Rediffusion. Première diffusion le 15/02/2021
Quand le mot « complot » paraît, ce qui n’est guère rare, Rudy Reichstadt entre en scène. Il est partout. Il serait « le » spécialiste, celui qui aurait « l’expertise » en la matière. Ainsi, RFI voulait évoquer le « complotisme » le 5 février 2021, alors Rudy Reichstadt était l’invité, « l’incontournable ». Ce qui, à force de passages de radios en radios, donne à entendre, plus que les mêmes arguments, exactement les mêmes phrases. Rudy Reichstadt dans le texte.
Le complotisme comme fonds de commerce
D’abord diffusé sur les ondes en format réduit, l’entretien intitulé « Les dynamiques actuelles du complotisme », avec Rudy Reichstadt, a ensuite été mis en ligne en version longue sur la page de l’émission de RFI « L’atelier des médias ».
L’invité est présenté ainsi : « L’Atelier des médias reçoit Rudy Reichstadt, directeur de ConspiracyWatch.info, l’observatoire du conspirationnisme et des théories du complot. Auteur de L’opium des imbéciles, paru en 2019 chez Grasset, il alerte depuis de nombreuses années sur l’ampleur et la dangerosité du complotisme. » Une présentation qui n’est pas mensongère, Reichstadt se présente, est régulièrement présenté ainsi, est bien l’auteur de ce livre et dirige effectivement ce site censé être de même incontournable (pour les médias de grand-chemin) sur la question du complotisme. Cependant, et c’est l’une des pratiques fort contestables des médias dits officiels, la présentation de l’invité est incomplète, volontairement incomplète. Car Rudy Reichstadt n’est pas seulement l’invité ainsi décrit, il est aussi, le portrait de son parcours proposé par l’OJIM le montre, un VRP du complotisme, un complotisme qu’il prétend combattre, le confondant allègrement avec un scepticisme de bon aloi, afin d’en vivre. Le complotisme est le fond de commerce de Rudy Reichstadt.
De la mairie de Paris à la Mémoire de la Shoah
Ancien chef du bureau des affaires financières du service de la jeunesse et des sports de la mairie de Paris, tout se tient dans le monde libéral libertaire, il vit depuis 2015 de son activité de directeur de l’Observatoire du complotisme grâce au soutien financier de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah, dont l’on peut se demander ce qu’elle vient faire ici, les « complotismes » contemporains ayant peu ou pas à voir avec la seconde guerre mondiale ou avec l’antisémitisme. Expert en complotisme auto-proclamé, Reichstadt travaille pour le Mémorial de la Shoah dont il est la tête de pont dans les établissements scolaires ou à la mairie de Paris, laquelle, l’amitié aide toujours, lui a confié de nombreuses formations sur le complotisme.
Par ailleurs, l’IFOP semble ne plus pouvoir se passer de lui, ainsi que France Culture, France Inter, Franceinfo, RFI… Tous les médias d’État, bien sûr, mais aussi les outils de propagande officiels, tels que le CLEMI pour le milieu scolaire. Un signe ?
La rhétorique rodée et répétitive de Reichstadt
Et donc des médias, structures politiques et culturelles qui lui ouvrent leurs portes en grand en permanence.
Il est aussi invité parce qu’il vient de « lancer en collaboration avec Franceinfo un podcast intitulé Complorama », émission que l’OJIM présentera sous peu. Reichstadt continue ainsi à faire son nid partout.
La mise en scène entamant l’émission :
- Elle débute par des citations entendues ou lues mille fois d’américains qui pensent, par exemple, que la Terre est plate. Premier élément de langage : « nous » allons parler de conceptions ridicules.
- Certains médias ne joueraient pas leur rôle, parmi les médias officiels, étant « plus actifs que passifs dans la diffusion des théories du complot ».
Les principaux éléments de langage, prononcés sur RFI début février, comme partout ailleurs par Reichstadt sont :
Les théories du complot « ont franchi un palier en 2020 ». Pour Reichstadt, « ce qui est nouveau c’est la manière dont internet (…) a redistribué les cartes du point de vue de l’influence sociale que ces théories peuvent avoir. Il s’est passé quelque chose en 2020, de l’ordre d’une accélération de l’histoire, une extension rapide de cet imaginaire dans des fractions de la population qui étaient imperméables. Évidemment que la pandémie a joué un rôle dans cette histoire mais une des illustrations de ce phénomène c’est la migration d’un phénomène complotiste comme QAnon des États-Unis vers l’Europe ».
L’État profond américain n’existe pas
Accélération ? Reichstadt dit la même chose depuis 2017. Le fonds de commerce a besoin d’être actualisé à chaque instant, sans quoi il perd sa raison d’être. L’affirmation selon laquelle une extension du complotisme en Europe serait illustrée par la diffusion de QAnon est intéressante : si les lecteurs de l’OJIM pouvaient nous éclairer à ce propos et nous indiquer une masse de cas de militants QAnon qui agissent par exemple en France… S’ensuit, de la part de Reichstadt et de RFI une définition de la mouvance QAnon, de façon évidemment restreinte, afin de la ridiculiser : « il y aurait un complot d’une élite internationale pédo-sataniste contre l’administration Trump, et Trump associé à un mystérieux personnage nommé Q, qui publie des messages sur un obscur forum (ndlr : pourquoi est-ce si diffusé et si important si c’est tellement « obscur ») et que Trump serait en train de mener un combat complètement fantasmé comme un Etat profond, un Deep state ». Les membres de QAnon seraient des « adeptes » fuyant « hors du réel ». Une secte, en somme. Leur fantasme serait « un coup d’État militaire ». Un fantasme « consubstantiel ». Les membres de QAnon vivraient dans « une réalité parallèle ».
