Une jeune poète afro-américaine prononçant un poème « engagé », politiquement correct à souhait, le jour de l’investiture du nouveau président des États-Unis Joe Biden : cela avait ému la planète des médias de grand-chemin, et en particulier Le Monde. Mais voilà qu’une européenne veut le traduire. Au scandale des milieux décoloniaux hollandais.
Le 20 janvier 2021, sous l’œil attendri de Joe Biden, soucieux de donner des gages à une gauche du parti démocrate avide d’en découdre au plus vite sur les versants de la cancel culture, autrement dit de l’effacement du réel, du déboulonnage des statues ou de la promotion des minorités militantes, la jeune poète Amanda Gorman, 22 ans, prononçait « The Hill We Climb », « La colline que nous escaladons », lors de la cérémonie d’investiture du nouveau président, âgé, des États-Unis d’Amérique. Une sorte de symbole : le vieux mâle blanc hétérosexuel un peu gâteux, réputé pour ne pas dédaigner une main aux fesses par-ci par-là, s’effaçant devant la jeune noire.
Le poème vaut son pesant de bien-pensance
C’est dans le contexte de sa traduction que ce poème a provoqué une polémique fin février 2021, aux Pays-Bas. Vous trouverez la traduction complète en fin d’article.
Il est difficile de faire plus dans l’air dominant du temps. Un air dominant qui fait sentir sa petite musique quand il s’agit de traduire ce poème. C’est ainsi qu’aux Pays-Bas….
L’anti-racisme devenu racisme, le tout sous l’œil aguerri du Monde
Le 26 février 2021, l’écrivain Marieke Lucas Rijneveld, choisie par l’éditeur néerlandais du poème d’Amanda Gorman, sous la pression renonçait à le traduire. Depuis, militants, intellectuels bien vus et milieux culturels débattent, à condition que cela reste circonscrit dans des salons de gauche.
Une personne blanche peut-elle retranscrire la voix d’une Afro-Américaine ?
Cela pourrait sembler risible si le fait ne traduisait pas la transformation de nos sociétés en un univers que même George Orwell n’imaginait pas, la réalité dépassant souvent la fiction.
Reprenons Le Monde, quotidien de référence de l’anti-racisme devenu racisme : joyeuse, le 23 février, d’avoir été choisie pour la traduction, l’écrivain néerlandaise de 29 ans, récompensée en 2020 par l’International Booker Prize (ce qui induit d’être fortement intégrée dans un écosystème qu’elle risque de regarder à présent d’un tout autre œil), a fortement déchanté trois jours plus tard tant la polémique est devenue délirante. Il s’avère que Marieke Lucas Rijneveld est blanche, une denrée qui devient rare en milieu urbain aux Pays-Bas diront les mauvaises langues. Or, en 2021, la poésie semble dépendre de la couleur de la peau du poète.
Marieke Lucas Rijneveld avait même été adoubée par Amanda Gorman, l’écrivain hollandaise incarnant (sans quoi elle n’obtiendrait pas le même succès de librairie) une autre minorité, se réclamant de « la minorité sexuelle non binaire. »
Halte là ! Ce n’est pas (ou plus) si simple !
L’écrivain hollandaise a renoncé. La polémique était trop forte, son éditeur recevant des tombereaux de reproches et d’insultes pour avoir désigné « une personne blanche ». D’après Le Monde, d’autres éléments seraient entrés en ligne de compte : « Son parcours personnel, ses références culturelles, son absence de connaissance du slam, sa maîtrise jugée insuffisante de l’anglais mais, surtout, le fait que sa désignation traduise « le surplomb de la pensée blanche », comme l’a écrit sa consœur néerlandaise Olave Nduwanje ». Cette dernière étant une autre femme écrivain de nationalité néerlandaise, dont le nom laisse entendre les exotiques origines. D’autres voix se sont élevées pour réclamer que soit retenue « une jeune femme slameuse et fièrement noire ».
La question ne se posera pas en France où le poème doit être traduit chez Fayard. La traductrice a déjà été choisie. Elle s’appelle Marie-Pierra Kakoma et est Belgo-Congolaise. Il ne devrait pas y avoir de souci. Quoi que… Peut-être une polémique naîtra-t-elle du fait que Kakoma a conservé la double nationalité, étant aussi belge que congolaise. Ne risque-t-elle pas de passer pour un élément d’héritage de la colonisation blanche ? Et de toutes les horreurs afférentes faites aux femmes (noires)
La colline que nous gravissons, Amanda Gorman
Quand le jour arrive, nous nous demandons où pouvons-nous trouver de la lumière dans cette ombre qui n’en finit plus ?
