Ou comment une non-affaire a été sciemment envenimée et exacerbée par la presse locale, La Nouvelle République, puis nationale, au mépris d’à peu près toutes les règles du journalisme, de la technique d’enquête et de la déontologie…
Le journal Présent vient de faire un long retour sur cette « affaire » qui n’en est pas une, mais qui a tout de même duré une vingtaine d’années : première enquête en 2001 ; explosion de « l’affaire » en 2004 ; fin de celle-ci en avril 2021. En fait, on peut dire que si, comme le souligne très justement Francis Bergeron dans le quotidien Présent, « C’est une affaire d’Outreau politique ! ». Nous n’allons pas ici vous raconter « l’affaire » en détails, Présent a tout dit ou presque sur le volet policier, vous pouvez retrouver leurs articles ici. Ce qui nous intéresse, c’est le rôle central de la presse joué dans ce scandale. Car ce qui a permis une audience extraordinaire à cette mascarade est la volonté féroce et destructrice de La Nouvelle République et de ses journalistes locaux, à Châteauroux et dans la région. Une volonté féroce, d’avoir le « scoop » de leur carrière en dénonçant un « groupe néonazi » armé et dangereux sévissant dans le Berry, alors qu’il n’en était rien ! Le juge d’instruction Nicolas Léger n’hésitant pas à donner des informations fausses et à organiser de grands moyens (quartiers bouclés, 70 gendarmes, hélicoptère, chiens traqueurs, écoutes téléphoniques etc…) pour donner un semblant de crédibilité à son enquête. Tout cela goulûment récupéré, et exagéré, par La Nouvelle République. Comme au merveilleux temps de l’Union Soviétique, La Nouvelle Pravda se fit plus politique que le commissaire politique, tenant à merveille son rôle de délation dans ce Procès de Moscou sur Loire.
La Nouvelle République veut casser du nazi…
Tout commence début avril 2004, un article catastrophiste paraît dans le journal sous la plume de Bruno Mascle, le titre a de quoi inquiéter les bourgeois de Châteauroux « Un groupuscule néonazi armé a été démantelé dans l’Indre ». On y parle tout d’abord d’un « véritable arsenal, d’armes de guerre, d’armes de poings, d’un obus de mortier » et même « d’un masque a gaz et de casques allemands de la Seconde Guerre Mondiale ». Le journaliste fait monter la sauce en précisant qu’il y a aussi « une abondante littérature révisionniste et homophobe » une « prise de guerre » selon le plumitif Mascle. Le nom complet du « chef présumé » est tout de suite livré à la Vox Populi : Paul-Emmanuel Thore ; ainsi que le nom de son père, Henri Thore, respectable opticien dont la boutique avait pignon sur rue. L’article rappelle opportunément que le « groupuscule néonazi » (en fait un groupe militant national-catholique appelé L’Épervier) faisait une « propagande musclée dans les collèges et lycées » et que « le trouble à l’ordre public était évident ». Ces miliciens du XXIe siècle ne sont rien de moins qu’une « organisation de combat », dont le chef tient un bar-restaurant (la Taverne St Georges) à Saint-Maur (Thérèse, rappelle-toi qu’Hitler a fait son putsch dans une brasserie). D’ailleurs M. Thore organise des concerts dans son bar, déjà que lui-même a des sympathies « extrémistes » sa clientèle est encore plus « sulfureuse », un long encart rappelle les liens supposés entre le bouc émissaire berrichon et Fabrice Robert, ancien d’Unité Radicale, comme Maxime Brunerie, c’est celui qui a voulu tuer le Grand Jacques. S’ensuit le court, mais héroïque, récit de la prise d’assaut par les gendarmes des différentes propriétés de la famille Thore. Le tout sur une demi-page avec en haut, bien en évidence, les photos de la Taverne St Georges et de la « prise de guerre » saisie par les Gendarmes…prise de guerre composée de vieux fusils d’époque ou de chasse, de feux d’artifices et de fusils de paintball. Comme c’est trop compliqué pour Bruno Mascle d’aller vérifier le butin, on en restera à « l’arsenal de guerre et l’obus de mortier ».
