : c’est une obligation. « Quand c’est nous, on est toujours suspectés d’arrières pensées malsaines » : la loi des suspects règne toujours en France. Incidemment, on apprend un secret d’alcôve : que Laurent Joffrin, lequel a officié partout avant d’être le chef de Libération, a une longue amitié avec François Hollande, avec lequel il fait des barbecues l’été. Comme quoi, les rumeurs sur les connivences…
Retour à Zemmour
Arrivée en scène de Marion Maréchal. « Un deal qui fait rêver, l’entrée en politique de Zemmour ». Réponse : « En fait, cela ne me fait pas rêver, on m’attribue cela car j’ai écrit un bouquin il y a quelques années mettant en scène en mode fiction, racontant cela… ». Le journaliste rédacteur du papier que vous lisez ne peut masquer sa surprise de voir Sonia Devillers être piégée là-dessus : Geoffroy Lejeune a en effet publié sur le sujet un roman, une fiction politique. Elle se cache un peu, « j’ai lu vos papiers », et passe à autre chose, Lejeune ayant la sympathie de ne pas l’accabler. Pourquoi Zemmour ? C’est l’intellectuel qui est sur le devant de la scène et « c’est donc un sujet ». Devillers préfère parler d’« aubaine ». Sémantique négative, toujours.
Terreur médiatique, approche du point Godwin
Devillers en vient là où elle veut aller : de quelle « terreur médiatique est-il victime ? ». La journaliste insiste : il serait très favorisé, partout. Lejeune : « Vous ne pouvez pas raconter que cela, chroniqueur, viré, tribunal tous les six mois pour des délits d’opinion… ». Pour lui il s’agit de « le faire taire ». Il aimerait que l’on arrive à le contredire sur le fond. Lejeune : « C’est le Mohamed Ali de la presse ». Sursaut de Sonia Devillers : « Mohamed Ali de la presse ? On aura tout entendu. » Elle a raison, sa question suivante, incroyable le prouve : « Valeurs Actuelles est-il un média antisémite ? Je vous pose la question vraiment très sérieusement car pour le coup là c’est pas drôle du tout (avant c’était drôle ?) : Benjamin Stora, historien officiel… on peut citer cette phrase qui a fait débat, « l’homme n’a pas seulement fait débat, il a gonflé au risque d’exploser de cette mauvaise graisse ayant prospéré à mesure que s’élevait son statut social ». Tribune de 250 intellectuels choqués. Lejeune ? Nous ne sommes pas antisémites, on nous fait même le reproche inverse, d’être alignés sur les positions d’Israël. Concernant ce papier, « ce qui me gêne c’est l’attaque contre le physique. Je n’aurais pas dû laisser passer ». Mea culpa. L’accusation se prolonge : la Une sur Soros ? Lejeune : « On doit pouvoir critiquer Soros sans être accusés d’antisémitisme. Vous lisez Valeurs Actuelles apparemment, lisez-le jeudi prochain, vous verrez des critiques contre Mélenchon, c’est cela Valeurs Actuelles en réalité ».
Au bout de l’émission ? Grand sourire de Sonia Devillers. Elle a tout placé : droite de la droite, Zemmour, Marion Maréchal, Extrême droite, antisémitisme, haine… Elle a convaincu ceux qui l’étaient déjà sans doute. Au total, la stratégie anti Valeurs Actuelles menée lors de cette émission semble un échec. La bonne vieille diabolisation de qui pense autrement ne fonctionne plus. Paradoxalement, le conflit de génération apparaît alors dans toute sa réalité : le vieux monde, c’est celui de Sonia Devillers et de France Inter ; les logiciels d’hier se font démoder par les jeunes pousses.