[Rediffusion — première diffusion le 1er février 2020]
Nous avons déjà publié les deux premières parties de notre dossier sur l’émission Quotidien de Yann Barthès, voici la dernière partie. L’ensemble du dossier, joliment maquetté, est réservé à nos soutiens donateurs. Pour le recevoir il vous suffit de faire un don en mentionnant « dossier Quotidien » et vous le recevrez par retour. Pour nous aider c’est ici.
Le talk show de Yann Barthès, l’un des premiers de la télévision française, hisse l’infotainment au rang de messe quotidienne. Si la liturgie est hybride, le catéchisme progressiste y est martelé de manière orthodoxe, quitte à faire avaler n’importe quoi aux fidèles. Décryptage en trois parties, troisième et dernière partie.
Ce n’est pas parce que les comiques de Quotidien tournent tout en dérision et qu’ils produisent essentiellement du vide qu’ils n’ont pas pour autant un avis très arrêté sur la marche du monde et des velléités de l’imposer avec brutalité à leurs téléspectateurs. La méthode n’est pas directement autoritaire, elle l’est insidieusement, c’est-à-dire qu’il y a un sous-entendu très prégnant, comme chez France Inter, délimitant la doxa commune dans des bornes strictes. On n’impose pas directement ce contenu, donc, mais on met en scène une bande qui communie sur ce contenu et exclut impitoyablement quiconque y dérogerait. Ricaner avec les élus ou être banni hors de la bande, hors légitimité sociale, presque hors humanité, voilà le chantage implicite auquel est soumis le spectateur. Et pour défendre la doxa, celle d’un progressisme libéral, mondialiste et multiculturel avec larmes et paillettes, tout est permis : mensonge, obsession, mauvaise foi, déni.
Cibles
Si l’équipe d’adulescents ricaneurs et débraillés autour de Yann Barthès est censée incarner la norme du « cool », leur antithèse est vite perçue au fil des émissions tant elle représente la cible permanente des moqueries les plus acerbes : l’ancienne Europe traditionnelle. Le 21 octobre, Alison Wheeler raille les lectrices de France Dimanche et le « sénior harcèlement » (tout est permis contre les vieux). Dans la même émission, on ridiculise le mariage de Jean-Christophe Napoléon avec Olympia d’Arco-Zinneberg, moquant leur présumée consanguinité. En réalité, le prince impérial est cousin au cinquième degré d’un parent de sa femme, Grafin von Arco-Zinneberg, parenté beaucoup moins proche que celle qui peut exister dans les mariages musulmans de tradition endogame, lesquels ne risquent pas d’être ridiculisés par Quotidien qui s’acharne ici à réactiver les préjugés contre la noblesse avant d’humilier deux petites cousines trop bien élevées qui sont présentes aux noces en ressortant des images d’archive. Le 23 octobre, Wheeler en remet une couche sur le vieux Blanc avec « Ushuaïa Mature ». On l’aura compris : il doit disparaître.
L’allié banlieusard
Et pour précipiter la disparition du vieil Européen classique, le jeune bourgeois de gauche blanc (qui domine le panel) souhaite s’allier au jeune immigré banlieusard, dont la culture lui est pourtant en partie tout autant étrangère, qu’importe, il valorise celle-là ; quant à son inculture, il l’oublie. Toute la dernière semaine d’octobre, Azzedine Ahmed-Chaouch est envoyé au reportage au Louvres où se lance la grande exposition sur Léonard de Vinci. Dès le premier jour de reportage, notre sympathique banlieusard désigne « Le Radeau de la Méduse » et l’attribue à Delacroix. Le lendemain, Barthès présentera ses excuses et redonnera son tableau à Géricault devant l’air un peu gêné de notre cancre du 9.3. qui manifestement ne possède pas les codes de la culture classique européenne, mais à qui on demande pourtant d’en parler. « La chouma ! », lâche-t-il en constatant comme il est difficile de sécuriser les œuvres exposées. Pour évoquer le différend intervenu entre la France et l’Italie au sujet de Vinci, Chaouch, le 22, demande à une journaliste italienne : « Il n’y a pas que le foot qui crée des rivalités France-Italie ? » revenant à ses repères : rap, foot, jeux vidéos… Ou Jay‑Z et Beyoncé, qui ont récemment tourné un clip dans le plus grand musée du monde, et dont Chaouch et ses collègues imitent les chorégraphies grotesques, beaucoup plus à l’aise avec la sous-culture d’immigrés mondialisés qu’avec un décor qui leur reste fondamentalement étranger.
Flagrants dénis
« La sécurité en premier, on est envahis ! » Qui lance ce cri d’alarme ? Un skinhead aviné chez les Chtis ? Non, une dame noire interviewée à Mamoudzou qui parle de la situation critique de Mayotte. Mais aucune réaction de la part de la journaliste qui finit par trouver une Blanche suffisamment candide et criminelle pour vouloir abolir toute frontière avant que la séquence se conclue sur les souffrances des clandestins comme si on n’avait pas entendu celle des autochtones qui se sont pourtant exprimés. La surdité volontaire est ici proprement spectaculaire. Autre exemple similaire quoi que dans un lieu différent, à Saint-Denis, le 23 octobre, où les parents d’élèves d’une école se mobilisent contre les dealers qui trafiquent jusque dans le bâtiment où étudient leurs enfants. Plusieurs se disent menacés, tous disent que la situation se dégrade, enfin, une dernière explique qu’elle ne veut ni les dealers ni une surveillance policière permanente. Alors que désire-t-elle ? aurait demandé une véritable journaliste. Moins de délinquance endémique ? Moins d’immigration de masse ? En tout cas, devant de tels témoignages, il devrait être possible de ne pas balayer d’un revers de main l’inquiétude légitime de ceux qui en critiquent l’éloge permanent. Mais non. À noter que les journalistes ont dû venir sans caméra par crainte d’être agressés. Pour des gens qui dénoncent un fallacieux « sentiment d’insécurité » et nient l’autonomisation de certains territoires, ses précautions devraient pourtant paraître absurdes – le degré de rupture cognitive se révèle ici fascinant.
