C’est la nouvelle coqueluche du monde intellectuel. Plus qu’un auteur, l’Israélien Harari est une marque, « Sapienship », avec sa « Public Relations Team » et son « Yuval Noah Harari International office ». Il est dans tous les médias, sa parole est d’or et les médias progressistes l’aiment. Harari, je suis partout ou le nouveau prophète .
Il est partout
Yuval Noah Harari est d’abord un phénomène éditorial, ouvrir son site en français, c’est d’emblée tomber sur cette citation : « L’Histoire commença quand les humains inventèrent les dieux et se terminera quand les humains deviendront des dieux ». Le programme sans cesse réitéré de l’idéologie du Progrès — aujourd’hui pimentée d’un soupçon d’ultra-technologies. Best-seller, historien, professeur à l’université hébraïque de Jérusalem II, il intervient en réalité dans de nombreux colloques, universités et publie dans une myriade de médias, sous forme de textes ou d’entretiens. Ses deux premiers ouvrages, Sapiens : une brève histoire de l’humanité et Homo Deus : une brève histoire de l’avenir, dont les titres sont tout un programme, sont traduits dans une cinquantaine de langues et restent en pile dans les librairies françaises plus de deux ans après leur parution, comme s’ils étaient des nouveautés permanentes.
Houba, Houba, U Ba Khin
Il ne cache aucune de ses options personnelles : homosexuel, ce qui lui permet « de remettre en question les idées reçues », végan, libéral sur le plan économique et libertaire sur le plan culturel, pratiquant la méditation bouddhique Vipassana selon les préceptes de son « maître » S.N. Goenka, dans la tradition d’un dénommé Sayagyi U Ba Khin.
Goenka aurait appris en Birmanie, avant de former des assistants-enseignants et d’ouvrir des centres de méditation partout dans le monde où il y a des bobos. Harari est le prototype exemplaire du libéral-libertaire contemporain, une star par nature de tous les médias convenus, comme conçu à cette fin. C’est pourquoi il était possible de le lire dans le Financial Times, par exemple, le 20 mars 2020, déjà au sujet du coronavirus, avant de voir son nom réapparaître dans les médias français.
La parole de Yuval Noah Harari ? Dans Le Monde of course
Harari est une telle entreprise qu’ayant acquis les droits du texte du Financial Times le 20 mars 2020, L’Express interdit sa reproduction aux autres organes de presse. Il en va de même avec une tribune du Monde, publiée sous « copyright Yuval Noah Harari » le 5 avril 2020 et titrée « Le véritable antidote à l’épidémie n’est pas le repli, mais la coopération ». C’est d’ailleurs plus souvent dans Le Monde qu’ailleurs que Yuval Noah Harari s’exprime en France. Dans ce cas précis, la tribune est une traduction d’un texte juste paru dans l’hebdomadaire Time.
La tribune commence ainsi :
« Face à l’épidémie due au coronavirus, beaucoup accusent la mondialisation et prétendent que le seul moyen d’éviter que ce scénario se reproduise est de démondialiser le monde. Construire des murs, restreindre les voyages, limiter les échanges. Et pourtant, si le confinement, à court terme, est essentiel pour freiner l’épidémie, l’isolationnisme, à long terme, provoquerait un effondrement de l’économie sans offrir aucune protection contre les maladies infectieuses. Au contraire. Le véritable antidote à l’épidémie n’est pas la ségrégation, mais la coopération. »
Tout est dit en quelques mots, des mots qui ressemblent à ceux prononcés par le président Macron et par les autres représentants de la mondialisation en France, tant de LREM, du MEDEF que de LR. Entre autres. Les mots sont ici choisis avec attention : « construire des murs », « restreindre », « limiter », « isolationnisme », « effondrement de l’économie », « ségrégation ».
Voilà qui pourrait désabuser quiconque penserait que le monde d’après sera un monde où l’hyper-libéralisme mondialisé hors sol serait limité : c’est le contraire qui est annoncé.
