La revue Front populaire lancée en juin 2020 par le philosophe Michel Onfray est un beau succès éditorial. Le tirage supplémentaire de 50 000 exemplaires du premier numéro, après un tirage initial du même acabit, en est une illustration. L’Ojim avait salué au moment de son lancement ce nouveau venu qui contribue au pluralisme de la presse. La lecture du premier numéro nous amène à nous poser quelques questions.
Un premier numéro de qualité
Le premier numéro de Front populaire réunit des auteurs « marqués » à gauche, à droite, et d’ailleurs, dont les articles sont souvent pertinents et suscitent la réflexion. Eugénie Bastié nous gratifie d’un article roboratif sur l’écologie et sur le hold-up fait par les bobos sur une cause réellement conservatrice, qui allie le « souci de l’enracinement à celui de la préservation de la beauté du monde ». Céline Pina oppose la force de la culture aux fumeuses théories des indigénistes. Un dialogue fécond est noué entre Philippe de Villiers et Jean-Pierre Chevènement, ainsi qu’entre deux anciens membres de la France Insoumise, Andrea Kotarac et Georges Kuzmanovic. Certains articles prennent la forme d’ébauches de programme politique sur des thèmes précis, comme ceux de Thibault Isabel et de Régis de Castelnau.
La revue des souverainistes et plus
L’ambition de Front populaire telle que présentée par ses créateurs ne se limite pas à être une revue « de tous les souverainistes ». L’élaboration d’un cahier de doléances en ligne sur le site de la revue constitue selon ses initiateurs le socle d’« un nouveau projet pour la France ». La création de l’association « Front populaire & Compagnie » doit permettre de promouvoir au plan local les idées portées par les contributeurs. Des « réseaux populaires » se constituent, avec des référents départementaux dont les premiers ont été désignés.
La recomposition politique : une chimère ?
Quelle sera la portée de la volonté de fédérer des souverainistes « de droite, de gauche, d’ailleurs et de nulle part »? Pour l’heure, l’aggiornamento souhaité semble surtout se limiter aux souverainistes d’ailleurs. Michel Onfray n’a pas répondu à l’invitation de Florian Philippot, le leader des patriotes, à la réunion de souverainistes organisée le 5 juillet à Brie sur Marne. Une position il est vrai en cohérence avec ce qu’il affirmait à Valeurs actuelles en avril. Il présentait son objectif de « faire émerger, si cela est faisable et tenable, une candidature issue de la société civile ». Il ajoutait : « nous ne voulons plus de ceux qui ont trainé dans les partis politiques ». Dans ces conditions, les nombreuses tribunes sur le site de Front populaire de Georges Kuzmanovic, président du mouvement République souveraine et ancien membre du parti de gauche créé par Jean-Luc Mélenchon, ne peuvent manquer d’interroger : est-ce parce que les autres leaders politiques souverainistes n’ont pas proposé de s’exprimer, ou est-ce parce que les rédacteurs de Front populaire estiment qu’ils n’ont pas leur place dans la revue et sur son site internet ?
Des positions à clarifier
D’autres positions restent à clarifier. Quand cela sera fait, des sujets aussi importants que l’immigration, l’identité, le rôle et le poids de l’État, risquent de faire ressortir des différences entre positions de gauche et de droite, des positions qui ne sont pas totalement solubles dans le grand bain du souverainisme.
Sur le sujet de l’immigration, une interview de Michel Onfray sur Thinkerview montre bien l’ambivalence du co-directeur de la publication de Front populaire. S’il répondait de prime abord qu’il faudrait accueillir un bateau de migrants arrivant sur les côtes françaises, il modérait peu après son propos en évoquant l’impératif pour les étrangers d’accepter les mœurs de notre pays et les capacité d’accueil à ce jour peu satisfaisantes. Mais nous ne saurons pas concrètement si, selon le philosophe, il faut accueillir un bateau chargé de migrants arrivé par exemple en rade de Marseille.
Sur la question de l’identité, l’éditorial du premier numéro de la revue apporte quelques précisions sur la position de Michel Onfray : « Nous souhaitons installer le combat de Front populaire (…) sur celui de la défense de la civilisation judéo-chrétienne ». Mais quelle conséquence en tirer face à une frange croissante de musulmans, en particulier parmi les jeunes, qui place la charia au-dessus des lois de la république, comme en témoigne un récent sondage commandé par Charlie hebdo ? Quelles mesures à adopter pour éviter que, selon Michel Onfray dans une interview pour Valeurs actuelles, l’occident (ou plutôt l’Europe, les États-Unis sont de plus en plus loin de nous) ne soit promis à disparaitre ?
Autre question, et non des moindres, qu’il faudra trancher : celui du rôle et du poids de l’État. Si Michel Onfray revendique fréquemment être « girondin » et opposé au centralisme, le choix du nom de la revue, Front populaire, en hommage à des avancées sociales de la gauche, traduit-il un positionnement en faveur de nouvelles mesures sociales immanquablement financées par l’impôt, dans un pays où les prélèvements obligatoires atteignent un poids déjà considérable ?
Les prochains mois, voire les prochaines années, nous diront si l’initiative de Michel Onfray et de Stéphane Simon aboutira à la constitution d’un mouvement politique, un mouvement de plus dans la nébuleuse déjà bien encombrée des partis souverainistes, réunis de façon éphémère lors d’une soirée de célébration du Brexit le 21 janvier à Paris. Quoi qu’il en soit, d’ici là, la lecture de Front populaire devrait apporter son lot d’articles qui s’annoncent passionnants.