La période de Pâques étant favorable, nous avons pu – par un procédé secret que nous ne pouvons divulguer – rentrer en contact télépathique avec Jack London, disparu en 1916. Jack London fut vagabond, ouvrier, marin, chercheur d’or, journaliste et écrivain. Son ouvrage paru en 1912, The Scarlet plague semble une anticipation des épidémies modernes.
Ojim : Jack London bonjour, merci de nous parler librement alors que nous ne savons pas exactement où vous vous trouvez.
Jack London : Eh bien c’est un plaisir, il n’y a pas énormément de distractions par ici, mais il m’est interdit de vous en dire plus.
Nous vous avons informé de notre situation en 2020, pourriez-vous nous parler de votre livre La Peste écarlate ?
Bien volontiers, c’est un de mes derniers livres avant que je ne meure, rongé par l’alcoolisme et la morphine dont je n’arrivais pas à me défaire. L’ouvrage n’est paru en France qu’en 1924, aux éditions Crès je crois.
Quel en est le thème ?
C’est un ouvrage de science-fiction qui se situe en 2073, soixante ans après la terrible maladie survenue en 2013. Un grand-père raconte à ses trois petits fils comment le fléau est apparu, comment la société s’est disloquée, revenue très vite à l’état tribal. Bien entendu les trois garçons ne le croient qu’à moitié car un grand nombre de mots ont disparu ou n’ont plus aucune signification : argent, avion, automobile, restaurant, savon, électricité, friandise, épicerie et même alphabet. Il lui faut simplifier les choses pour être cru.
Comment l’épidémie apparaît elle ?
On ne sait d’où elle vient, elle se diffuse à l’été 2013 d’abord à New-York et Londres et ensuite au monde entier, ou du moins on le suppose car il n’y plus de moyens de communication rapide. On se déplace à pied, à la rigueur en carriole. La maladie est dite écarlate car le corps et le visage des malades prennent une couleur pourpre, ils meurent de paralysie parfois en 15 minutes et sans signes annonciateurs. Leur corps se décompose ensuite en quelques heures libérant des milliards de germes qui vont à leur tour contaminer les survivants.
Combien de survivants ?
Le narrateur indique un sur un million, sans que l’on sache pourquoi certains sont immunisés naturellement. Il semblerait que ce soit quand même les plus costauds et les plus frustes, plutôt les bucherons que les professeurs. Il reste environ 400 personnes aux États-Unis et sans doute 8 000 dans le monde qui revient à l’état tribal : une dizaine de petits groupes aux États-Unis, chaque groupe s’est rassemblé autour d’un chef qui assoit son autorité sur sa force physique et son énergie.
Est-ce la fin de l’humanité ?
Plutôt un nouveau départ. Les grandes villes ont été détruites par les incendies et les pillages. Comme je le décris, « Partout régnaient le meurtre, le vol et l’ivresse ». La nature reprend très vite ses droits, les cultures ne sont pas entretenues. Les animaux domestiques meurent ou redeviennent sauvages, ceux qui s’adaptent le mieux sont les cochons, les chats et les chiens. Les hommes sont de nouveau des chasseurs-cueilleurs. Les trois garçons sont tous d’excellents chasseurs.
Voyez- vous des analogies par rapport à la pandémie de 2020 ?
De manière surprenante j’en vois beaucoup. La datation tout d’abord, 2013, sept ans d’écart seulement avec vous. Ensuite le nombre d’habitants sur terre à cette époque, huit milliards, là aussi peu de différence avec votre époque. Comme maintenant chez vous l’origine de la maladie est mystérieuse, elle est très contagieuse mais – c’est une différence – elle est presque à coup sûr mortelle alors que pour votre Covid-19 la mortalité semble plutôt faible.
La situation est moins grave en 2020 que dans votre livre, de quoi être optimiste ?
Optimiste puis pessimiste, puis optimiste de nouveau. Vous allez vraisemblablement avoir quelques centaines de milliers de morts ou quelques millions alors qu’au moment où nous parlons il y en a moins de deux cent mille. Allons jusqu’à dix millions de morts, c’est bien moins de 1% des habitants de la terre en 2020. Mais attendez la prochaine, avec un virus tuant non pas 1% ou moins des infectés mais 99% ou plus, là ce sera plus tragique. Là vous verrez des millions de personnes mourir et, parmi les survivants, des milliers s’entretuer.
Au-delà, comme dans mon livre et selon un processus cyclique, les hommes s’adapteront, de nouvelles communautés plus homogènes, raciales et culturelles, se formeront. Ils redécouvriront l’agriculture, la domestication des animaux, l’artisanat, l’industrie. Ils redécouvriront la poudre aussi ce qui leur permettra de s’entretuer ou d’établir leur domination sur d’autres, mais sans disparaître. Les figures du roi, du prêtre, du soldat s’imposeront d’elles-mêmes. Les groupes les plus disciplinés et les plus ingénieux s’imposeront aux autres, les religions, les arts refleuriront, il y faudra peut-être une centaine de générations, mais à l’échelle cosmique c’est peu de choses. Ah… je vous prie de m’excuser mais on me signale que cet entretien doit se terminer.
Jack London s’efface alors que nous avions encore de nombreuses questions à lui poser entre autres sur l’attitude des médias pendant la peste écarlate. Il va de soi que Monsieur London est responsable de ses propos qui ne sauraient engager notre rédaction.
Illustration : Alfred Kubin, “Epidémie” ca. 1900–1901 (détail).