Il n’y avait que Philippe Muray (Exorcismes spirituels, tome 3, Les Belles Lettres, 2002) pour anticiper la folie et la démesure développées depuis quelques temps à travers les « fake news », les « infox », les « bobards », bref le décryptage-brouillage de l’information-désinformation. Plus anciennement, Charles Péguy avait écrit : « Il faut toujours dire ce que l’on voit ; surtout il faut toujours, ce qui est plus difficile, voir ce que l’on voit. » Et c’est là que les médias officiels, justement, ont de plus en plus de difficultés à nous faire prendre des vessies pour des lanternes. Dernier exemple en date : le film Hold-up. Dont nous vous avons déjà parlé le 16 novembre 2020.
Effets d’optique
Certains ont une fâcheuse tendance à ne voir que des matraques s’abattre sur des malheureux manifestants pacifiques tandis que d’autres nomment « délinquants » les-dits manifestants. Certains voient des courbes sanitaires baisser alors que d’autres ne sentent que leur terreur monter face à l’ennemi invisible. Certains se gavent d’informations politiquement correctes (sans toujours le savoir) alors que d’autres se délectent de réseaux confidentiels non conformes (souvent en le sachant). Bref, il existerait d’un côté complotistes et de l’autre des anti-complotistes, version moderne des Capulets et des Montaigus.
Mais d’où viennent-ils, ces deux camps qui s’affrontent ? Les premiers responsables seraient-ils plutôt ceux qui devraient jouer les arbitres ? Les gouvernements successifs qui proclament Bleu et appliquent Vert ? Les médias autorisés (par qui ?) prônant le politiquement correct comme un catéchisme obligatoire ? Ceux qui se rangent sous la bannière sanglante de Saint-Just – « Pas de liberté pour les ennemis de la liberté » — ou ceux qui se souviennent encore de la fondatrice de KPD (Parti communiste allemand) Rosa Luxemburg : « La liberté, c’est toujours la liberté de celui qui pense autrement. »
Un débat psychiatrisé
Cette schizophrénie sociale donne lieu à une psychiatrisation du débat public avec l’apparition en nombre des « phobies », des « dérapages » et des « fous ». Bref autant de motifs d’exclusion, loin de tout argumentaire.
Précisons. Nous nous trouvons sur un plateau télé normal, style BFMTV. Le journaliste : « Bonjour monsieur Bidule, êtes-vous complotiste ? ». Fin et rideau. Le malheureux invité voit sa langue coupée avant même de l’avoir mise en action. En posant la question, le journaliste – ou plutôt l’inquisiteur – a formulé mine de rien, dénonciation, excommunication et condamnation sans autre forme de procès (médiatique). À la société numérique, donc binaire : choix1.0. En deuxième semaine ou à la trappe. C’est la censure clanique : bien versus mal, simple, rapide et définitif. Comme l’explique joliment le philosophe Marcel Gauchet (philosophe et historien interdit de colloque il y a quelques années par l’écrivain homosexualiste Édouard Louis et par l’idéologue-qui-ne-veut-pas-débattre-avec-des-gens-qui-ne-sont-pas‑d’accord-avec-lui, Geoffroy Daniel de Lagasnerie) :
« […] les infox sont autant de réactions aux euphémismes lénifiants et aux interdits sournois dictés par le moralisme officiel » (La guerre des vérités, Le Débat, mai 1975).
Citation extraite du bimestriel édité pendant quarante ans par Gallimard qui, fait révélateur, vient de cesser sa parution faute de… débats ! CQFD. C’est donc dorénavant le règne du « Taisez-vous », comme le regrette une ex-parangon des intellectuels, Élisabeth Badinter, elle aussi rattrapée par la patrouille bienpensante et omnipotente des médias officiels, de Radio France à L’Obs, de la quasi-totalité de la PQR au Parisien.
