En deuil de Marianne
« Les grands médias de masse disent et tiennent les mêmes discours. » (DSK, Hollande, etc., documentaire de Pierre Carles, 2012)
Co-fondateur, avec Jean-François Kahn, de l’hebdomadaire Marianne dont il est devenu le PDG après la démission de ce dernier, Maurice Szafran a dirigé jusqu’au 6 novembre 2013 le magazine qui prétend depuis quinze ans représenter une vraie alternative à la « pensée unique » et aux médias traditionnels. À cette date, il quitte en effet l’hebdomadaire en raison d’une divergence avec les autres actionnaires sur la stratégie à suivre pour tenter de redresser les comptes de Marianne qui depuis la fin de l’ère Sarkozy s’enfonce dans le rouge. Dans le retentissant documentaire de Pierre Carles sur le rôle et l’influence des médias lors d’une élection présidentielle (DSK, Hollande, etc.), en quelques minutes de conversation avec une journaliste, Maurice Szafran a exposé le rôle du magazine dont il assurait alors la direction. « Les grands médias de masse disent et tiennent les mêmes discours. », annonce-t-il en propos inaugural, pour décrire la spécificité de Marianne. « DSK, puis Hollande ont été les candidats de la Presse, ça, c’est juste… », reconnaît-il quelques minutes plus tard. Enfin, en Off, il conclue tranquillement : « Nous, on a plutôt soutenu Hollande. » Soit : on a tenu les mêmes discours que les grands médias. CQFD.
Il est né en septembre 1954 à Paris.
Formation universitaire
Maurice Szafran est titulaire d’une licence de droit.
Parcours professionnel
Maurice Szafran débute sa carrière de journaliste en 1977 au service des sports du Matin de Paris, alors dirigé par Jacques Marchand. Il passe ensuite au Point, dans la section culture, puis devient directeur de L’Événement du Jeudi avec Jean-François Kahn. C’est avec le même qu’il fonde l’hebdomadaire Marianne en 1997, prenant le poste de directeur de la rédaction. Lorsqu’en juillet 2008, Jean-François Kahn démissionne, il est élu à l’unanimité à la tête de l’hebdomadaire. De 2009 à 2012, il se trouve être également l’administrateur du Syndicat professionnel de la presse magazine et d’opinion (SPPMO). Marianne se fera, durant toute la présidence de Nicolas Sarkozy (de 2007 à 2012), le média anti-sarkozyste par excellence, enchaînant les couvertures offensives à l’encontre du chef de l’État et jouant sur son impopularité croissante. Pourtant, lors d’un entretien avec les chroniqueurs de l’émission « On n’est pas couché », animée par Laurent Ruquier, en 2011, tandis que Maurice Szafran et Nicolas Domenach s’expriment au sujet de leur livre : Off : Ce que Nicolas n’aurait jamais dû nous dire, les deux journalistes admettent qu’ils ont pu être « proches de Nicolas Sarkozy », une position pour le moins ambiguë, donc, d’opposants familiers de leur principale cible. Contrecoup de l’élection de François Hollande, Marianne perd, avec l’anti-sarkozysme, sa plus grande raison d’être et une bonne partie de ses lecteurs, déçue par la tiédeur de l’hebdomadaire dans ses critiques du nouveau gouvernement (https://www.ojim.fr/du-rififi-chez-marianne/?format=pdf). La seule cible véritable et permanente du magazine demeure le Front National, à l’instar de tous les autres medias français. Une cible facile, donc, mais visée sans relâche, qu’il s’agisse de qualifier de “salope” la présidente du mouvement politique (Nicolas Bedos dans ses chroniques, renvoyé avec Maurice Szafran devant le tribunal correctionnel pour injure publique, le 19 décembre 2012), ou de s’attaquer aux journalistes soupçonnés de complaisance. Ainsi Élisabeth Lévy, accusée de “blanchir les idées du FN” (Marianne, avril 2012), ou même Philippe Cohen, pourtant collaborateur de Maurice Szafran à Marianne, accusé du même crime suite à la parution de Le Pen, une histoire française, écrit avec son collaborateur Pierre Péan. Par ailleurs, en mars 2012, Maurice Szafran organise le meeting « Algérie, 50 ans après », déclenchant la colère des associations de Pieds-noirs qui lui reprochent d’avoir évoqué la question de manière unilatérale et d’avoir accueilli Zohra Drif, ancienne activiste du FLN ayant commis l’attentat du Milk Bar en septembre 1956…
Au printemps 2014, Maurice Szafran fait l’acquisition, aux côtés de Thierry Verret et Gilles Gramat, du groupe Sophia Publications. Cette société édite notamment Le Magazine Littéraire ou encore Historia.
