Estampillé conforme
Né en 1967, Nicolas Truong dirige depuis près de quinze ans les pages « Idées-Débats » du Monde. Contrairement à ce qu’un habitant de Sirius pourrait attendre d’un quotidien national, il ne fait guère preuve d’honnêteté idéologique, ni ne fait mystère de ses penchants intellectuels poussant très loin à gauche le bouchon de ses idées.
Échappé d’une revue confidentielle qu’il avait lancée lui-même à l’orée des années 90, M. Truong se fait bientôt embaucher au Monde, dans le supplément Éducation. De cette redoute, il commence à arroser de piges tous les titres de la presse de gauche et assimilés : il remue des idées qu’il croit alors immortelles, celles de Jacques Rancière, d’Edgar Morin, d’Alain Badiou. Tant et tant qu’après le naufrage du festival d’Avignon à l’ancienne durant l’été 2003, les nouveaux organisateurs viennent le chercher pour lui proposer d’animer un « Théâtre des idées ».
« L’idée des codirecteurs, racontera-t-il, c’était que le Festival redevienne un lieu de parole, de critique du monde, et que les intellectuels reviennent au théâtre. Ils m’ont demandé de créer un espace pour ça, pour aider à dépoussiérer et à mettre en relation. J’ai invité Jacques Derrida autour d’une question : l’Europe » (entretien avec Clémentine Autain, revue Regards, 28 juin 2013).
De ces « rendez-vous » estivaux où des maîtres sorbonagres de gauche viennent réciter des textes pour éclairer le chaland naîtront plusieurs publications comme Résistances intellectuelles ou Éloge du théâtre écrit avec Alain Badiou. À Avignon toujours, décidément féru de théâtre, il avait mis en scène en 2003 La vie sur Terre, adaptation de textes issues de la « pensée critique », comme les Lettres, articles et essais de George Orwell.
Théâtre philosophique
Depuis, comme il le dit modestement, il tente de faire vivre un théâtre philosophique, savant et ludique, qui vise à « faire advenir des émotions de pensée ». C’est ainsi qu’est né le Projet Luciole, présenté en 2013, toujours au Festival d’Avignon, en collaboration avec Judith Henry et Nicolas Bouchaud qui construiront avec lui son projet Interview : un spectacle monté au Théâtre du Rond-Point pour « s’interroger sur une technique de travail médiatique », le spectacle étant lui-même construit autour d’entretiens, d’interviews, avec plusieurs reporters célèbres, dont Florence Aubenas et Jean Hatsfeld. « L’ensemble est un joyeux questionnement sur l’art d’interroger », l’aridité de la pensée déconnectée de tout réel et noyée dans ses propres mots n’empêche pas d’être « joyeux. »
Nicolas Truong, entre deux articles dézinguant la droite et l’extrême droite, participe aussi aux « Ateliers de la pensée » depuis 2014. C’est le 13 octobre 2019 au Salon du livre de Blois, dans le cadre des 22e Rendez-Vous de l’histoire qu’il donne toute sa mesure. Il est en effet commis pour interviewer Gérard Noiriel sur le sujet léger et objectif suivant :
« De Drumont à Zemmour : aux racines du discours réactionnaire. Comment Édouard Drumont, chef de file de l’antisémitisme français à la fin du XIXe siècle, et Éric Zemmour, pamphlétaire à succès, ont-ils réussi à cristalliser autour d’eux des sentiments réactionnaires ? Et comment les combattre ? Par une approche sociohistorique comparative, Gérard Noiriel étudie le rôle, la place et la réception de leur discours dans le paysage social, politique et médiatique français ».
Bouvard et Pécuchet
« Truong et son ami politique Noiriel renversent le réel : les bien-pensants seraient ceux qui s’opposent à l’idéologie dominante, celle du Monde, des Noiriel et des Truong. Il fallait oser ».
