Le deuxième tour de l’élection présidentielle polonaise de juillet 2020 suscitait un certain intérêt dans les médias français dominants où l’on espérait la défaite du candidat conservateur du PiS. Le président sortant Andrzej Duda était en effet donné au coude à coude dans les sondages contre son rival, le libéral Rafał Trzaskowski, maire de Varsovie. Déception donc lundi matin à 8h quand les résultats provisoires officiels sont tombés, sur la base du dépouillement des votes dans 99,97 % des bureaux de vote.
Jusqu’à ce moment-là, malgré des sondages « exit polls » (sondages de sortie des urnes) donnant un avantage de 0,8 % à Andrzej Duda, puis les sondages « late polls », plus fiables, tombés dans la nuit et qui voyaient l’avance de Duda passer à deux points de pourcentage, la victoire du conservateur n’était pas encore acquise. Certains articles apparaissant sur les sites internet des grands journaux français lundi matin ne tenaient encore compte que de ces sondage late polls, d’autre ayant déjà intégré les résultats annoncés à 8h. Des résultats qui attribuaient 51,21% des voix à Andrzej Duda contre 48,79% à Rafał Trzaskowski, pour une participation de 68% (contre 55% de participation au deuxième tour de l’élection présidentielle de 2015, remportée par Duda avec 51,55% des voix).
L’AFP a encore frappé
Lundi matin, la dépêche de l’AFP était reprise à différentes sauces par des médias aussi variés que Le Figaro, Le Monde, Ouest-France, Le Parisien, France Info, et même Valeurs Actuelles, pour n’en citer que quelques-uns. Le biais plutôt de gauche libérale libertaire de l’AFP transparaissait donc dans tous ces médias, y compris dans le court article de Valeurs Actuelles, un média pourtant classé à droite, mais qui évoquait donc une campagne de Duda « axée notamment sur des critiques verbales des droits des personnes LGBT, se prononçant notamment pour l’interdiction de l’adoption aux couples homosexuels (une position également partagée par son rival, Rafal Trzaskowski) ». Ainsi, pour l’hebdomadaire Valeurs Actuelles, il apparaît comme pour les médias de gauche que l’adoption par les couples homosexuels serait un « droit » des personnes LGBT. Et l’hebdomadaire de droite de continuer à propos de Duda : « Il a également pris parti contre l’idée d’indemnisations pour les biens juifs volés par les nazis et sous le régime communiste. » Ce raccourci de l’AFP repris par tous les médias susvisés concerne en fait le rejet par le président Duda et par les gouvernements du PiS des revendications financières de certaines organisations juives américaines portant sur les anciens biens juifs d’avant-guerre qui n’ont jamais été restitués ou indemnisés parce qu’ils ont été détruits ou n’ont pas d’héritiers.
L’infox des « zones libres LGBT »
Valeurs Actuelles n’a en revanche pas repris l’autre raccourci de l’AFP contrairement à d’autres médias comme France Info ou même Le Figaro : « Rafal Trzaskowski, quant à lui, est favorable aux partenariats civils y compris entre personnes du même sexe. Sa décision de signer une déclaration de soutien aux LGBT a incité nombre de régions de l’est rural et le plus conservateur du pays à se proclamer «zones libres de LGBT». » Ces « zones libres de LGBT » sont un bobard colporté par les médias français à propos des collectivités locales polonaises qui, en réaction à la Déclaration LGBT+ adoptée à Varsovie et à l’intensification de l’offensive idéologique à laquelle a été soumise la Pologne en 2019, ont adopté des résolutions par lesquelles elles s’engagent auprès de leurs administrés à respecter les choix éducatifs des parents et à s’abstenir d’imposer l’idéologie LGBT dans les écoles et dans le cadre de leur administration. Le Figaro a aussi tourné la phrase de l’AFP sur les droits LGBT de manière encore plus désavantageuse pour Duda : « Le président sortant a fait une campagne polarisante, attaquant notamment les droits des personnes LGBT ». Et donc pour Le Figaro, refuser les unions civiles ouvertes aux homosexuels, ainsi que « mariage gay » et l’adoption pour les couples de même sexe, c’est attaquer les droits des personnes LGBT.
Duda caricaturé
Autre caractéristique de tous ces articles reprenant la même dépêche de l’AFP : l’affirmation « Le président Duda est soutenu par le parti conservateur nationaliste Droit et Justice (PiS, au pouvoir) ». Pour qui connaît le paysage politique polonais, le parti nationaliste s’appelle Mouvement national (Ruch Narodowy) et il est représenté au parlement au sein d’une coalition avec les libéraux conservateurs, la Confédération (Konfederacja). C’est un parti d’opposition et son candidat du premier tour, Krzysztof Bosak, flirté aussi bien par Andrzej Duda que par Rafał Trzaskowski dans la perspective du deuxième tour, a refusé de soutenir l’un ou l’autre des candidats. Quant au parti Droit et Justice (Prawo i Sprawiedliwość, PiS), c’est un parti social-conservateur qui se revendique de la démocratie chrétienne et de la vision européenne de Robert Schuman, tout comme son candidat Andrzej Duda.