Ceci n’était que le premier article
Le 8 avril 2004, c’est-à-dire dans la même semaine, La Nouvelle République sort un second article. Cette fois, c’est Jacky Courtin qui s’en charge ; il en remet une couche sur les parents des collégiens et lycéens qui avaient « alerté la Ligue des Droits de l’Homme » et sur le label musical géré par Paul-Emmanuel Thore Bleu, Blanc, Rock qui « agit dans le cadre d’une guerre culturelle », propos de Fabrice Robert très opportunément sorti de tout contexte. Le journal a au moins, pour cette fois, l’honnêteté de rapporter les propos des avocats de la défense (Frédéric Pichon et Jérôme Triomphe) comme quoi c’est « Beaucoup de bruit pour rien ». Cependant, on a pris soin de mettre en photo la « prise de guerre » en plus gros sur la page.
…encore et encore !
Le troisième article, où Bruno Mascle reprend la main, en profite pour faire les poubelles de la scène rock locale avec le très obscur groupe « Elliptik », dont la chanteuse apparaît en photo avec un tee-shirt antinazi. La chanteuse confie, presque au bord des larmes « Nous nous sommes bien produits à la Taverne St Georges, mais les mois et concerts passant, nous avons relevé des signes inquiétants (!) Des jeunes ont fait un vote à main levée de manière clairement hitlérienne (sic) Nous avons fait une démarche auprès de la Ligue des Droits de l’Homme pour dénoncer de tels comportements (re sic) » Fort heureusement, ce bon vieux Bruno souligne que « Elliptik se produira (…) lors d’un concert de solidarité pour les enfants du Togo ».
Toutefois, le week-end des 10 et 11 avril 2004, une rumeur fait son chemin à Châteauroux : la « prise de guerre » ne serait constituée que de quelques « pétoires », et l’affaire serait donc grandement exagérée. Inacceptable pour l’expert international en armement, et accessoirement journaliste à la Nouvelle République, Hervé Aussant, qui se fend d’un « Point de Vue » dans les colonnes où il alerte « Il n’est pas très difficile pour un amateur éclairé de rendre actives des armes neutralisées ». Il continue « Le système de la rumeur est de retour (…) l’extrême droite est douée dans ce domaine », notre analyste ose même « C’est d’autant plus dangereux qu’il agit en l’occurrence sur des jeunes peu rompus aux techniques de la manipulation » Une cellule de propagande fasciste est active à Châteauroux !
Enfin le 27 avril 2004, La Nouvelle Pravda rapporte dans un encadré l’arrestation de la mère de P.-E Thore, en citant son nom complet, comme de juste.
Que peut-on reprocher exactement aux journalistes de La Nouvelle République dans notre affaire ? Eh bien à peu près tout, de A jusqu’à Z. En école de journalisme, ou bien au début du métier, on vous apprend à vérifier et revérifier vos sources, à enquêter un minimum, sans forcément parler d’une investigation ultra poussée : vous n’êtes pas sûr d’une information ? Allez la vérifier par vous-même, c’est la base.
On peut aussi reprocher à ces « journalistes » le ton volontairement partisan et les associations opportunes de leurs articles, mais ils ne sont certes pas les seuls à ne pas respecter la déontologie journalistique .
La presse nationale rentre en scène
Une telle menace contre la République et ses « valeurs » ne pouvait pas rester cantonnée au Berry : L’Obs, Le Parisien, La Dépêche du Midi, Libération, L’Humanité, Le Monde en font leurs choux gras. Ils reprennent tous les éléments du juge Nicolas Léger, ainsi que les articles de La Nouvelle République. Ils envoient des journalistes sur place, font appel à des correspondants locaux, mais étrangement la version reste la même, inchangée. On peut aussi relever que Le Parisien jette en pâture à ses lecteurs le nom complet de Paul-Emmanuel Thore, exactement comme La Nouvelle République, alors qu’il est présumé innocent. Les autres journaux cités plus haut auront au moins la décence de ne pas donner de noms, ou du moins pas de nom de famille.
Et tout ça pour quoi ?
Aujourd’hui, Paul-Emmanuel Thore et sa famille ont été reconnu innocents des accusations les plus délirantes ; en fait tout ce que la justice a trouvé c’est de condamner Henri Thore à 200 euros d’amende pour un fusil non déclaré. Vingt ans de procédure… pour ça. Mais si Paul-Emmanuel a été réhabilité par la justice, le tribunal médiatique, lui, est quasi-perpétuel. Son nom est trouvable sur Google en deux clics. Il restera assimilé à la notion de « néonazisme » toute sa vie grâce aux vaillants articles de La Nouvelle Pravda, ce qui, comme il le confie à Présent « m’a empêché pendant tout ce temps (20 ans) d’être embauché définitivement ».