Rarement un bobard médiatique aura connu un tel développement, et il fallait que le terreau fût propice. Ces « zones sans LGBT » ou « zones libres de LGBT » inexistantes avaient déjà mis à mal au début de l’année plusieurs jumelages de villes polonaises avec leurs partenaires françaises. Tout est parti de l’action combinée d’un « Atlas de la haine » recensant les collectivités locales polonaises ayant adopté des résolutions en faveur des familles et du « happening » organisé par un militant LGBT qui fixait des panneaux « Zones sans LGBT » à l’entrée de certaines communes concernées pour prendre des photos diffusées ensuite sur les réseaux sociaux (voir ici l’explication du Visegrád Post).
Ursula von der Leyden Bobard d’or
Le bobard est arrivé au sommet en septembre à l’occasion du discours sur l’état de l’Union de la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen. Dans son discours, celle-ci a en effet qualifié ces « zones sans LGBTQ » de « zones sans humanité » qui « n’ont pas leur place dans l’UE », ce qui nous a valu des titres de presse comme celui-ci dans L’Obs : « ‘Zones sans LGBTQ’ en Pologne : Ursula von der Leyen tape du poing sur la table ». Après la présidente de la Commission, le candidat démocrate à la présidence des États-Unis, Joe Biden, a lui aussi repris à son compte le bobard des « zones sans LGBT+ » en Pologne : « Laissez-moi être clair : les droits des personnes LGBT+ sont des droits humains — et les zones “sans LGBT” n’ont pas leur place dans l’Union européenne ou n’importe où dans le monde ». Le magazine LGBT Têtu, effectivement très têtu, cite donc désormais Von der Leyen et Biden à l’appui de ce bobard qu’il s’entête à diffuser encore et encore en dépit de l’évidence.
Aveu puis censure chez les libéraux libertaires
On imagine donc bien que, lorsqu’un journaliste du journal polonais Gazeta Wyborcza, grand promoteur en Pologne et à l’étranger de cette « fake news » de dimension mondiale, s’est permis de publier un article dénonçant le mensonge de ces fameuses « zones sans LGBT », cela pouvait causer quelques remous dans la rédaction. Si bien que l’article en question, publié le 25 septembre sous le titre ironique « Allons plus loin : Piotrków libre de juifs et skatepark libre d’handicapés », a été retiré presque immédiatement du site de Gazeta Wyborcza avec interdiction pour les journalistes du journal de commenter ce fait où le contenu de l’article censuré. C’est en tout cas ce qu’affirme le site polonais Wirtualne Media spécialisé dans l’actualité des médias qui a tenté d’en savoir plus auprès de l’auteur de l’article Piotr Głuchowski, auprès de la rédactrice en chef du site Wyborcza.pl et auprès de l’entreprise propriétaire Agora (dont George Soros est actionnaire par l’intermédiaire d’une de ses fondations). L’article publié sur le site de Gazeta Wyborcza a été définitivement supprimé le jour même de sa publication après un tweet enragé de l’activiste LGBT, boursier de la Fondation Obama, Bartosz (Bart) Staszewski à l’origine de ces photos de panneaux « zone libre de LGBT ». Un tweet dans lequel il promettait un procès à Gazeta Wyborcza, même si, à la lecture de l’article de Głuchowski, on se demande bien sur quel fondement. Mais les critiques avaient également fusé au sein même de la rédaction de la part de journalistes jugeant le texte de leur collègue « homophobe ».
Obscurantisme LGBT ?
Głuchowski, qui est un journaliste de longue date de Gazeta Wyborcza et qui a dirigé dans le passé certaines rédactions régionales de ce journal de référence de la gauche libertaire polonaise (qui a aussi longtemps été la principale source d’informations sur la Pologne de la presse française), n’a pas retourné sa veste. Il dénonçait dans son article du 25 septembre, auquel l’Observatoire du Journalisme a pu avoir accès malgré sa suppression, les résolutions, motions et autres déclarations de collectivités locales contre « la promotion de l’idéologie des mouvements LGBT » et aussi l’opposition (perçue par Głuchowski) de ces collectivités locales à « l’éducation, qu’elle soit sexuelle, citoyenne ou écologique ». L’auteur qualifiait même de « pur obscurantisme » l’attitude de ces collectivités locales recensées sur « l’Atlas de la Haine » mis au point par des militants LGBT.