Le Monde et Libération frappent encore plus fort
Le journal Libération, grâce à sa correspondante en Pologne, a en revanche publié sa propre version des faits dès lundi matin (ce qu’a aussi fait Le Monde, en plus de son article basé sur la dépêche de l’AFP). Mal en a pris à Libération, car on a là un véritable condensé de bobards. « Après une campagne violente et clivante, Andrzej Duda a adressé aux Polonais un message rassembleur : «Je m’excuse auprès de ceux qui se sont sentis offensés, pas seulement durant la campagne, mais au cours de ces cinq dernières années.» Dès son retour à Varsovie, quelques heures plus tard, il a affirmé exactement le contraire : «Je ne regrette pas ce que j’ai dit pendant la campagne.» », nous explique une certaine Justine Salvestroni, correspondante à Varsovie, dans un article intitulé « Présidentielle en Pologne : victoire de l’ultra conservateur Andrzej Duda ». Les excuses de Duda traduites par Mme Salvestroni proviennent d’une phrase effectivement prononcée par Duda, mais largement déformée par un seul et unique journal, le très anti-PiS Gazeta Wyborcza. Nous sommes fixés sur les sources de la correspondante de Libération. La phrase originale, non déformée, de Duda avait un ton conciliant et exprimait non pas des regrets, mais une main tendue à toutes les personnes qui auraient pu se sentir blessés par la manière dont il a pu exprimer certaines choses dans le passé et que le président polonais a assuré de son respect, quelles que soient les divergences de vues.
Manipulations sémantiques
« Aidé par la télévision publique, devenue un outil de propagande, Andrzej Duda avait opéré un tournant très à droite ces dernières semaines, tenant des propos homophobes et antisémites, se voulant le protecteur des valeurs conservatrices et catholiques des «vrais Polonais», pour lesquels il s’est excusé dimanche soir. », écrit plus loin la correspondante du journal de gauche. Les « vrais Polonais », c’est une expression faussement attribuée non pas à Andrzej Duda mais au leader du PiS Jarosław Kaczyński il y a plusieurs années (quand le PiS était dans l’opposition) par une journaliste de la télévision TVN, très hostile au PiS. Quant aux propos homophobes évoqués par Libération, c’est la version déformée par le journal français lui-même d’une affirmation de Duda sur le fait que le sigle LGBT désigne non pas des gens mais une idéologie (que le président polonais a comparé, pendant la campagne, au bolchevisme).
Chez Libération, dans l’article donné en lien pour étayer l’accusation sur les propos homophobes, la comparaison de l’idéologie LGBT au bolchevisme était expliquée ainsi : « En pleine campagne pour sa réélection, le président Andrzej Duda et son parti s’en prennent violemment aux lesbiennes, gays, bi et trans qui, selon eux, «ne sont pas des gens» mais relèvent d’une «idéologie». Ou encore, à propos de la même affirmation par un député du PiS : « Les LGBT ne sont pas des gens, c’est une idéologie. » Le polonais, comme toutes les langues slaves, n’a pas d’article. L’ajout de « Les » devant « LGBT » vient donc de la traduction en français par le journal Libération et fait que le sigle LGBT désigne, dans la version française, forcément des gens et non pas un sigle pouvant désigner une idéologie. La manipulation est grossière, mais qui ira vérifier le véritable sens de la phrase en polonais ? La même manipulation, par ajout de l’article « les » est opérée par les correspondants du Monde dans l’article « Élection en Pologne : le président sortant Andrzej Duda réélu de justesse ». Quant aux propos « antisémites » attribués par Libération au président Duda, aucune explication n’est donnée aux lecteurs et l’on ne sait pas à quoi la correspondante du journal fait référence. Les lecteurs de Libération auront de toute façon bien du mal à vérifier la véracité de l’accusation.
Le Monde, de son côté, mettait en doute lundi matin, dans l’article déjà mentionné « Élection en Pologne : le président sortant Andrzej Duda réélu de justesse », le caractère honnête des élections polonaises, dont le résultat confirme pourtant les sondages de la semaine écoulée, et aussi les sondages « exit polls » et « late polls ». Le journal français reprenait en outre les accusations de l’opposition polonaise et de Trzaskowski lui-même sur le parti-pris des médias publics en faveur de Duda, évoquant une « inégalité drastique des chances dans la façon dont a été menée cette campagne dans les médias publics, favorisant le président et attaquant en permanence son concurrent ». Le Monde ne dit rien en revanche sur le fait que, en 2015, les mêmes médias publics avaient agi de même en faveur du président sortant, le libéral Bronisław Komorowski, auquel s’opposait alors Andrzej Duda. Le Monde ne dit rien non plus à ses lecteurs sur la puissance des médias privés favorables aux libéraux en Pologne, avec les plus gros (groupe de télévision TVN, journaux nationaux Gazeta Wyborcza et Fakt, etc.) qui ont fait ouvertement campagne pour le maire de Varsovie. Peut-être le journal français craint-il que ses lecteurs comprennent qu’il peut exister en Europe un pays avec un tel pluralisme dans les médias ?