« ‘Zone sans LGBT’: embarras face aux jumelages avec la Pologne » (Huffington Post, le 21/02/2020), « Zones anti-LGBT : une commune du Loiret suspend son jumelage avec une ville polonaise » (Le Parisien, le 20/02/2020), « Une ville du Loiret rompt ses liens avec sa jumelle polonaise devenue ‘Zone sans LGBT’ » (C‑News, le 18/02/2020), « Une commune du Loiret suspend son jumelage avec une municipalité polonaise après des arrêtés homophobes » (Le Figaro, le 19/02/2020), « Nogent-sur-Oise suspend son jumelage avec une ville polonaise, gênée par sa politique anti-LGBT » (France 3 Hauts-de-France, le 21/02/2020), « Non, Château-Salins n’est pas jumelée avec une ‘zone sans LGBT’ en Pologne » (Le Républicain Lorrain, le 23/02/2020), « ‘Zones sans LGBT’: le Centre-Val de Loire rompt avec une région polonaise » (Têtu, le 25/02/2020) : voilà quelques-uns des titres parus dans les médias français ces derniers temps à propos de prétendues « zones sans LGBT en Pologne ». Seul le quotidien Présent, à la moindre diffusion, a pris le parti des Polonais dans cette affaire, critiquant une sur-réaction de certaines collectivités locales hexagonales sans doute liée à l’approche des élections municipales, alors que les grands médias français défendent quasi-unanimement les revendications des organisations LGBT. Le quotidien qualifié « d’extrême droite » dans les grands médias (et jamais désigné, même par l’AFP, comme un quotidien national, ce qu’il est pourtant) consacrait en effet une page entière à cette affaire dans son numéro du 26/02/2020, avec deux articles : « Les vapeurs LGBT de Saint-Jean-de-Braye » pour le côté français et «Droits des familles et protection des enfants » pour le côté polonais.
De quoi s’agit-il ?
En février 2019, le maire de Varsovie, Rafał Trzaskowski, adoptait une Charte LGBT+ par laquelle il s’engageait à ne pas allouer de contrats aux entreprises qui ne font pas suffisamment la promotion des personnes LGBT, et aussi à avoir dans les écoles de la capitale polonaises des activistes du mouvement LGBT chargés de défendre les droits des élèves non-hétérosexuels. En outre, et c’est ce qui a fait le plus polémique, le maire libéral (affilié au parti Plateforme civique, PO), s’est engagé dans cette charte à mettre en œuvre dans les écoles de la capitale polonaise une éducation sexuelle conforme aux « Standards pour l’éducation sexuelle en Europe » de l’OMS et du Centre fédéral allemand pour l’éducation à la santé (BZgA). Or ces standards sont accusés (et on peut vérifier dans le document donné en lien ci-dessus) d’encourager la masturbation des enfants dès le plus jeune âge, de banaliser l’avortement et de familiariser les enfants et adolescents avec les différents types de sexualité et d’identités sexuelles.
En réaction, à partir de mars 2019, des collectivités locales polonaises (communes, comtés et régions) ont adopté des résolutions par lesquelles elles s’auto-déclarent libres de toute idéologie LGBT – une idéologie qu’elles dénoncent – et s’engagent à respecter le droit des parents à élever leurs enfants selon leurs propres convictions et à ne pas imposer aux entreprises contractantes des critères tels que ceux mis en place à Varsovie. D’autres collectivités locales ont tout simplement adopté une Charte des droits des parents mise à leur disposition par l’organisation d’avocats et juristes conservateurs Ordo Iuris.
Pour en savoir plus, voir la résolution adoptée par la ville de Tuchów, dont la traduction en français (de qualité médiocre, mais très compréhensible) a été mise en ligne par la ville de Saint-Jean-de-Braye, où le conseil municipal a, malgré l’absence d’attaques ou de discriminations contre les personnes LGBT dans cette résolution, choisi de rompre un partenariat vieux de 25 ans entre les deux communes.
Voir aussi la version en anglais de la Charte des droits de la famille pour les collectivités locales : Charter of the Rights of the Family.