En effet, pour un théoricien de l’interview, celle-ci a un goût de trucage : les deux comparses sont en train d’écrire ensemble un livre sur les Gilets jaunes mais surtout se passent le sel et la rhubarbe en direct. Le tout devant un public censément invité pour entendre parler d’histoire, à qui ils content comment le juif Zemmour est un digne hériter de l’antisémite Drumont. De même dans ses pages du Monde, Truong excelle pour dénoncer des chroniqueurs télé en vue, cherchant à les assigner à une extrême droite introuvable qui devrait les empêcher de fréquenter les plateaux. Quand lui et ses camarades post-communistes auraient bien entendu toute latitude pour hanter lesdits plateaux. Nicolas Truong incarne le journaliste de gauche typique des années 90, sûr de lui et dominateur, une espèce en voie de disparition.
Formation
Inconnue
Parcours professionnel
1988
Il fonde la revue littéraire et éphémère Lettre, qui durera jusqu’en 1993.
Depuis 1993
Journaliste au Monde de l’Éducation.
Depuis 2005
Conseiller à la rédaction de Philosophie magazine (il coréalise notamment l’entretien entre Michel Onfray et Nicolas Sarkozy lors de la campagne pour l’élection présidentielle 2007).
Depuis 2000
Collaborations au Monde diplomatique, à la revue Lignes, et aux revues Schnock et Charles (groupe La Tengo).
Depuis 2004
Responsable du « Théâtre des idées » au festival d’Avignon.
Au printemps 2020
Grand reporter au Monde en charge du monde des idées et de la vie intellectuelle.
Parcours militant
Non renseigné
Ce qu’il gagne
Non renseigné
Publications
- Le sens de la République, avec Patrick Weil, Grasset (juin 2015)
- Le Théâtre des idées, Flammarion (2008). Réunissant « 50 penseurs majeurs pour comprendre le XXIe siècle », c’est le chef d’oeuvre du journaliste engagé, qui aura réussi à mêler idéologie et théâtre pendant des années à Avignon, développant une pensée pour le moins obscure sur la nécessité du commun, le rapport entre Orient et Occident, la crise de la représentation politique, la métamorphose du travail, le retour du sacré, les sociétés en quête d’identité, et l’actualité des « résistances ».
Résistances intellectuelles. Les combats de la pensée critique, L’Aube, 2013. Livre collectif où se croisent Jacques Rancière, Jean-Luc Nancy, Françoise Héritier, Bernard Stiegler, Frédéric Lordon, Pierre Rosanvallon, François Cusset, Edgard Morin ou Michel Onfray. - Projet Luciole, Venenum éditions (2014)
- Éloge du théâtre, avec Alain Badiou, Flammarion (2016). Le journaliste y donne la parole au vieux philosophe maoïste qui continue d’exercer son mandarinat malgré ses positions légèrement complices des totalitarismes communistes du XX siècle.
- Éloge de l’amour, avec Alain Badiou, Flammarion (2016)
- Une histoire du corps au Moyen-Âge (contribution), dir. Jacques Le Goff, Liana Lévi (2017)
- Les Gilets jaunes à la lumière de l’histoire, entretiens avec Gérard Noiriel, Le Monde/L’Aube (2019). Le journaliste et l’historien s’entretiennent de la crise des Gilets jaunes, qu’ils ne parviennent à comprendre que sous l’angle de la « question sociale », tentant d’en abstraire le mouvement identitaire profond, pour essayer de le rabattre vers la gauche rassurante qu’ils connaissent.
- Pourquoi il ne faut plus dire « je t’aime », avec François Jullien, Le Monde/L’Aube (2019)
- Engagez-vous, de Stéphane Hessel, L’Aube, 2015 (rééd. 2020). Dans ce livre qui rassemble deux textes de l’icône défunte de la gauche Stéphane Hessel, l’un est un court dialogue mené par Nicolas Truong censé révéler la passion de Hessel pour la philosophie.
- Vivre autrement, de Claire Marin, L’Aube, 2021. Le livre est tiré d’échanges parus dans les pages du Monde, au cours duquel les deux intervenants devisent de l’influence de la pandémie sur l’intimité des individus
Il l’a dit
« Les lucioles symbolisent la joie et le désir qui illuminent amis et amants au cœur de la nuit. Mais auraient-elles disparu ? Pour Pier Paolo Pasolini, leur extinction due à la pollution est la métaphore d’une humanité rongée par la « merdonité » de la modernité ». Projet Luciole
« Qu’on ait été communiste ou pas, qu’on soit artiste ou pas, la société a mal à son commun. Elle est en état de “commun dépassé” » (entretien avec Clémentine Autain dans la revue Regards, 2013).