Bannissement
Il est vrai que le fait de poser des questions ou d’émettre un doute vous fait taxer de complotiste, suivi instantanément de votre mise hors-ban (sans jeu de mot !).
Cette année 2020 a été particulièrement riche. Nous avons eu successivement une grande première : un enfermement appelé aussi confinement ; les mensonges gouvernementaux concernant leurs décisions sanitaires, puis les agenouillades (contraction de genoux et de nouilles) de « Black Lives Matter », des élections à deux tours étalées sur un trimestre avec des chiffres de participation toujours plus bas, quelques attentats islamiques mortels dont une décapitation d’enseignant et trois assassinats dans une basilique, la dégringolade économique, un deuxième enfermement, l’inamovible caisse d’enregistrement « rataplantesque » qu’est devenu notre Parlement, un médicament qui ne marche qu’à Marseille et nulle part ailleurs en France. Cette liste n’est évidemment pas exhaustive.
Haut les mains, c’est un hold up !
Mais l’important, c’est d’ergoter sur les objections des derniers résistants du brouet débité sans pitié par nos médias. Cela s’appelle « fake news ».
Creusons un peu et tournons-nous vers le grand chef : Le Monde ! Dans son édition du 13/11/2020, William Audureau a beaucoup travaillé. Il a apporté à ses lecteurs 36 réponses sur la pandémie de Covid 19. Le sous-titre est emphatique : « ‘’Le Monde’’ répond à un long et populaire message viral sur Facebook » Pompeux certes, mais faux et embrouillé comme l’esprit du quotidien du soir. Décodons : « Le message viral » est un long métrage de 2h43 intitulé Hold Up. « Long et populaire » équivaut à ennuyeux et débile, sinon dangereux. Maintenant que le lecteur est mis en condition, il peut découvrir la bonne parole car on va distinguer pour lui « les questions qui s’appuyaient sur une fausse information de celles qui relevaient davantage de l’opinion ou d’exagérations rhétoriques ». On s’attend à ce que ce film soit démoli comme Pompéi par le Vésuve. Résultat : sur les « 36 réponses », 22 ne sont que des « explications », au cas où celui qui a vu le film n’ait pas compris, 6 sont « exagérées », selon la pensée du Monde, 1 seule est « orientée », toujours selon l’étalon en or dur du Monde. Reste 7 « attention, fausse information ».
Sept fausses informations en 2h43, la moyenne est nettement au-dessous d’un score du JT de TF1 ou bien Arte ou des bulletins d’infos de BFMTV, selon d’autres critères choisis par d’autres sommités que Le Monde.
Des exemples
Deux exemples : la seule « orientée » est celle-ci : « Pourquoi ne demande-t-on pas au peuple de quelle manière il souhaite être gouverné dans cette situation de crise ? » Éléments de langage de la réponse : il faut « davantage de pédagogie et de dialogue avec la société civile et la création d’un comité de liaison ». Du Castex dans le texte ! Et, comme référence le référendum sur Maastricht renvoyé aux oubliettes à Lisbonne par Nicolas Sarkozy. Autre exemple dans la catégorie « exagérées » : « Pourquoi la vague des dépressions et de suicides serait minorée, pourquoi les médecins qui ont une approche autre se font-ils agresser sur les plateaux de télé, pourquoi tous les médias ont-ils la même approche de cette situation ? ». Réponse : « Il s’agit d’une affirmation contestable, qui relève davantage de l’opinion que des faits. » Cela laisse effectivement sans voix !