La peine que nous portons, une mer dans laquelle nous devons patauger.
Nous avons bravé le ventre de la bête.
Nous avons appris que la tranquillité n’est pas toujours la paix,
et que les normes et notions de ce qui est juste ne sont pas toujours justice.
Et pourtant, l’aube est nôtre avant que nous le sachions.
D’une certaine manière, nous le savons.
D’une certaine manière, nous avons surmonté et été témoins d’une nation qui n’est pas brisée,
mais simplement inachevée.
Nous, les héritiers d’un pays et d’une époque où une jeune fille noire, maigre, descendante d’esclaves et élevée par une mère célibataire peut rêver de devenir présidente, simplement en se retrouvant à réciter pour lui.
Et oui, nous sommes loin d’être lisses, loin d’être irréprochables,
mais cela ne veut pas dire que nous aspirons à former une union parfaite.
Nous aspirons à forger une union d’intention.
A composer un pays engagé en toutes ses cultures, couleurs, personnalités et conditions humaines.
Et donc nous levons nos regards non pas sur ce qui se dresse entre nous, mais sur ce qui se dresse devant nous.
Nous comblons le fossé car nous savons que, pour faire passer notre futur en premier, nous devons passer outre nos différences.
Nous déposons nos armes pour pouvoir se tendre les bras les uns aux autres.
Nous ne cherchons la nuisance d’aucun, l’harmonie de tous.
Laissons le monde entier, rien de moins, dire que ceci est vrai :
que même dans notre deuil, nous grandissons
que même dans notre douleur, nous espérons
que même dans notre fatigue, nous essayons
que nous serons liés à jamais, victorieux.
Non pas car nous ne connaîtrons jamais plus la défaite, mais car nous nous ne sèmerons jamais plus la division.
L’Ecriture nous enseigne d’envisager que chacun s’assoira sous ses propres vigne et figuier, et que personne ne l’effrayera.
Si nous voulons être à la hauteur de notre temps, alors la victoire ne passera pas par la lame, mais par les ponts que nous créons.
C’est la promesse de la clairière, la colline que nous gravissons, seulement si nous l’osons.
C’est parce qu’être Américain représente plus que la fierté dont nous héritons.
C’est le passé que nous pénétrons et notre manière de le réparer.
Nous avons vu une force qui ferait voler en éclats notre nation plutôt que la partager,
qui détruirait notre pays si cela retardait la démocratie.
Cette tentative a presque réussi.
Même si la démocratie peut être périodiquement retardée,
elle ne peut jamais être vaincue.
En cette vérité, en cette foi, nous croyons,
car tant que nous gardons les yeux sur le futur, l’histoire nous garde à l’œil.
Voici l’époque de la rédemption.
Nous la craignions à ses débuts.
Nous ne nous sentions pas prêts à être les héritiers d’une heure aussi terrifiante, mais en son sein, nous avons trouvé la force d’être auteurs d’un nouveau chapitre, de s’offrir l’espoir et les rires.
Alors qu’une fois nous nous demandions « Comment pourrons-nous triompher d’une telle catastrophe ? », maintenant nous affirmons : « Comment une telle catastrophe pourrait-elle triompher de nous ? »
Nous ne défilerons pas pour le passé, mais avancerons vers ce qui pourra être:
Un pays qui est meurtri mais entier, bienveillant mais téméraire, féroce et libre.
Nous ne serons pas retournés ni interrompus par des intimidations car nous savons que notre inaction et notre inertie seront l’héritage de la génération future.
Nos bévues deviennent leurs fardeaux.
Mais une chose est sûre :
Si nous fusionnons miséricorde avec puissance, et puissance avec droit, alors l’amour devient notre legs et le changement, le droit de naissance de nos enfants.
Alors laissons derrière nous un pays meilleur que celui qui nous a été laissé.
A chaque souffle de ma poitrine martelée de bronze, nous relèverons ce monde blessé pour en faire une merveille.
Nous nous lèverons des collines mordorées de l’Ouest.
Nous nous lèverons du Nord-Est balayé par les vents où nos aïeux ont réalisé la révolution.
Nous nous lèverons des villes bordées de lacs dans les États du Midwest.
Nous nous lèverons du Sud baigné par le soleil.
Nous reconstruirons, réconcilierons, et récupérerons.
Dans chaque recoin connu de notre nation, dans chaque coin appelé notre pays, notre peuple, diversifié et beau, émergera malmené et beau.
Quand le jour arrive, nous sortons de l’ombre, enflammés et résolus.
L’aube nouvelle éclot quand nous la libérons.
Car il y a toujours la lumière,
si seulement nous sommes assez braves pour la voir.
Si seulement nous sommes assez braves pour l’être.