Peu connu du grand public il y a encore quelques semaines, Didier Raoult est rapidement devenu un personnage de premier plan dans la lutte contre le coronavirus. Alors que sa notoriété a explosé ces derniers jours, allant même jusqu’à faire la une de Paris Match le 20 mars dernier, le professeur marseillais est désormais au cœur d’une controverse médiatique de plus en plus affirmée, qui semble parfois aller jusqu’à une certaine forme de dénigrement.
Populisme médical ?
Si le directeur de l’Institut hospitalo-universitaire Méditerranée Infection est connu pour avoir une personnalité clivante liée à son fort tempérament, les nombreuses attaques qu’il subit désormais semblent obéir à une logique plus politique.
En cause, la détestation réciproque entre le milieu médical parisien et Didier Raoult, épineux sujet auquel Marianne a consacré un article le 26 mars, deux jours après que le microbiologiste ait décidé de se mettre en retrait du conseil scientifique d’Emmanuel Macron.
L’attitude rebelle de Didier Raoult envers certaines des plus hautes autorités médicales lui valent désormais d’être perçu comme une sorte d’agitateur qui agace jusqu’au sommet de l’État. Ainsi, Europe 1 nous apprend le 27 mars qu’il est qualifié de « gilet jaune de la médecine » par un proche d’Emmanuel Macron, en analysant que la polémique autour du professeur révèle « une profonde division au sein du monde médical entre des sphères académiques, l’élite de la profession, réunis autour du Président, et les médecins de terrain, chefs de services dans les hôpitaux, pour la plupart très critiques à l’égard du pouvoir dans sa gestion de l’épidémie ».
Un parallèle avec les Gilets Jaunes, vus comme symbole contestataire par excellence, déjà employé par BFM le 26 mars dans l’émission BFM Story intitulée « Didier Raoult : le gilet jaune des blouses blanches ? ». Par ailleurs, après avoir été qualifié d’« égérie des complotistes », comme nous l’avons évoqué dans un article sur ce sujet, le professeur Raoult est maintenant vu comme incarnant un « homme providentiel » selon l’historien Jean Garrigues interrogé par L’Express le 31 mars, qui prends soin de bien préciser qu’il faut à ce titre faire attention à la « dérive populiste » qui peut en découler…
Clivage Paris / province
Une « dérive populiste » qui proviendrait du positionnement qu’incarne le scientifique, porte-parole d’une médecine ancrée dans le réel, opposée à une élite médicale technocratique, comme l’explique CNews le 31 mars. Reprenant des propos tenus par le professeur Raoult lui-même, qui disait le 22 mars au Parisien « Ce n’est pas parce que l’on n’habite pas à l’intérieur du périphérique parisien qu’on ne fait pas de science », l’article voit là une réactivation d’un « clivage que l’on pensait dépassé entre Paris d’un côté et la province de l’autre ». Il cite ensuite une analyse de Frédéric Dabi, le directeur-adjoint de l’IFOP, qui voit même ici un « clivage nord-sud », soulignant pour illustrer son propos que « l’infectiologue est soutenu par de nombreuses personnalités politiques de la région Sud (anciennement PACA), en majorité de droite, comme le président LR de la région Renaud Muselier, le maire LR de Nice Christian Estrosi, ou la députée LR des Bouches du Rhône Valérie Boyer ».
Personnalité « controversée »
Alors que la dispute scientifique a pour origine la question du traitement préconisé par le professeur Raoult (et notamment son encadrement médical), on a pu noter que ce sujet a dépassé le cadre des enjeux de santé publique et a pris une dimension désormais largement politique.
Nombre de médias de grand chemin tentent de discréditer le professeur Raoult avec plus ou moins de subtilité, comme l’indique le champ lexical utilisé. Ainsi, La Croix parlait le 28 mars du « controversé Professeur Raoult », L’Opinion lui reconnaissait un « CV impressionnant » mais revenait également sur sa « réputation controversée », La Voix du Nord titrait le 30 mars « Didier Raoult, ponte de la recherche et roi de la polémique » quand Le Télégramme le qualifiait la veille de « prophète de la chloroquine », laissant entendre que son traitement relevait peut-être d’avantage de la foi que de la science. Une expression plus ou moins proche de ce qu’avait déjà sous-tendu BFMTV le 27 mars, présentant Didier Raoult dans la description du reportage lui étant consacré comme « scientifique génial pour les uns, charlatan pour les autres ». Un propos étonnant, au vu du parcours et du CV de l’intéressé.
Un opposant politique ?
Cette remise en cause des qualités scientifiques du directeur de l’IHU de Marseille tient sans doute au positionnement qu’il occupe désormais dans la sphère médicale comme politique, catalysant à la fois les espoirs d’une large partie de la population et la contestation envers un pouvoir à qui l’on reproche une gestion catastrophique de la crise. En cela, le professeur Raoult, même s’il se garde bien de faire de la politique, est devenu peut-être malgré lui une sorte d’opposant à tout un système de santé publique de plus en plus décrié.
Cela lui vaut désormais d’être attaqué au-delà de la sphère purement médicale. L’exemple le plus emblématique provient de Daniel Cohn-Bendit qui, invité à s’exprimer sur LCI a déclaré au sujet du microbiologiste : « Qu’il ferme sa gueule et qu’il soit médecin ! Qu’il arrête de dire partout : je suis un génie. Il y en a marre de ce genre de mec ». Était également présent l’ancien ministre Luc Ferry (qui avait appelé à tirer à balles réelles sur les Gilets Jaunes) que l’on voit abonder dans le sens de Cohn-Bendit en affirmant être d’accord avec lui, et pointant la personnalité de Raoult comme un « problème ». Le positionnement qu’il occupe semble déranger certaines figures politiques bien connues et proches du pouvoir. Une hystérie anti-Raoult qui « relève de toute évidence de l’idéologie » comme l’analyse Anne-Sophie Chazaud dans sa tribune du 30 mars pour le Figarovox.
Malgré tout, le professeur peut compter sur quelques soutiens de poids, venus d’horizons politiques les plus divers. Parmi eux, l’urgentiste Patrick Pelloux, ancien collaborateur de Charlie Hebdo, a pris sa défense le 1er avril dans Les Grandes Gueules sur RMC en déclarant « Je m’insurge contre ceux qui disent que c’est un escroc, un fou. Non, c’est quelqu’un qui a un raisonnement scientifique, qui a une des bases de recherche les plus importantes sur les maladies infectieuses en France. Donc ce n’est pas le perdreau de l’année ». Loin de ça, en effet, le professeur Raoult n’a d’ailleurs pas hésité à publier une vidéo prise par ses soins, le 31 mars, afin de présenter son équipe, défendre sa méthode et contrer ainsi par lui-même les attaques dont il a pu faire l’objet de manière récurrente au cours de ces derniers jours.
S’il advenait que le Professeur Raoult avait raison malgré toutes les objections exprimées, il sera particulièrement intéressant de voir comment cette information sera traitée par l’ensemble des grands médias y compris les médias dominants, un dossier que nous suivrons avec attention.