« Tentatives du gouvernement de museler les médias libres en Pologne, en Hongrie et en Slovénie », tel était l’intitulé du débat qui se déroulait en session plénière du Parlement européen le 10 mars dernier. Pour la Pologne et la Hongrie, on avait l’habitude, même si, en ce qui concerne la liberté et le pluralisme des médias, ces pays ne sont pas les plus mal lotis de l’UE.
Voir à ce sujet : « Situation de la presse en Hongrie : une impitoyable guerre de tranchées » et « La liberté et le pluralisme des médias menacés en Pologne, vraiment ? ».
Pourquoi la Slovénie ?
L’hebdomadaire conservateur slovène Demokracija remarque qu’« il est intéressant de constater que c’est sous les gouvernements de centre-droit qu’apparaît la prétendue “guerre” du Premier ministre Janez Janša avec les médias » tandis que sous d’autres gouvernement, la situation devient tout à coup normale. Et on a l’impression en effet que, comme dans le cas de la Pologne et de la Hongrie, les instances européennes viennent se mêler des affaires intérieures d’un pays d’Europe centrale à l’appel de l’opposition locale de gauche dont la domination sur les médias est menacée.
Coalition de centre-droit
Janez Janša a pris la tête du gouvernement slovène formé par une coalition de centre-droit le 13 mars 2020 suite à la démission du gouvernement minoritaire de centre-gauche de Marjan Šarec. « Des médias libres et indépendants sont essentiels pour la démocratie […]. Contact pris avec la Slovénie pour discuter de la situation », écrivait un mois après sur son compte Twitter Věra Jourová, la très sorosienne vice-présidente de la Commission européenne « chargée des Valeurs et de la Transparence ». Elle ne perdait pas son temps !
Mais ce qui a véritablement mis le feu aux poudres dans les cercles bruxellois, c’est la réaction sur Twitter du premier ministre slovène à un long article publié par une certaine Lili Bayer sur Politico le 16 février dernier. Un article en anglais intitulé « À l’intérieur de la guerre menée par la Slovénie contre les médias » où le premier ministre et son gouvernement étaient accusés de porter gravement atteinte à l’indépendance et à la liberté des médias et auquel Janša a répondu :
« Lili Bayer a reçu pour instruction de ne pas dire la vérité, elle a donc surtout cité des sources “inconnues” de l’extrême gauche et a volontairement négligé les sources nominatives et intègres. C’est @POLITICOEurope malheureusement. Mentir comme moyen de gagner sa vie. »
L’agence slovène STA aussi politiquement correcte que l’AFP
À Bruxelles, cette critique d’une journaliste et d’un média par Janez Janša a été interprétée comme une attaque contre la liberté des médias, comme si un dirigeant politique pouvait être critiqué par les journalistes mais n’avait pas le droit de les critiquer en retour. Car ce qu’on reproche à ce premier ministre conservateur, ce sont justement ses critiques des journalistes de son pays, y compris de l’agence de presse slovène STA et de son directeur jugés très à gauche. En décembre, les attaques verbales du premier ministre contre les médias avaient conduit au départ du gouvernement d’un des partis de la coalition, le parti des retraités slovènes (DeSUS), ce qui montre que tous en Slovénie n’apprécient pas les propos tenus par ce supporter de Donald Trump et de Viktor Orbán, mais, n’en déplaise à ses détracteurs, il conserve pour le moment une majorité au parlement qui est l’émanation des électeurs slovènes.
« Depuis que @STA_novice est dirigé par le directeur (Bojan) Veselinović, la société licencie les journalistes malades et propage souvent des informations fallacieuses. Il est temps que le directeur, en tant qu’instrument politique de l’extrême gauche, se retire et soit tenu responsable de ses actions illégales. Il est temps de permettre à la STA de travailler normalement », a twitté Janša le 9 mars.
Le financement de la STA avait été suspendu un moment, officiellement en attendant la présentation de rapports exigés par la loi concernant l’utilisation des fonds alloués par le gouvernement précédent. Cependant, comme on peut le lire sur le site du gouvernement slovène, la suspension de l’allocation des fonds a depuis été levée sans que le directeur de la STA ne perde son poste. Répondant aux critiques, le gouvernement slovène fait d’ailleurs remarquer que la majeure partie des aides attribuées aux médias est allouée à des médias de gauche. Il faut dire que depuis la chute du communisme et l’indépendance de la Slovénie en 1991, la droite n’a gouverné que pendant sept ans. De ce fait, l’agence de presse nationale, les médias publics, et notamment la télévision RTV Slovenija, mais aussi la majeure partie des médias privés sont entre les mains de la gauche et de l’extrême gauche. Janez Janša avait auparavant été premier ministre en 2004-08 et en 2012–13. En 2008, une pétition contre la censure avait déjà été envoyée à Bruxelles par un groupe de journalistes et intellectuels slovènes, pour protester contre la censure que cet ancien dissident était censé instaurer.
Héritage post-communiste
Le 26 février 2021, Janez Janša a répondu aux attaques de Bruxelles par une lettre à la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, afin de lui expliquer la situation des médias dans son pays et notamment le problème de l’héritage post-communiste, commun à un grand nombre de pays d’Europe centrale fustigés par Bruxelles dès qu’il cherchent à rétablir un certain équilibre médiatique. Une étude sur le pluralisme des médias en Slovénie, conduite par la Faculté des Médias à la fin de l’année 2020, a en effet montré que les médias de gauche dominent largement en Slovénie et qu’ils ne se privent pas d’attaquer le premier ministre et son gouvernement.
Libération confond Slovénie et Slovaquie
Lors du débat du 10 mars au Parlement européen sur les « tentatives du gouvernement de museler les médias libres en Pologne, en Hongrie et en Slovénie », la députée slovène Romana Tomc, du parti SDS du premier ministre (affilié au PPE au Parlement européen), a fait remarquer qu’« une récente étude a montré que pas moins de 80 % des médias en Slovénie sont de gauche et anti-gouvernement », et elle faisait probablement référence à cette étude de la Faculté des Médias. Le même jour, le journal français Libération affichait sur sa page de Une le gros titre « La censure s’élève à l’est », avec en sous-titre la mention de l’« assassinat d’un journaliste en Slovénie ». Cela a beaucoup fait rire le premier ministre slovène qui a twitté : « L’exportation de mensonges à l’étranger par le SD [le parti social-démocrate héritier de l’ancien Parti communiste de Slovénie, NDLR] et Tanja Fajon [chef de la délégation de ce parti dans le groupe des socialistes au Parlement européen, NDLR] est si intense que les camarades durs d’oreille en France ont remplacé la Slovénie par la Slovaquie ». Car en effet, ce n’est pas en Slovénie mais en Slovaquie que le journaliste Ján Kuciak été assassiné. C’était en 2018 sous un gouvernement de gauche. Misères du journalisme de paresse et/ou de propagande. Ou les deux ?