Mais le petit destroyer Libération du grand porte-avion Le Monde n’est pas resté en reste. Sept pages, dont la Une (le 13/11/2020) sur ce film « nauséabond ». Deux exemples : « Ce que dit le film. Ancien pharmacien, Jean-Bernard Fourtillan assure dans le film qu’un brevet avait déjà été déposé sur ‘’les tests pour détecter la maladie Covid 19, le 13 octobre 2015’’. Il affirme ensuite que le virus ‘’a été fabriqué par l’Institut Pasteur’’ ». Réponse : « Pourquoi c’est faux. Comme indiqué sur le site de l’Office européen des brevets, ce brevet a été actualisé en 2020 par son inventeur pour adapter la technologie initialement brevetée (des techniques d’analyses de données biométriques) à la détection du nouveau coronavirus. La technologie brevetée en 2015 peut donc servir à détecter le Covid 19, mais elle n’a pas été créée pour cela. » C’est donc vrai, mais c’est pas vrai ! Comprenne qui pourra (ou voudra). Dans une autre « réfutation » digne du Gorafi, on trouve cette perle : « le faux pas de la revue médicale The Lancet […dont l’étude concluant à l’inefficacité et même à la dangerosité du traitement à l’hydroxychloroquine] qui avait été retiré par certains de ses auteurs la semaine suivante en raison de doutes sur la fiabilité des données utilisées. » On comprend mieux, à l’aune de cet exemple qui qualifie le fait qu’une des trois revues scientifiques mondiales de référence publie une étude bidonnée de « faux pas », que notre presse généraliste devenue irresponsable ne s’embarrasse pas de pudeur déontologique et la remplace avec allégresse par de la moraline en intraveineuse, bientôt remboursée par la sécurité sociale.
Samizdat cinématographique
Mais le pire, c’est que ce « hold up » ait pu passer entre les mailles du filet idéologique de plus en resserré par les tenailles législatives et administratives. D’où la rage de la présidente déléguée des députés LREM, l’héraultaise Coralie Dubost qui a alerté sur Twitter : « Hold-up n’est pas un docu, ce n’est pas du journalisme, c’est une propagande complotiste à budget blockbuster. » (cité sur Centre Presse du 14/11/2020). Informons cette importante députée et évitons-lui une « fake news » : « 200 millions de dollars, c’est, à l’heure actuelle, le budget standard pour un gros blockbuster » (Télérama, 13/06/2016). On l’excusera de ne pas avoir bien lu Libération du jour précédent (13/11/2020) qui donne le budget de ce film ; « leur objectif de 20 000 euros sur la plateforme Ulule a été atteint en quatre jours et le projet a finalement été financé à 914 % (un peu plus de 182 970 euros collectés, auxquels il faut ajouter plus de 100 000 euros sur Tipeee pour le seul mois de novembre. » Les 200 millions de dollars d’un Men in Black n’ont qu’à bien se tenir… Et on comprend mieux pourquoi, dans le numéro 259 d’Antipresse du 15/11/2020, Slobodan Despot qualifie ce film de « premier vrai samizdat occidental ».
La leçon de Guy Debord
Résumons. À travers la mode des « fake news », nous voici dans un monde décrit parfaitement en 1988 par le situationniste Guy Debord dans ses Considérations sur la société du Spectacle (Gérard Lebovici) :
« Jamais censure n’a été plus parfaite. Jamais l’opinion de ceux à qui l’on fait croire encore, dans quelques pays, qu’ils sont restés des citoyens libres, n’a été moins autorisée à se faire connaître, chaque fois qu’il s’agit d’un choix qui affectera leur vie réelle. Jamais il n’a été permis de leur mentir avec une si parfaite absence de conséquence. »
Bref, au mieux, celui qui n’accepte pas la doxa médiatique peut bénéficier d’une sorte de bienveillance : il n’est pas vraiment méchant, il et seulement malade et on va le soigner avec quelques médicaments bienpensants. Mais si cela ne marche pas… On recourt alors au Le Lotus bleu d’Hergé où le fils d’un dignitaire devenu fou répète son mantra : « Lao Tseu l’a dit : ‘’Il faut trouver la voie’’. Moi, je l’ai trouvée. Il faut donc que vous la trouviez aussi. Je vais vous couper la tête. Ensuite, vous connaîtrez la vérité ! »
Bienvenue dans « la cage aux phobes ».