Yuval le dit, les épidémies même pas peur
La tribune explique ensuite qu’il ne faudrait pas se fier aux apparences : « l’ampleur et l’impact des épidémies ont considérablement diminué », une affirmation censée être démontrée ici par une comparaison ultra rapide entre les grandes épidémies d’autrefois, du Moyen-Age par exemple, et celles de maintenant. Harari omet tout de même de dire que la mondialisation telle que nous la vivons est un phénomène récent et que les principaux progrès scientifiques ayant permis de faire reculer les grandes épidémies l’ont été dans dans le cadre de frontières nationales et d’aires civilisationnelles.
Il omet aussi de signaler que jamais l’humanité n’a été obligée de se confiner face à un virus qui, a priori, si tout est dit, ne serait en rien comparable, justement, avec des maladies telles que la grippe espagnole ou la peste noire. Si la mondialisation hyper-libérale, pourvoyeuse d’inégalités économiques à toutes les échelles, de mouvements de migrants inusités dans l’histoire humaine, de déplacements de travail inutiles et incessant, d’échanges de produits dont la nécessité est plus que discutable, associée à l’absence de limites n’est pas la cause de ce virus, son origine n’étant pas encore claire, elle en a par contre favorisé l’expansion comme elle pourrait aisément faciliter celle d’une nouvelle grippe espagnole.
Coopération versus mondialisation
Pour Harari, la science est supérieure aux virus. Ces derniers mutent de façon aveugle tandis que nous les combattons de façon raisonnée et en conscience, et ce combat demande des échanges. Il a en partie raison, la coopération scientifique n’est pas ici en cause et les scientifiques coopèrent très bien chaque jour sans avoir besoin de parcourir des milliers de kilomètres. Harari évoque la coopération sur tous les plans, se montrant bien naïf sur l’ensemble des troubles induits par la mondialisation, cette dernière étant fondée sur le présupposé que l’échange conduit au bonheur. Ainsi : « Nous sommes habitués à penser la santé en termes nationaux, mais fournir un meilleur système de santé aux Iraniens et aux Chinois aide à protéger aussi les Israéliens et les Français des épidémies. Pour le virus, il n’y a aucune différence entre des Iraniens, des Chinois, des Français et des Israéliens. Pour le virus, nous sommes tous des proies. Cette vérité toute simple devrait être une évidence pour tous, mais malheureusement elle échappe même à certains personnages parmi les plus importants de la planète. »
Maintenir le mondialisme
Mais la véritable cible que le progressiste Harari n’avait pas encore désignée la voici : « L’humanité fait face aujourd’hui à une grave crise, pas seulement à cause du coronavirus, mais aussi à cause de la défiance que les hommes ont les uns envers les autres. Pour vaincre une épidémie, il faut que les gens aient confiance dans les experts scientifiques, les citoyens dans les autorités publiques, et que les pays se fassent mutuellement confiance. Ces dernières années, des politiciens irresponsables ont délibérément sapé la confiance que l’on pouvait avoir en la science, envers les autorités publiques et dans la coopération internationale. En conséquence, nous faisons aujourd’hui face à cette crise sans leaders mondiaux susceptibles d’inspirer, d’organiser et de financer une réponse globale coordonnée. » Beaucoup de lecteurs pourraient alors penser que la coqueluche libérale-libertaire accuse, sinon la mondialisation, du moins ses acteurs politiques. Ce n’est pas le cas :
La responsabilité de la non réactivité coordonnée reviendrait aux États-Unis et donc… à Donald Trump. Au populisme en somme. Harari le dit clairement : « La xénophobie, l’isolationnisme et la méfiance caractérisent pratiquement désormais l’ensemble du système international. ». Avec un monde qui retrouverait de la décence commune, c’est-à-dire des limites, la petite multinationale d’Harari « performerait » moins. Difficile à envisager pour un libéral-libertaire, quel qu’il soit, surtout quand sa petite entreprise distribue de bons dividendes idéologiques.
Photo : capture d’écran vidéo, entretien à Euronews, mai 2019