Néanmoins, affirmait le journaliste de Gazeta Wyborcza en début de son article censuré par sa rédaction, « en Pologne il n’y a pas de ‘zones libres de LGBT’, c’est-à-dire de territoires où les gays et autres personnes non hétéronormées ne pourrait pas résider ou séjourner. Il y a des territoires couverts par des résolutions des collectivités territoriales, principalement la Charte des droits de la famille des collectivités locales [voir ici la traduction de cette charte en anglais, NDLR]. Son adoption n’a pas d’effets juridiques, son caractère est uniquement symbolique ». Głuchowski analyse ensuite cette charte et s’étonne qu’elle ait fait autant de bruit, n’y voyant aucune incitation à la discrimination des personnes LGBT. « Vous reconnaîtrez qu’on est bien loin des ‘zones libres de gays’ », se moque le journaliste après avoir décrit le contenu du document adopté par les collectivités locales, « et pourtant l’Europe et les USA ont exprimé ces derniers jours leur préoccupation pour cette charte ».
Un pompier pyromane
Głuchowski dénonce ensuite l’action de l’activiste Bartosz Staszewski dont les panneaux « cherchent à éveiller des connotations hideuses, en clair avec les panneaux qui interdisaient aux juifs l’entrée dans des communes ou des espaces de loisir ‘racialement purs’». « L’action de Staszewski ne me plaît pas du tout », explique cet auteur de gauche, « parce qu’elle renforce l’image de notre pays comme nation obscurantiste et presque nazie, ce qui s’inscrit très bien dans la politique (pas uniquement russe) visant à faire porter aux Polonais la faute de la Seconde Guerre mondiale et de la Shoah. Nous vivons, malheureusement, dans un pays gouverné par des populistes nationaux-conservateurs (tant pis, le peuple a choisi), mais pas dans un pays regorgeant d’initiatives anti-humaines et motivées par la haine, ni dans un pays rempli de racaille xénophobe imprégnée du désir d’opprimer les gens qui pensent et s’aiment autrement. La Pologne n’est pas ainsi, mais elle est désormais parfois perçue de cette manière ».
Le journaliste censuré de Gazeta Wyborcza, pour démontrer l’absurdité de ces photos de panneaux « Zone libre de LGBT », faisait ensuite remarquer qu’on pourrait de la même manière apposer des panneaux « Entrée interdite aux juifs, aux musulmans et aux athées » à l’entrée des communes ayant adopté des résolutions par lesquelles elles ont confié la collectivité locale à la Vierge Marie ou à Jésus Christ, ou encore mettre des panneaux « Zone libre de personnes handicapées physiquement » à l’entrée des skateparks. « Pour résumer », concluait l’auteur à la fin de son article, « il n’y a pas de zones libres de LGBT et la Charte des droits de la famille ne mentionne même pas les personnes LGBT ».
En fait, cette réalité est bien connue à la Commission européenne, et c’est sciemment que certains membres de la Commission, y compris sa présidente, relayent ce qui n’est rien d’autre qu’une fake news, un bobard médiatique. En effet, même Věra Jourová, la très sorosienne vice-président de la Commission chargée des valeurs et de la transparence, le reconnaissait dans un entretien avec le quotidien polonais Rzeczpospolita publié le 7 octobre : « Les déclarations des collectivités locales n’ont pas, il faut le souligner, d’effets juridiques, et il est donc difficile à la Commission de les remettre en question et d’appliquer à leur encontre des procédures de violation du droit. » Cependant, ajoute cette militante des droits LGBT, « c’est une tendance inquiétante, nous allons observer la situation en Pologne. Nous avons déjà pris des mesures concernant le financement de certaines communes en Pologne. » Autrement dit, Jourová reconnaît que ces « zones sans LGBT » sont un bobard, mais elle assure que la Commission réagit quand même en menaçant de couper les vivres de certaines communes…