Le mois dernier, nous évoquions la reprise des Cahiers du cinéma par un collectif d’une vingtaine d’actionnaires. Pour protester contre ce rachat, tous les membres de la rédaction ont décidé de quitter leurs postes.
Dans un bref communiqué en date du jeudi 27 février, les quinze journalistes salariés de la célèbre revue ont annoncé leur démission en invoquant la clause de cession, dispositif juridique permettant à des journalistes de partir en faisant valoir leur droit à indemnités et au chômage à l’occasion d’un changement de propriétaire du titre où ils exercent.
Une dénonciation de l’influence du cinéma français
En partant collectivement, les rédacteurs du mensuel entendent ainsi protester contre la composition du nouvel actionnariat, qui mêle à la fois des investisseurs très présents dans la sphère médiatique et des producteurs de cinéma influents.
Pour les journalistes démissionnaires, la présence de huit producteurs parmi les repreneurs risque d’entraîner des conflits d’intérêts et de porter atteinte à l’indépendance des Cahiers du cinéma dans leur rôle de critique.
Le rédacteur en chef des Cahiers Stéphane Delorme, présent depuis plus de vingt ans au sein du titre, s’est ainsi exprimé sur France Culture pour préciser la position de la rédaction :
« On ne peut absolument pas travailler avec des producteurs de cinéma, on est une revue critique, on est censés être libres, indépendants. Avoir parmi les propriétaire huit producteurs posait un problème de conflit d’intérêts tellement énorme qu’il paraissait impossible de rester ».
Les journalistes dénoncent également la ligne qui leur a été communiquée, devant se « recentrer sur le cinéma français », et ont à ce titre fait part de leur désapprobation quant à la nomination de Julie Lethiphu, déléguée générale de la Société des Réalisateurs de Films, au poste de directrice générale de la revue.
Outre la question des producteurs, c’est également le profil des hommes d’affaires présents au sein du collectif d’actionnaires qui est contesté, pour une revue à l’engagement souvent très à gauche.
Une reprise en main par l’argent
On retrouve ainsi parmi les vingt actionnaires quelques grands patrons et investisseurs célèbres comme le fondateur de Meetic Marc Simoncini, le fondateur de Free Xavier Niel (également actionnaire à titre personnel du Monde, Nice-Matin), Grégoire Chertok, banquier chez Rothschild, ou encore Alain Weill, président du groupe NextRadioTV, propriétaire partiel (avec Patrick Drahi) entre autres de RMC et BFMTV, et depuis peu de L’Express.
Stéphane Delorme ajoute à ce sujet : « il y a aussi pas mal d’homme d’affaires dans ce petit conglomérat et on retrouve les mêmes noms que d’habitude, Xavier Niel, Alain Weill. On en a assez que les mêmes rachètent tous les titres de presse », précisant également « nous, BFM, on en dit du mal à longueur de page, on ne va pas être payés par Alain Weil ».
Avec cette démission collective, les journalistes des Cahiers du cinéma entendent à la fois dénoncer un conglomérat d’actionnaires qu’ils jugent « proches du pouvoir » et refuser d’une manière générale la concentration des titres entre les mains d’une poignée de propriétaires, qui ne cesse de porter atteinte à la liberté d’expression dans son ensemble.
Voir notre infographie sur Xavier Niel et celle sur Alain Weill.