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Décès de Jean Raspail : des réactions médiatiques assez contrastées

22 juin 2020

Temps de lecture : 7 minutes
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Décès de Jean Raspail : des réactions médiatiques assez contrastées

Temps de lecture : 7 minutes

L’écrivain Jean Raspail, qui était hospitalisé depuis décembre 2019, s’est éteint le samedi 13 juin 2020 à l’âge de 94 ans. Personnalité forte aux idées affirmées, Jean Raspail a suscité la controverse et fait œuvre de prophète avec son roman Le Camp des Saints (publié en 1973 et réédité en 2011), dans lequel il imaginait la submersion migratoire de l’Europe par l’arrivée en cargo d’un million de réfugiés venus d’Inde sur les côtes méditerranéennes.

À l’annonce de sa mort, l’AFP s’est fendue d’une dépêche indi­quant que Jean Ras­pail était « admiré par les uns, décrié par les autres », qu’il « se défendait d’être d’ex­trême droite, se définis­sant comme roy­al­iste, homme libre, jamais inféodé à un par­ti » en pré­cisant qu’il « recon­nais­sait cepen­dant être bien ultra­réac­tion­naire, attaché à l’i­den­tité et au ter­roir et farouche­ment opposé au métis­sage », avant d’en venir à évo­quer en seule­ment quelques lignes son immense par­cours d’explorateur et d’écrivain.

Cette dépêche assez ori­en­tée a été reprise pra­tique­ment telle quelle par Ouest-France, 20 Min­utes, Paris Match ou encore Le Monde.

« Prophète du grand remplacement »

Pour Libéra­tion, Jean Ras­pail est avant tout le « prophète du grand rem­place­ment », et l’annonce de sa mort a été une occa­sion de rap­pel­er qu’il était un « écrivain à la con­sid­érable influ­ence sur les extrêmes droites occi­den­tales ». Ici, très peu d’éléments sur sa car­rière lit­téraire. Bien qu’il soit men­tion­né qu’elle est riche d’une « quar­an­taine d’ouvrages », l’accent est mis ici sur la polémique autour du Camp des Saints, ouvrage au style « jugé inspiré par ses admi­ra­teurs, et par dautres bru­tale­ment raciste » et dont il est pré­cisé qu’il compte par­mi ses lecteurs des per­son­nal­ités comme Ronald Rea­gan, Samuel Huntig­ton (l’auteur du Choc des Civil­i­sa­tions), Steve Ban­non (ancien con­seiller de Don­ald Trump) ou encore Marine Le Pen.

Qual­i­fi­ca­tion iden­tique de « prophète du grand rem­place­ment »  pour Le Monde qui pro­duit un nou­v­el arti­cle dès le lende­main de son décès en pré­cisant que « Lextrême droite perd son prophète un jour de man­i­fes­ta­tions antiracistes (…) ». Comme si cela ne suff­i­sait pas à caté­goris­er le per­son­nage, le quo­ti­di­en ajoute même que « Des anciens de l’Œuvre française à ceux de la Nou­velle Droite, en pas­sant par lAction française et le Rassem­ble­ment nation­al (RN, ex-Front nation­al), au fil de laprès‑midi, cest lensem­ble la famille nation­al­iste qui finit par se retrou­ver en ligne pour saluer celui qui « avait prophétisé dès 1973 leffet destruc­teur de la cul­pa­bil­i­sa­tion et de lantiracisme sur notre civil­i­sa­tion », selon lancien député européen fron­tiste et fon­da­teur de la très iden­ti­taire Fon­da­tion Polemia, Jean-Yves Gallou ». 

Pour Char­lie Heb­do sous la plume de Jean-Yves Camus : « les iden­ti­taires per­dent leur prophète », le Camp des Saints est « un livre raciste (…) le brévi­aire de la généra­tion nation­al­iste qui ne sup­porte ni le regroupe­ment famil­ial ni les lois con­tre le racisme » et Jean Ras­pail « inspire aus­si la nou­velle généra­tion des iden­ti­taires, (…) est leur prophète qui a prêché dans le désert. Il trou­ve un écho parce quil ne se con­tente pas de fustiger limmi­gra­tion non européenne : il par­le du sen­ti­ment du déclin, de la sup­posée veu­lerie des « élites » qui débouche sur linjonc­tion faite aux Français de se repen­tir de leur his­toire, de leur passé en tant que « Blancs ». Bref, de tout ce qui est en train de se réveiller à lextrême droite, mais aus­si au-delà, dans un con­texte où lindigénisme dans les minorités na pas fini dexac­er­ber les tensions ».

La encore, le seul élé­ment retenu de la longue car­rière de Jean Ras­pail reste l’obsession pour les débats qu’il y a eu autour du Camp des Saints. 

Écrivain et explorateur

Du côté du Figaro, la tonal­ité a été dif­férente et surtout plus mesurée. Le quo­ti­di­en pré­cise en effet que cet auteur « adoré par cer­tains, mau­dit par dautres » aura « mar­qué la lit­téra­ture française de son univers », mais s’intéresse surtout à son par­cours d’explorateur dans un papi­er assez fouil­lé qui fait la part belle à sa biogra­phie et à sa vision du monde.