Côté polonais, les militants des organisations LGBT et les médias qui les soutiennent ne sont d’ailleurs pas pour rien dans ces ruptures de jumelages et dans les titres trompeurs des grands médias français. Explication du Visegrád Post, « Un ‘Atlas de la haine’ a été publié en janvier pour recenser les collectivités locales concernées par ces résolutions anti-idéologie LGBT, qui a ensuite été relayé dans plusieurs médias étrangers accompagné d’informations plus ou moins loufoques, allant jusqu’à prétendre qu’il s’agirait de zones interdites aux personnes LGBT ou de zones où les personnes LGBT n’auraient pas accès à certains services. »
Confusion volontaire entre idéologie et personnes
D’une manière générale, les médias français entretiennent la confusion entre idéologie LGBT et personnes LGBT pour taxer d’homophobes toutes les déclarations polonaises hostiles à une « idéologie LGBT ». C’est ainsi par exemple que Jarosław Kaczyński, le leader du PiS, est accusé d’avoir qualifié les homosexuels de « menace pour l’identité polonaise » alors qu’il avait en réalité évoqué une idéologie et non pas des personnes. Exemple dans un article du Huffington Post : « Le parti PiS, ou Droit et justice en français, actuellement au pouvoir, prend régulièrement les personnes LGBTI pour cible pendant les périodes de campagne. Le chef de file de la formation conservatrice Jaroslaw Kaczynski, n’hésitant pas à “dénoncer” dans ses discours ce qu’il considère comme “une menace” pour l’identité polonaise. »
De la même manière, et cela revient dans plusieurs médias à l’occasion de cette affaire de jumelages, l’archevêque de Cracovie qui avait qualifié en août 2019 cette nouvelle idéologie « néo-marxiste » de « peste arc-en-ciel » en référence à la « peste rouge » du communisme, est présenté dans les médias français comme ayant qualifiés les homosexuels eux-mêmes de « peste arc-en-ciel ». C’est pourquoi le terme d’idéologie LGBT est systématiquement écrit entre guillemets dans les articles cités plus haut, ce qui sous-entend qu’une telle idéologie n’existe pas et que toute critique de l’idéologie LGBT est forcément une critique des personnes en fonction de leur orientation sexuelle. C’est d’ailleurs aussi la lecture que semble en avoir fait le conseil municipal de Saint-Jean-de-Braye quand il a décidé de rompre ses relations avec la commune polonaise de Tuchów à cause d’une résolution qui s’en prend à l’idéologie LGBT (et pas aux personnes LGBT).
Ce glissement sémantique, également opéré par la militance LGBT en Pologne, est parfaitement illustré dans l’explication de Têtu : « Depuis janvier 2019, des comtés, municipalités et voïvodies (équivalents des régions françaises) ont mis en place des résolutions qui prétendent s’en prendre à ‘toute idéologie LGBT’ , qualifiées par les militants de ‘zones sans LGBT’ . ‘L’atlas de la haine’ en recense 88, soit une moyenne de 7,3 nouvelles zones par mois. 31 % de la population polonaise vivrait désormais dans une ‘zone anti-LGBT’. Comme le montre la carte, ce n’est probablement qu’un début : dans plusieurs dizaines de localités, des actions de lobbying sont en cours pour inciter les autorités locales à aller dans le même sens. »
Les sources des médias français : les militants LGBT
La plupart des articles sur ces « zones sans LGBT » (pour reprendre la terminologie des médias français) partent d’un texte du Huffington Post (« Les zones “sans idéologie LGBT” en Pologne s’étendent de manière inquiétante ») du 31 janvier, qui tire une large part de ses informations d’un militant LGBT polonais. Cet article a ensuite servi de base à un papier de Têtu (« Pologne : une carte recense l’inquiétante progression des ‘zones sans LGBT’ ») qui a inspiré la Femen Inna Shevchenko sur le site de Charlie Hebdo (« La Pologne ouvre la chasse aux gays »). Ces trois médias sont ensuite cités par plusieurs autres comme source d’information, tel Le Parisien qui écrivait le 20 février : « Comme le rappelle l’activiste ukrainienne Inna Shevchenko dans Charlie Hebdo, la Pologne fait partie des six pays de l’UE qui n’ont pas légalisé le mariage homosexuel. »
La militante d’ultra-gauche écrivait en effet dans son article du 19 février : « La Pologne fait partie des six pays de l’UE qui n’ont pas légalisé le mariage homosexuel (avec la Bulgarie, la Roumanie, la Slovaquie, la Lituanie et la Lettonie), et les discriminations et agressions à l’encontre des personnes LGBT n’y sont même pas considérées légalement comme des crimes de haine. »
En réalité, en Pologne comme en France, les discriminations à raison de l’orientation sexuelle sont strictement interdites et le caractère raciste ou homophobe d’une agression est un facteur aggravant au regard de la loi. Mais aussi, en ce qui concerne les pays de l’UE qui n’ont pas de mariages entre personnes du même sexe, la « sextrémiste » ukrainienne publiant dans un journal classé à l’extrême gauche a oublié l’Italie, la Hongrie, la Tchéquie, la Croatie, la Grèce… Mais tout cela n’empêche pas le journaliste du Parisien de reprendre son affirmation comme faisant autorité !
