Ce samedi 31 octobre 2020 de l’ère covid, tandis que sur Twitter, l’opposition politique revendique le droit aux librairies d’ouvrir leurs portes « car la nourriture spirituelle n’attend pas », intéressons-nous aux nouveaux mets délicats dont on peut se délecter. Que choisir ? Ne vous inquiétez pas, le Prix de littérature de l’Union européenne est là pour vous orienter.
Si on en croit certains, un bon livre, c’est avant tout une bonne histoire. Toutefois, comme disait Flaubert, c’est tarte à la crème, « Bovary, c’est moi » et Proust « on écrit toujours la même histoire, la sienne ». Avant même de lire un livre, il faudrait donc savoir d’où parle celui qui écrit. Voyons donc pour certains des treize lauréats.
Textes en anglais
Cette année, la France n’y participe pas, quel malheur pour la langue de Baudelaire de n’être représentée que par la Belgique. De toute manière les textes sont tous traduits… en anglais !
Stylistiquement, on notera une assez large homogénéité. Amoureux des belles lettres s’abstenir : une écriture très « administrative », du non-style, phrases courtes, parfois sans connecteurs logiques. On appréciera les critiques qui parlent de « sobriété » pour une faiblesse langagière, faisant penser à ces humoristes qui pratiquent un humour « inclusif » pour ne pas s’avouer « qu’ils ne font rire personne ».
Les sujets ne brillent pas spécialement par leur traitement ou leur originalité : les personnages sont toujours des bourgeois dans une trajectoire nombriliste faisant face à un dilemme à mi-chemin entre un sous-Kafka recyclé et la métaphysique des fluides, bref comme dirait feu Jacques Chirac ça « encule des mouches. » Excusez, c’est le confinement.
Quelques perles
Nathalie Skowronek, par exemple, est belge, membre du club Antonin Artaud (psychanalyse) et publiée chez Grasset. Outre le lien à BHL – elle dispose d’une carrière universitaire remarquable dans différents pays européens et provient d’un milieu privilégié. Son roman A map of regrets parle, à travers un assassinat des « subtilités et tréfonds du cœur humain à travers le temps qui passe ».
Lana Bastaši est née à Zagreb en 1986, tenante d’une maîtrise en anglais et études culturelles. Même type de milieu social que précédemment, à cela près que son dada n’est pas la psychologie mais le féminisme. Elle est l’une des créatrices du projet 3+3 sœurs qui vise à développer la visibilité d’auteurs féminines balkaniques (dont elle). Son livre primé Catch the rabbit est un roman d’initiation sauce road-trip en Europe où la jeunesse dorée bosniaque est désillusionnée par sa « découverte du monde » et trouve les raisons futures de son engagement mondialiste.
Une jeunesse, où le goût du paradoxe n’est pas sans intérêt puisque, chez ces auteurs ex-Yougoslavie tel Shpetim Selmani, une critique du capitalisme déshumanisant usuel se joint à des soucis de bourgeois consommateurs. À voir si la « yougo-nostalgie » sauce mondialisée vous intéresse.
Un gros morceau, c’est Asta Olivia Nordenhof, danoise. Money in your pocket, c’est la doxa féministe sauce Coffin : voici le récit d’un viol d’une fille qui était sortie pour aller trouver du monde afin de se saouler, un homme est trop pressant, elle dit oui, elle dit non, mais il ne veut rien savoir et, sans transition, « his dick slid easily into her ». À 14 ans violée, à 19 ans rebelote. Les hommes sont des salauds et les femmes de pauvres créatures. Me too too.
Enfin, Irene Sola est diplômée de l’université de Barcelone et jouit d’une maîtrise en littérature de l’université du Sussex. Elle collectionne les prix internationaux. Fait marquant, elle écrit en catalan, pourtant elle est primée comme espagnole. Quand on sait que les jurys du concours sont nationaux, on se demande si la politique n’est pas plus présente qu’il n’y paraît dans ce concours littéraire dis-donc… Rassurez-vous, le jury l’a choisie pour « la richesse et expressivité de son langage. »
En résumé, ce n’est pas parce qu’on reste chez soi coupé du monde qu’on n’a pas le droit à un peu de doxa. Les poncifs bruxellois sont ici à l’honneur : la libre circulation des hommes hors-sol, citoyens du monde, l’émotivité, le féminisme, un régionalisme politiquement correct, conscience malheureuse libérale-libertaire, etc.
Si vous voulez creuser, vous savez où aller.
Sinon, il y a Saint-Simon, et Orwell vient de sortir à la Pléiade. Joyeux re-confinement !