Le jour­nal évoque ain­si ses nom­breux voy­ages autour du monde ain­si que sa riche car­rière d’écrivain certes mar­quée par la polémique autour du Camp des Saints, avant de revenir plus longue­ment sur son « amour pour la monar­chie » tout en rap­pelant qu’il était « pro­fondé­ment chré­tien » et « tenait à ses convictions ».

Dans la presse con­ser­va­trice en revanche, c’est plutôt l’écrivain-aventurier qui est célébré. Valeurs Actuelles rap­pelle ain­si que « lexplo­rateur pas­sa la plus grande par­tie de sa vie à se promen­er de con­ti­nent en con­ti­nent et de siècle en siècle », rap­pelant son goût de la décou­verte pour « ceux quil appelait “les peu­ples per­dus“ » et dont « retrou­ver la trace con­sti­tu­ait lunique but de ses voyages ». 

Sous la sig­na­ture de François Bous­quet, la revue Élé­ments célèbre le con­sul général de Patag­o­nie et son « rêve océanique, sa quête de restau­ra­tion per­due, son exhor­ta­tion au com­bat, à la résis­tance ». Ajoutant « Jean Ras­pail a rejoint le camp des saints et des héros. Gageons que, là où il est, il suit une fois de plus ses pro­pres pas, selon la devise des Pikkendorff qu’il avait adop­tée ».

Pour Thomas Morales dans Causeur « Avec Ras­pail, on prend le large, on tra­verse les con­ti­nents, sans se trahir, sans faib­lir dans un engage­ment catholique et roy­al­iste, on trace sa route, indif­férent aux modes et aux chaos en marche (…)». 

Des obsèques qui rassemblent « toutes les branches de l’extrême-droite »

Les obsèques de Jean Ras­pail se sont déroulées le mer­cre­di 17 juin 2020 en l’église Saint-Roch, à Paris. Selon L’Express, dans un arti­cle acide, cette céré­monie a « rassem­blé toutes les branch­es de l’ex­trême droite française » et « aura réus­si l’ex­ploit d’u­nir le temps d’une mat­inée les mul­ti­ples vis­ages de la droite rad­i­cale », par­mi lesquels « des roy­al­istes, des catholiques mil­i­tants, des réacs télégéniques, des anars de droites, des con­ser­va­teurs… ». La jour­nal­iste spé­cial­isée dans la « chas­se à l’extrême-droite » Camille Vigogne Le Coat (por­trait) décerne le titre de « roi de Patag­o­nie » à Jean Ras­pail, ce dernier plus mod­este­ment ne se voulait que le con­sul général du roy­aume. L’époque où les jour­nal­istes lisaient encore des livres sem­ble lointaine…

Pour L’incorrect, « cest le peu­ple Pata­gon tout entier, attristé, qui s’était rassem­blé pour lentour­er en lEglise Saint-Roch, ce mer­cre­di 17 juin 2020, par la présence physique ou par la pen­sée». En référence, bien sûr, à l’un de ses plus célèbres romans : Moi, Antoine de Tounens, roi de Patag­o­nie (prix de l’Académie française en 1981) qui narre l’histoire d’un avoué du Périg­ord par­ti fonder un roy­aume éphémère, entre 1860 et 1862, sur des ter­res à cheval entre le Chili et l’Argentine et dont Jean Ras­pail s’était auto-proclamé Con­sul Général.

Cette référence indis­so­cia­ble de la vie et de l’oeuvre de Jean Ras­pail est égale­ment reprise par le jour­nal­iste du Figaro Ivan Rioufol sur son blog, lorsqu’il décrit le cer­cueil « recou­vert du dra­peau bleu blanc vert de la Patag­o­nie » et évoque les très nom­breux « Patagons nat­u­ral­isés par Jean Ras­pail (… ) à s’être retrou­vés en cette anci­enne église royale, jadis cure du Palais des Tui­leries, pleine à cra­quer ».

Et pour­tant, par­mi cette foule, aucun grand média n’a daigné faire le déplace­ment pour les obsèques de cette fig­ure de la lit­téra­ture française comme le relève Gabrielle Cluzel pour Boule­vard Voltaire : « Seul Le Figaro, en la per­son­ne du jour­nal­iste Vin­cent Roux, a retrans­mis en direct les obsèques sur sa chaîne YouTube. »

Elle pour­suit en indi­quant même que « le min­istre de la Cul­ture Franck Riester na pas lâché un mot pour lui ren­dre hom­mage. Pas un intel­lectuel de gauche, même avec la « dis­tan­ci­a­tion sociale » dusage, na daigné saluer son tal­ent. Pas une fig­ure con­nue de la bien-pen­sance ne sest déplacée, ne serait-ce que pour mon­tr­er quil existe encore une élite intel­lectuelle libre en France. ». 

Alors que sa dis­pari­tion a été l’occasion pour toute une frange des médias classés à gauche de rap­pel­er à quel point cet écrivain bril­lant aura été égale­ment l’un des plus cli­vants, le silence médi­a­tique autour de ses obsèques démon­tre, une fois encore, qu’il est dif­fi­cile d’exister hors de la pen­sée dominante.

Sur Camille Vigogne Le Coat de L’Ex­press, voir égale­ment notre arti­cle où nous analy­sions sa manière d’exécuter Syl­vain Tes­son (présent aux obsèques de Jean Raspail)

Sur le nou­veau for­mat de L’Ex­press voir notre analyse.

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