Autre exemple du sourçage des informations des médias français dans cette affaire, l’article du Républicain Lorrain cité plus haut, dans lequel il est écrit : « Tout part d’un recensement réalisé par les militants polonais du site Atlas of hate, repris et ‘vérifié’ par Têtu , recensant les villes, départements et régions de France qui disposent d’un jumelage ou d’un accord de coopération avec des localités polonaises qualifiées de « zones sans LGBT », dans lesquelles des services privés peuvent être refusés à des personnes LGBT pour des motifs religieux. Dans ce pays européen où le mariage des couples de même sexe est illégal, la communauté LGBT a en effet vu ses droits menacés depuis le retour au pouvoir, en 2015, du parti ultraconservateur Droit et justice (PiS), très lié à l’Église catholique. »
Le PiS dans le Camp du Mal
On notera aussi que le parti Droit et Justice (PiS) qui gouverne la Pologne depuis 2015 (et a reconduit sa majorité absolue aux élections d’octobre 2019) est unanimement désigné comme le grand coupable d’une supposée « chasse aux gays » nationale (pour reprendre les mots de Charlie Hebdo). Pourtant, les conseillers PiS ne sont pas les seuls à voter ces résolutions contre l’idéologie LGBT ou ces chartes des droits de la famille dans les collectivités locales polonaises, avec la prétention de défendre justement les libertés et les droits civiques (liberté de conscience et d’expression, droit d’élever ses enfants selon ses convictions, etc.). C’est ainsi que le journal polonais Gazeta Wyborcza, très hostile au PiS et très favorable aux revendications des organisations LGBT, recensait le 6 février 2020 un total de 838 conseillers du PiS, 437 conseillers des comités locaux et 133 conseillers du parti agraire PSL (qui a gouverné la Pologne avec les libéraux de la PO de 2007 à 2015 et qui est affilié au Parlement européen, comme la PO, au Parti populaire européen) ayant voté ce type de résolutions déjà adoptées selon Gazeta Wyborcza dans 93 collectivités locales polonaises.
Mais, comme l’explique Shevchenko dans Charlie Hebdo, dont le point de vue ne se démarque pas particulièrement sur ce dossier de celui des grands médias français : « Le gouvernement conservateur du PiS a déjà porté atteinte à l’indépendance de la justice, refusé de respecter les quotas de réfugiés fixés par l’Union européenne et s’est battu pour restreindre davantage encore le droit à l’avortement dans le pays. Il tente désormais de protéger ‘ l’identité chrétienne’ de la nation polonaise en créant des zones ‘ LGBT free’ (sans LGBT) à travers le pays. »
Un montage militant repris comme officiel
Comme d’autres médias (tel Le Républicain Lorrain cité plus haut), l’Ukrainienne reprend à son compte un bobard que certains politiques et journalistes ont fait circuler à ce propos : « Pologne 2020, un pays membre de l’UE, possède maintenant ce genre de panneaux “LGBT free zone”. Une des Faces émergées des LGBT-phobies qui touchent, ne soyons pas naïfs, le monde entier. »
Explication du Visegrád Post : « Protestant lui aussi contre les résolutions adoptées par ces collectivités locales, un activiste gay polonais [celui interrogé par le Huffington Post et également cité dans l’article de Charlie Hebdo, NDLR] a photographié un panneau qu’il avait lui-même installé à l’entrée de certaines des villes concernées avec la mention ‘Zone libre de LGBT’ en polonais, anglais, français et russe. Tous n’ont pas compris son action, et certains politiciens et journalistes occidentaux ont relayé la photo en s’imaginant que ce panneau avait été installé par les collectivités locales pour interdire l’accès des homosexuels à leur territoire. »
Une telle couverture médiatique serait risible si elle ne nuisait à ce point à la coopération et à la bonne compréhension entre Européens. Un esprit malin pourrait dire que le manque de pluralisme et de rigueur des médias français en deviendrait presque dangereux…ou bien l’est déjà.