Il déclenche une polémique sur le plateau du Grand Journal en 2016 lorsqu’on lui demande de réagir à l’affaire dite du café de Sevran qui mettait en lumière le comportement discriminatoire affiché des habitants issus de l’immigration maghrébine. Dans une volonté de dédouaner la culture islamique et de diriger le feu de la critique vers une autre cible, il affirme que la misogynie islamique est similaire à celle que l’on peut observer en Corse, en précisant que les femmes ne sont pas les bienvenues dans certains espaces publics dans l’île de Beauté. Devant l’avalanche de commentaires sarcastiques sur les réseaux sociaux, il reconnaîtra avoir fait preuve de maladresse.
En 2017, alors qu’il n’est qu’éditorialiste invité au magazine Challenges, il prend activement le parti de Macron et éreinte à longueur de tribunes les adversaires du candidat tout en louant la candidature subversive et hardie de celui dont il estime qu’il n’est en aucun cas le « candidat des médias », allant jusqu’à qualifier cette accusation de « crypto-complotiste ». Sa dévotion est telle qu’il fait pression sur les journalistes, à l’instigation de l’équipe de campagne de Macron, pour retirer du site un article critiquant la véracité de la déclaration de patrimoine du futur président. Devant ces infractions répétées à la neutralité de la ligne éditoriale, la Société des Journalistes de l’hebdomadaire publie un communiqué le 16 mars, déplorant le traitement partisan de la campagne par Maurice Szafran et Bruno Roger-Petit et les interventions déplacées du premier cité. Si Bruno Roger-Petit sera nommée porte-parole du Président l’année suivante en reconnaissance de bons et loyaux services, Szafran gagnera, quant à lui, un accès privilégié à l’Élysée qui lui permettra d’étoffer son hagiographie consacrée au Président « Le Tueur et le poète ».
Maurice Szafran claque la porte de Radio Classique, après cinq ans comme débatteur sur les ondes, au début de l’année 2019. Cette décision résulte de la volonté de la direction de la radio d’inviter Eric Zemmour dans le panel d’éditorialistes qui débatte chaque jeudi matin dans l’émission Esprits Libres présentée par Guillaume Durand. Il justifie son choix dans les colonnes du Nouveau Magazine Littéraire : « C’est incompréhensible. Éric Zemmour défend des thèses racistes, révisionnistes, et délirantes sur l’Islam. Il n’a rien à voir avec les valeurs défendues par cette radio, libérale, intellectuelle et de haut niveau, je ne comprends pas ce qu’il vient faire là. […] Débattre avec lui, je l’ai déjà fait. Appartenir à la même équipe que lui, c’est non. D’ici deux mois, le scandale sera inéluctable, il y aura une polémique. »
Combien il gagne
« Chaud l’ambiance à Marianne ! Il n’y a pas que l’affaire Macé-Scaron. Dans le cadre des élections au Comité d’entreprise en juin 2011, la liste SNJ-CGT a diffusé un tract dénonçant la forte augmentation des cinq plus hauts salaires de l’entreprise et l’importance des notes de frais de ces dirigeants (d’un montant total de 190 000 euros pour l’année 2010). Selon nos informations, ce tract a fait grand bruit au sein de la rédaction et une salariée, déléguée syndicale, a été poussée vers la sortie. » Source : Arrêt sur Images
Publications
- Les familles du président, avec Sammy Ketz, Grasset, 1982.
- Chirac ou les passions du pouvoir, Grasset, 1986.
- Les Juifs dans la politique française, Flammarion, 1992.