Délation quotidienne
S’il y a des choses qu’on ne voit pas même quand on les filme, chez Quotidien, en revanche, il y a des choses qu’on remarque et qu’on montre de manière à la fois compulsive et jubilatoire, comme la faute morale de certains Français au regard du catéchisme politiquement correct. Le 24 octobre, au cours d’une des très nombreuses séquences consacrées à la nouvelle émission d’Éric Zemmour sur CNews, on exhibe le portrait du patron de la chaîne qui l’emploie, visage proposé à la haine. Le même jour, dans la chronique de Pablo Mira, il semble que ce dernier n’évoque l’aventure des deux premières femmes cosmonautes envoyées seules dans l’espace que pour pouvoir dénoncer deux ou trois commentaires sexistes glanés sur Twitter à cette occasion. Juste après, au cours d’un reportage à la Kid Expo, on montre un père qui souffle à son fils refusant de se faire maquiller l’excuse qu’une telle pratique « c’est pour les filles », autre insupportable dérapage sexiste, crime infiniment plus grave, en effet, que les dealers dans les écoles de Saint-Denis ou les clandestins ravageant Mayotte.
L’obsession Zemmour : délire et mauvaise foi
Mais ce qui obsède littéralement la petite équipe en cet automne 2019, c’est la nouvelle émission quotidienne où officie Éric Zemmour (« Face à l’info »), un minuscule effort de rééquilibrage politique dans le panorama médiatique français qui apparaît à nos ados sensibles aussi menaçant qu’un assaut de Panzers. Ces Jean-Moulin à bon compte et à 1000 contre 1 attaquent donc le polémiste à tout propos, et quand ce n’est pas en rapport avec ses discours, on entretient l’effort de résistance par l’insulte gratuite. On se moque de ses tics ou de ses cafouillages dans le « Morning Glory » du 21. Le 22, dans le « 20h Médias », on s’étonne : « Dans la première partie (de l’émission), on rigole, on fait comme si c’était normal cette émission quotidienne avec Zemmour sur une grande chaîne nationale. » Il faudrait donc traiter Zemmour en malade dangereux au sein de sa propre émission ? On relève que Zemmour a parlé d’ « enclaves étrangères », comme s’il avait prononcé là une ignoble obscénité, alors que l’équipe de Quotidien est obligée de se déplacer incognito à Saint-Denis ! Le 24, on relève un nouveau prétendu dérapage et on brandit le contrat du CSA pour inciter celui-ci à censurer le journaliste qui aurait donc fait l’éloge du Général Bugeaud et des massacres que ce dernier a commis en Algérie. Sauf que Zemmour n’a jamais déclaré cela, mais le mélange de bêtise et de mauvaise foi des animateurs de Quotidien les pousse à tout dénaturer. Le polémiste a seulement relevé et défendu ce cruel paradoxe de l’assimilation qui implique qu’on devienne souvent l’héritier revendiqué des bourreaux de ses ancêtres, ce qui fut aussi le cas pour nombre de Gallo-romains héritant de César plutôt que de Vercingétorix. Bref, un paradoxe, mais une banalité historique, que Quotidien déforme sans scrupule par Zemmourophobie délirante et haine de l’autre.
Jusqu’à la falsification du réel
Et puis il arrive parfois que les contrôleurs en chef du dérapage d’autrui se laissent aller à franchir toutes les frontières déontologiques. C’est ainsi que le 25 octobre, Yann Barthès, goguenard comme à son habitude, ouvre un numéro de Valeurs Actuelles au milieu de sa bande, et cite des propos de Nadine Morano recueillis pour un reportage dans une banlieue de Nancy où la femme politique a grandi. Suit une séquence « fact-checking » où un reporter de Quotidien prétend confondre Nadine Morano et son interviewer en parvenant à filmer dans les lieux évoqués une banlieue Potemkine sans tags « Nique la France », ni qamis, ni voiles islamiques multipliés. Problème : le journaliste de VA avait filmé son reportage et se trouve en mesure de justifier la moindre phrase incriminée par des images explicites diffusées sur Twitter le 28 octobre dernier. Comment « fact-checker » les « fact-checkers » et mettre à nu une tentative de manipulation de l’opinion parfaitement orchestrée et décomplexée.
Beaucoup de morgue et d’anti-professionnalisme déconnant, une bonne dose d’inculture et de narcissisme, un bruit blanc intellectuel continu doublé de ricanements : voici le cocktail racoleur de Quotidien, derrière lequel pointe un goût prononcé de propagande et le vieux sel de la délation française.