« Je pense qu’il faut un service public des idées, pas conçu comme une pensée d’État ou qui servirait de légitimation à une programmation culturelle. On peut considérer qu’il devrait exister un accès libre et partagé à l’intellectualité » (entretien avec Clémentine Autain dans la revue Regards, 2013).
« Julien Coupat dessine une éthique de la révolution, au sein de laquelle ce n’est plus à la théorie, mais à la vie de guider l’action : « Nos vies sont devenues les garantes de nos mots, et non plus le contraire. » C’est pourquoi, loin des grandes proclamations et entités, « on recommencera en partant de l’amitié, de l’amour, des distances, des lieux, des liens et des proximités ». La révolution est décidément une affaire d’émotion » Le Monde, 28 février 2019.
« Les querelles sur la pertinence de la notion de France périphérique ou sur le sens à donner au mot peuple témoignent d abord d’un retour de la question sociale, comme l’illustre cet entretien avec Gérard Noiriel. Or une grande partie de l’intelligentsia l’avait mise de côté, voire discréditée au profit d’une focalisation sur la question de l’identité. À force de n’être pas la cause de tout, les conditions sociales n’étaient plus la cause de rien. Les voilà qui reviennent, pour le meilleur et pour le pire, entre émancipation et réaction » (Les Gilets jaunes à la lumière de l’histoire).
« Le national-populisme a ses partisans, son credo, ses héros, ses réseaux, ses revues, ses auteurs et ses aficionados. Mais, intellectuellement, ce courant est sorti du ghetto. Et, médiatiquement, il se sent porté par le vent et se répand à l’envi sur les ondes et les écrans, pas uniquement sur des stations d’extrême droite, mais aussi dans certaines émissions de BFM-TV, CNews ou LCI », Le Monde, 6 mars 2020.
« Ainsi envisagée, l’écologie pense la totalité, c’est pourquoi les réactionnaires l’accusent d’être totalitaire. Sans compter le malaise des néoconservateurs, qui oscillent entre le déni climatique, le pari sur les solutions technologiques et les railleries envers les écologistes (qualifiés d’« amishs » ou de « Khmers verts »), les zadistes (régulièrement assimilés à des « punks à chien »), les animalistes, les végans ou la « radicalité » des écoféministes qui – horresco referens – réhabilitent la figure des sorcières », Le Monde, 14 janvier 2022.
Sa nébuleuse
Edgar Morin, Alain Badiou, Stéphane Hessel (+), Gérard Noiriel, Julien Coupat.
Il est un habitué du Festival International du Journalisme organisé chaque année depuis 2016 à Couthures-sur-Garonne à l’initiative de la rédaction du Monde.
Ils ont dit
« Ils vont et viennent, sont instables, incertains, désirants, fantasques. Ils sont là pour faire danser les paroles de Baudrillard, Orwell, Adorno, Didi-Huberman, etc. Ils en font une scène d’amour, de ménage, de malentendu, parfois même un vaudeville. Sur scène, quand la lumière baisse, le sol est jonché de feuilles volantes, translucides : lucioles, que l’universel bavardage éteint. C’est un spectacle, en somme, à la bougie ». Philippe Lançon, Libération, à propos de Projet Luciole.
« Résultat : Le Monde publie un caustique article dont l’auteur – Nicolas Truong, responsable des pages dédiées aux « débats » du quotidien du soir – se gausse de cet « embarrassant panégyrique », et de l’application toute particulière que Giesbert met à flatter Fillon. Pour FOG, qui est plus habitué aux flagorneries que lui prodiguent par exemple les collaborateurs du Point lorsqu’il publie un livre, c’en est trop : dans le numéro suivant de La Revue des deux mondes, il se déchaîne contre les « pisse-froid » du quotidien du soir, « un journal qui suinte souvent la haine, le ressentiment, ce que Spinoza appelait les “passions tristes” ». Sébastien Fontenelle, Les éditocrates 2. Le cauchemar continue, La Découverte, 2018.
Illustration : capture d’écran vidéo theatre-contemporain.net