Le procès a repris le 14 septembre à Londres à Old Bailey. Pour la clarté des débats ne pas confondre le procureur James Lewis QC (Queen Counsel, conseiller de la reine) qui travaille pour l’accusation et l’avocat Eric Lewis qui est témoin de la défense. Source (en anglais) ConsortiumNews qui publie un compte-rendu quotidien des audiences.
Jour 1, pas d’ajournement et nouvelles preuves
Mark Summers, avocat de la défense, a demandé un report des audiences à janvier 2021 pour pouvoir préparer la défense, l’accusation ayant changé. La juge Baraister a refusé cette demande. Le procureur a mentionné de nouvelles preuves qui remontent au séjour d’Assange en Islande en 2010. Parmi ces « preuves », le témoignage de deux informateurs du FBI infiltrés auprès d’Assange attestant que ce dernier a aidé Edgar Snowden à fuir de Hong-Kong et a encouragé des tiers à voler des données bancaires et pirater des ordinateurs en Islande. L’avocat Mark Summers a sobrement souligné « Aider un lanceur d’alerte à tenter d’échapper à l’arrestation. Qui peut dire que c’est une activité criminelle ? ».
Le premier témoin de la défense, le professeur de journalisme Mark Feldstein a été entendu partiellement. Des problèmes techniques ont interrompu sa déposition à distance.
Jour 2, documents « classifiés » et un témoin qui s’effondre
Après un incident de procédure où Assange est rappelé à l’ordre, le procureur a tenté d’établir que Assange n’était pas poursuivi pour avoir publié des informations classifiées mais pour avoir publié des noms d’informateurs qui se trouvent dans des documents classifiés. Mark Summers, QC pour la défense, lisant directement l’acte d’accusation d’espionnage d’Assange, montre clairement que les charges dont il est accusé vont plus loin que les seuls documents contenant les noms des informateurs. Il est plutôt accusé de conspiration pour « obtenir des documents, des écrits et des notes liés à la défense nationale ».
Le professeur Feldstein a défendu fougueusement Assange, affirmant que ses activités sont celles de tout journaliste. Mais il s’est ensuite effondré sous les objections juridiques du procureur qui a marqué un point et réduit son témoignage à peu de choses.
Jour 3, deux témoins de la défense de poids
Le premier est le professeur Paul Rogers politologue de l’université de Bradford qui parle en visioconférence. Il soutient que le procès d’Assange est motivé politiquement. « Assange est « un opposant politique qui pourrait subir toute la colère du gouvernement ». Rogers a cité les déclarations d’intention de Jeff Sessions, le premier procureur général de Trump, Mike Pompeo, en tant que directeur de la CIA, et le procureur général William Barr, visant à démanteler WikiLeaks, comme preuves de motivation politique.
Ensuite Trevor Timm, avocat et directeur de la Fondation pour la liberté de la presse a fait valoir que si la révélation des informateurs peut être contraire à l’éthique elle n’est pas illégale. Leur publication est une décision éditoriale en-dehors de l’autorité du gouvernement. « Le gouvernement ne devrait pas décider si c’était bon ou non. La décision est de savoir si c’est illégal. Cette publication n’était pas illégale, et l’acte d’accusation qui la rendrait illégale criminaliserait le journalisme ». Le procureur s’est alors réfugié derrière l’argument que Assange « n’était pas journaliste ».
Jour 4, ajournement pour Covid
Le mari d’une avocate américaine présentant les symptômes du Covid, la juge préfère remettre l’audience de quelques jours.
Jour 5, l’avocat Eric Lewis entendu
Après une interruption pour cause de suspicion de Covid 19 d’un avocat les auditions reprennent. Assange est muet et masqué derrière un mur de verre, l’avocat Eric Lewis témoigne par visioconférence depuis l’Italie. Il avait déclaré en 2019 dans The independent qu’il ne souhaitait pas qu’Assange soit extradé, il est entendu comme témoin de la défense.
Le procureur s’est plaint auprès de la juge Baraitser des limites posées à son contre-interrogatoire, réclamant quatre heures par jour pour ce faire et parlant de « guillotine » à l’encontre de son droit à la parole, il s’est ensuite excusé pour ses propos. Les débats, souvent confus à cause de difficultés de transmission, ont porté sur les conditions sanitaires dans les prisons américaines en cas d’extradition, James Lewis soulignant les bonnes conditions de soins psychiatriques dans ces prisons et déniant à l’avocat toute compétence sur le sujet. L’avocat a indiqué qu’il était témoin et non défenseur et a refusé de détailler quelle serait la défense des avocats d’Assange. L’audience est ajournée à la suite d’une vidéo qui interrompt la visioconférence.
Jour 6, le Premier amendement en question
La journée a tourné autour du Premier Amendement de la Constitution américaine, le premier des dix amendements ratifiés en 1791 et connus comme la Déclaration des Droits. Il interdit au Congrés d’adopter des lois limitant la liberté de religion et d’expression et la liberté de la presse.
Eric Lewis a affirmé que les journalistes ne peuvent pas être poursuivis en vertu de la loi sur l’espionnage. Il a souligné que cela n’avait jamais été fait auparavant en vertu du Premier amendement. Sans surprise le procureur a plaidé en faveur d’une conception restreinte du droit à la liberté d’expression et du droit du public à l’information qui « ne sont pas absolus » et peuvent être limités si la divulgation d’informations de défense nationale pouvait menacer la sécurité nationale.
Un échange musclé a eu lieu quant à la durée de la possible détention d’Assange en cas d’extradition aux États-Unis, le procureur assurant sans rire que des condamnés pour d’informations secrètes n’avaient purgé qu’une peine de quatre ou cinq ans. La controverse s’est poursuivie sur un point central, la politisation de l’accusation. Le traité d’extradition entre les États-Unis et le Royaume Uni exclut l’extradition pour cause politique. Le procureur défend la thèse d’une poursuite qui maintient l’indépendance du ministère de la justice alors que l’avocat a présenté un mémo de 19 pages rédigé par le procureur général William Barr établissant qu’en dernier recours toutes les décisions en matière de poursuite relèvent du président.
À suivre.