- Le Testament inachevé, avec Nicolas Domenach (Entretien entre les deux journalistes et le cardinal Albert Decourtray), Paris, Flammarion, 1994.
- De si bons amis, (au sujet des rapports entre Chirac et Balladur) avec Nicolas Domenach, Plon, 1994.
- Simone Veil. Destin, Flammarion, 1994.
- Le Roman d’un président, avec Nicolas Domenach, Paris, Plon — Biographie de Jacques Chirac en 3 tomes :
- L’humiliation, la résurrection, le reniement (1988–1995), vol. 1, 1997.
- Le Miraculé, vol. 2, 2000.
- Le Sacre, vol. 3, 2003.
- Les cigares, Flammarion, 1999.
- La grande histoire du cigare, avec Bernard Le Roy, Flammarion, 2001.
- Malaise dans la République : intégration et désintégration, avec Anne Révah-Lévy, Plon, 2002
- Off : Ce que Nicolas n’aurait jamais dû nous dire, avec Nicolas Domenach, Fayard, 2011.
- Il faut tout changer!, avec Christian Estrosi, Albin Michel, 2017.
- Le Tueur et le Poète, avec Nicolas Domenach, Albin Michel, 2019.
Collaborations
- Forum « Libération » à Grenoble sur le thème « Vivre la République », 27 janvier 2012, avec Jean-Luc Mélenchon et Nicolas Demorand.
- Colloque : « L’Algérie, cinquante ans après, une histoire commune », organisé avec Chérif Rezki, mars 2012. » »
- « Presse, politique et indépendance rédactionnelle », débat avec Laurent Joffrin, organisé à la BNF, le 6 juillet 2012.
- Séminaire « La guerre des droites aura-t-elle lieu ? » avec Camille Bedin, Jean-Claude Casanova, Jean-Luc Mano, 14 octobre 2012.
- Conférence-débat « La France peut-elle cesser de tomber ? » avec Nicolas Baverez, organisée par La Règle du Jeu au cinéma Etoile Saint-Germain-des-Prés, le 30 mars 2014.
- Conférence « Le journaliste est-il par définition engagé ? », organisée à l’Université de Nantes, le 4 novembre 2016.
- Festival littéraire « Les Idées mènent le monde », dialogue avec Nicolas Domenach, organisé au Palais Beaumont de Pau, le 23 novembre 2019.
Il l’a dit
« Il y a deux choses qui m’importent. Une que n’a pas dite Monique Pinçon-Charlot et une seconde qu’elle a dite, je vais commencer par ça. Vous parlez d’un travail de sociologues, c’est tout le problème en réalité. C’est tout le problème parce que, est-ce que c’est un livre qui répond aux règles de l’enquête sociologique ? – chacun pense ce qu’il veut – ; ou est-ce que c’est un livre, et dans ma bouche ça n’a rien de déshonorant tout au contraire, est-ce que c’est un livre de militant ? C’est ça la question que pose ce livre. […] Je parle pas de vous en particulier [à Monique Pinçon-Charlot, ndlr]. J’en ai marre. J’en ai marre, j’en ai marre des universitaires ou des scientifiques qui, utilisant le cursus, leur carrière, leur professorat, etc., dissimulent le fait qu’ils sont qu’ils sont des militants.», C dans l’air, 2 février 2019.
« On a réussi en dix ans, avec très peu de moyens, un journal qui tient et qui tiendra après lui (Jean-François Kahn) et après le pape ! », Stratégies, 10 avril 2008.
« Le paysage journalistique est uniforme et, pour les lecteurs, sans intérêt. Il y a une ligne, tout le monde pense pareil. C’est le triomphe économique, politique et culturel du néolibéralisme. La presse toute entière s’est engouffrée dans ce discours, à de très rares exceptions près. Le problème, ce n’est pas la liberté de ton, mais la pensée unique, la pensée conformiste », 2e journées du grand reportage et de la parole libre à Marseille, décembre 2008.
« C’est l’un des grands problèmes de ce métier: c’est un métier de petits bourgeois, avec des salaires de petits bourgeois, qui passent leurs journées avec des gens de pouvoir et des gens riches », ibid.