La présentation vise au ridicule. Mais elle tombe un peu à plat en ces mois de révélations massives sur les affaires de pédophilie et d’incestes qui touchent presqu’exclusivement le monde libéral-libertaire ou des individus protégés par des acteurs majeurs de ce monde, affaires qui du reste n’épargnent pas la mairie de Paris où Reichstadt a commencé sa carrière, et qui l’emploie pour intervenir dans ses écoles.
À complot, complot et demi
Le complotisme serait donc dangereux. Les événements du Capitole le démontreraient, évènement dont la responsabilité incomberait à la présence du complotisme dans l’imaginaire collectif américain et à la manière dont Trump aurait joué politiquement avec cela. Reichstadt en profite surtout pour indiquer que la vision complotiste de Trump consiste ici à remettre en question la validité des élections. Chose impossible pour les médias libéraux libertaires français puisque c’est un démocrate qui a été élu. Il se passe exactement l’inverse chaque fois qu’un républicain est élu : les médias Français se mobilisent alors pour contester l’élection, en prenant prioritairement comme argument ce qu’ils considèrent, dans ce cas-là, mais pas dans le cas inverse, comme une injustice : le système électoral indirect. A complot, complot et demi donc. Tout dépend de qui l’emporte.
L’interrogation suivante porte sur le profil des « adeptes du complotisme ». Pour Reichstadt, « plus on est extrémiste plus on est perméable». La réponse ne suffit pas pour « L’Atelier des médias » : « Pour parler franchement, est-ce que le complotisme est une maladie qui toucherait plus les classes populaires que les milieux aisés et éduqués ? ». Une conception du monde pour les cons, en somme.
L’emploi du mot « maladie » est révélateur. Pour Reichstadt, être en difficulté sociale, économique, personnelle, peu instruit, favoriserait l’adhésion. Comme pour les sectes, la fragilité personnelle et la croyance en des conceptions apocalyptiques, attirerait.
À aucun moment, l’émission n’explique ce qui est ici entendu par le terme « complotisme » ou l’expression « théorie du complot ». Le podcast dure 40 minutes, traite d’un sujet précis. Mais le sujet en tant que tel n’est jamais expliqué ni défini. La question se pose pourtant : qu’est-ce qu’un complot ? Que sont le complotisme, le conspirationnisme, les théories du complot ? Pourquoi ne pas les définir ? Comment parler sérieusement de sujets que l’on ne définit pas avant de passer 40 minutes à en parler ?
Retour des Sleeping Giants
Parmi les sujets traités ensuite, vient la question du financement du complotisme : financement du film Hold up, Dieudonné qui se lance dans les assurances, sites participatifs sur internet, accusation contre les plates formes telles que YouTube et Facebook. L’émission veut dénoncer le financement et s’y attaquer, d’où l’éloge de Sleeping Giants. Si les motivations politiques du complotisme dominent, il y aurait aussi d’importantes motivations économiques : le complotisme serait une manière de gagner largement sa vie. Pire : en donnant une vitrine aux « complotistes », les médias favoriseraient leurs théories. Cela ne doit pas être interdit, affirme Reichstadt, mais les médias en question doivent être considérés comme responsables. Il ne demande pas une censure officielle, simplement une censure soft. Faire disparaître ces modes de pensée qu’il combat de la réalité.
Ce qui serait dangereux ? Que les médias classiques « s’alignent » sur les théories du complot, en oublient les « faits » et par ce biais diffusent les théories dites du complot. Les journalistes seraient « portés à concéder beaucoup à l’imaginaire complotiste » pour « montrer patte blanche sur les réseaux sociaux ».
Un moment intéressant : vers la fin de l’émission, Reichstadt indique qu’il s’exprime en « termes marxistes ». Son « marxisme » à lui. Il veut parler de la gauche à laquelle il appartient.
Nouveau point Godwin
L’exemple sur lequel insiste ensuite Reichstadt est le platisme. Un courant modeste aux États-Unis, considérant que la Terre est plate, revenu en force « grâce à YouTube ». Or, « pour être platiste, il faut d’abord être passé par tous les stades du complotisme et des théories du complot ». Les journalistes et l’invité rappellent que la question de la rotondité de la Terre n’est plus remise en question depuis la Renaissance. Conclusion ? Évidemment, assimiler le scepticisme de ceux que les médias de grand-chemin considèrent comme complotisme à des minorités comme ceux qui pensent que la Terre est plate est une démarche politique visant à discréditer. Le complotisme, où le nouveau point Godwin.
Et puis de la publicité pour finir. Pour Complorama, dont nous parlerons bientôt, et le dernier livre de Reichstadt au titre révélateur de la façon dont l’idéologie officielle, et ses éditeurs, considèrent leurs contemporains : L’opium des imbéciles. Une émission ? Pas vraiment, puisqu’aucun sujet n’a été clairement défini. Un magma de répétitions de choses dites ici et là, partout, dont l’objectif est d’enlever toute légitimité à des modes de pensée autres tout en affirmant combattre en faveur de la liberté d’expression.