La récente suspension du compte Twitter de Donald Trump a fait grand bruit. Mais elle ne doit pas faire oublier la politique de contrôle du réseau social américain. Si l’on peut se réjouir que Twitter permette des échanges gratuits sur le net entre utilisateurs sans passer par le filtre d’autres médias, l’ascendant du réseau social sur le marché du microblogging va de pair avec une censure parfois totalement arbitraire de comptes d’utilisateurs. De récents exemples l’illustrent de façon éclatante.
Un acteur central du microblogging
Avec 340 millions d’utilisateurs actifs, Twitter est en position dominante sur le marché du microblogging. Les conversations sur le réseau social ne se limitent pas aux particuliers : de nombreux chefs d’État, des ministères, des services publics, des entreprises s’expriment également sur Twitter. A tel point que le réseau social est devenu incontournable et qu’en être exclu prive l’utilisateur de la possibilité d’être en contact rapide avec de nombreux abonnés glanés au fil du temps.
Les conditions réelles d’utilisation de Twitter versus les valeurs de l’entreprise
L’entreprise américaine affiche sur son site un vibrant plaidoyer pour la liberté d’expression :
« Nous défendons la liberté d’expression et la protection de l’intégrité de la conversation publique à travers le monde ».
Mais cette position va également de pair avec certaines restrictions :
« Notre objectif est de favoriser un environnement propice à une conversation saine et pertinente sur Twitter, et de lutter contre les menaces que représentent les intervenants étrangers et nationaux hostiles ».
Il faut une bonne dose de courage pour arriver à connaitre les limites que fixe Twitter à la liberté d’expression sur le réseau social. Les conditions d’utilisation sont complétées par des règles et politiques de Twitter. Que celui qui les a lues jusqu’au bout lève le doigt.
En cas de suspension ou de verrouillage d’un compte, l’abonné peut faire une réclamation via un formulaire en ligne. Mais alors que l’administration a depuis quelque temps adopté en France le principe du « silence vaut accord » qui vaut acceptation tacite de la demande à défaut de réponse, le réseau social peut ne pas répondre aux requérants et continuer à suspendre voire fermer le compte sans justification.
Une longue liste de censure et de vexations
Au rayon vexations, Twitter marque certains comptes du sceau « affilié à un État. Russie » ou « « affilié à un État. Chine ». Les médias francophones les plus connus à être « marqués » de la sorte sont RT France et Sputniknews, qui ont pourtant depuis leur présence en France contribué à une plus grande pluralité dans la couverture de l’information. Libération a cherché à connaitre les raisons de ce marquage : il serait dû à la mainmise de certains États sur le contenu éditorial.
Quelle est la grille d’analyse de Twitter pour qualifier un contenu comme étant influencé par l’État qui finance le média ? Pour quelle raison France Inter financé par l’État français, AJ+ (Al jazeera) financé par le Qatar, ne sont-ils pas ciblés par ce label ? C’est ce que l’on appelle le fait du prince, ou les affinités électives.
Opacité toujours pour le label depuis septembre 2020 « affilié à un État. Russie » du compte Twitter du journal d’information eurosceptique Ruptures. En dépit des nombreuses démarches de la rédaction du journal décrites dans un article, la firme américaine n’a aucunement justifié ce label. Au contraire, par un étonnant renversement accusatoire, elle demande au journal de justifier des éléments qui pourraient la faire changer d’avis ! Est-ce parce que le rédacteur en chef a travaillé au journal communiste l’Humanité ? Est-ce parce que l’euroscepticisme est un délit sur Twitter ? Mystère.
La censure
Les exemples de censure ou d’« encadrement » de la liberté d’expression sur Twitter sont nombreux. Pour n’en citer que quelques-uns :
En décembre, la plateforme demandait selon Le Figaro à ses utilisateurs de retirer les Tweets remettant en cause l’intérêt de se faire vacciner. A partir de quel moment un Tweet remet-il en cause cet intérêt à se faire vacciner ? Le réseau social permet-il d’émettre une critique sur les vaccins disponibles, d’avoir des doutes sur leur innocuité ? La confrontation des idées est-elle tout simplement possible à ce sujet ?
Des comptes supprimés à foison
Les suspension ou suppressions de comptes Twitter, parfois sans justification ou avec des termes tellement généraux qu’ils sont incompréhensibles, sont nombreuses.
En février 2020, l’édition belge du journal économique Les Échos nous informait qu’un compte Twitter administré par des analystes financiers, comptant près de 670 000 « followers » avait été supprimé, au motif de la violation des règles de bonne conduite, en l’espèce avoir publié un message relatant l’implication d’un scientifique dans l’éclosion du coronavirus. Chacun appréciera…
Au cours du premier semestre, ce sont différents comptes de membres de Génération identitaire qui sont censurés les uns après les autres.
En novembre 2020, Robert Ménard annonce sur Twitter que le compte de son épouse a été suspendu pour avoir dit que le terroriste de Nice ayant tué 3 personnes dans une basilique était un migrant.
L’Observatoire du journalisme a fait la triste expérience le 19 octobre 2020 de la suspension de son compte et a dû faire intervenir un avocat pour permettre de garder le lien sur le réseau social avec ses 6 500 d’abonnés.
Pas de censure par contre pour le Hashtag antisémite « sijetaisunjuif » très bien placé en juin sur le réseau social. Et nous n’aurons pas l’outrecuidance de parler des nombreux démêlés de Donald Trump et de conservateurs américains avec le réseau social, qui ont amené certains d’entre eux à migrer sur le réseau Parler, également dans le viseur de Google et d’Apple…
Et tous ces événements, il convient de la préciser, c’était avant que des sosies de Davy Crockett, Jamiroquai et Batman pénètrent par effraction dans la Capitole. Ce qui a valu quelques photos assez surréalistes en ce début d’année 2021… Orwell, reviens, ils sont devenus fous !
Pour aller plus loin sur la censure sélective de Twitter
- Un article de la revue Éléments dont l’auteur, François Bousquet, a été concerné par la suppression du compte de la Nouvelle Librairie à Paris,
- Le livre d’Anne-Sophie Chazaud « Liberté d’inexpression » (Editions l’Artilleur).