« Renaud Camus est un besogneux de la plume et une petite frappe antisémite… » (Source)
« Dans quel pays vit Mlle Lévy et ses compagnons de route ? Certainement pas dans le pays “réel”. Mlle Lévy ferait bien de le fréquenter davantage, ce pays ”réel”. Cela lui éviterait quelques stupidités d’anthologie », Marianne2, avril 2012.
Nébuleuse
Jean-François Kahn ; Nicolas Domenach ; Edwy Plenel ; Jacques Marchand ; Renaud Dély ; Elie Barnavi ; Nicolas Bedos ; Philippe Cohen ; Jacques Julliard ; Aude Lancelin ; Emmanuel Lévy ; Joseph Macé-Scaron ; Laurent Mauduit ; Alain Rémond.
Ils ont dit
« Maurice Szafran est la voix du peuple. Qui n’est pas d’accord avec lui est “incapable“ de “prendre en compte le réel“, incapable d’entendre “ces millions de citoyens scandalisés“ par “ces adolescents retardés“, incapable d’entendre aussi “le dégout“ qui “monte de la rue, des bistrots, des villages“ (sic) », Blog de Julien Dray, juin 2010)
« Dès mes premières difficultés, certains se sont démarqués de moi le plus vite possible. Maurice Szafran, par exemple. Il venait sur mon bateau passer des vacances. Il montait dans mon avion pour aller voir les matches. On était des amis. Pourtant, lui et quelques autres ont écrit les pires choses », Bernard Tapie, Médias, décembre 2008
« Ils viennent parler indépendance, alors que ce sont les larbins du capitalisme et que l’on n’entend qu’eux, tout le temps », Nina, une militante du mouvement FTP (“Faites taire les perroquets”) lors de l’action entreprise à l’occasion du débat : “Presse, politique et indépendance rédactionnelle”, à la BNF, le 6 juillet 2012
« Depuis que Maurice Szafran s’est lancé dans Sophia Publications, le Magazine littéraire aurait-il perdu quelques-uns de ses nucléotides ? La couverture du futur numéro est éloquente : Françoise Sagan et Bernard-Henri Levy côte à côte, ou plutôt l’un au-dessus de l’autre… le duo laisse rêveur. Il paraît, pourra-t-on lire à la fin de la chronique, qu’il y a de la poésie dans BHL… du surréalisme, peut-être ? Ou du Dada ? Pas même : pour la pièce de théâtre Hôtel Europa. Mais ce qui émouvra certainement le plus, c’est l’édito politique que l’on retrouvera, qui fait état du silence des écrivains israéliens dans le conflit entre Palestine et Israël. Signé par Maurice Szafran, certains se demandent si l’on n’assiste pas à une résurgence ancienne du rôle politique de l’intéressé, au sein de Marianne.» ActuaLitté, 27 Août 2014
« Elle [la polémique concernant le livre de Péan et Cohen sur Le Pen, ndlr] est symptomatique de la dégénérescence de la presse française. La critique de Maurice Szafran est un cours de morale. Ce n’est pas une réponse sur des faits. Les journalistes ont peur du monde dans lequel ils vivent. », Marcel Gauchet, Le Débat, 9 novembre 2012.
« D’autre part, ce qui explique la sévérité particulière de la condamnation infligée à Marianne, c’est le comportement particulier de la journaliste Lisa Vignoli, qui d’ailleurs a quitté l’hebdomadaire depuis, comme de son ancien PDG, Maurice Szafran. J’ose donc espérer que le « nouveau Marianne » est aujourd’hui différent. Je rappelle en effet que la journaliste en question a totalement manipulé l’interview du philosophe Vivien Hoch dont elle se prévalait pour se livrer à des accusations aussi extravagantes contre Robert Ménard. D’autre part, Maurice Szafran, tout en reconnaissant le bien-fondé de notre position, a prétendu que présenter ses excuses était « étranger à la tradition de la presse française », ce qui est à la fois faux et d’une arrogance significative de certains journalistes.», Gilles-William Goldnadel, commentant la décision du tribunal concernant la plainte pour diffamation de Robert Ménard visant Marianne, Boulevard Voltaire, 18 janvier 2014.
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