Rediffusion estivale. Première diffusion le 11 mai 2021
Aujourd’hui plus que jamais la vérification d’information, aussi appelée « fact checking » a le vent en poupe. Les journalistes et médias dispensent leurs vérités ou ce qu’ils estiment telles, sous l’ombre protectrice des multinationales américaines.
Origines du « fact checking »
Débuté dans le courant des années 2000 dans la presse américaine, il n’a pas fallu trop longtemps pour que les Français prennent le relais. Il y a dix ans, les services de « fact checking » (désolé pour l’anglicisme) étaient peu développés en France. Début 2021, des dizaines de journalistes en font un plein temps, fers de lance de leurs médias respectifs qui recherchent plus de respectabilité et de crédibilité. Le point de rupture est l’année 2016, avec la campagne de Donald Trump et son élection à la Maison Blanche. Lors de cette année cruciale, on a vu le monde médiatique occidental s’agiter comme jamais : rédacteurs, éditorialistes, analystes de plateaux TV, animateurs radio ont orchestré une virulente campagne anti-Trump, croyant jusqu’au dernier moment que « Non ! C’est impossible ! Il ne sera jamais élu ! ». Diabolisant le personnage, et aussi ses électeurs, les médias Français comme Américains eurent un parti pris évident, même aux yeux des citoyens les moins informés. Vous pouvez d’ailleurs voir dans cette vidéo les étonnantes réactions du monde médiatique parisien pendant la nuit américaine de 2016 qui a vu l’élection de Trump.
La confiance du public dans les médias, aux États-Unis et en Europe, en fut grandement ébranlée ; un nouveau terme fait alors son apparition la « fake news » ou « fausse nouvelle / fausse information » ou infox dans la langue de Molière. Une partie des politiques, et notamment Donald Trump, ont accusé les médias d’esprit partisan. Le monde médiatique assiégé, il fallait une contre-attaque. Celle-ci prit la forme de la « lutte contre les fake news », avec la promesse des grands médias de vérifier et revérifier les informations, de façon soi-disant transparente. En découla un investissement massif dans les nouveaux services de « vérification », que nous allons étudier ici pour la France, média par média.
Cette contre-attaque citée plus haut n’aurait jamais été possible sans le soutien précieux de grandes multinationales américaines, des GAFAM, surtout Google et Facebook.
Cinq grands médias ou agences ont en France le quasi- monopole du « fact checking » : Les Décodeurs du Monde, Désintox et Checknews par Libération, l’AFP Factuel, Fakes Off de 20 Minutes, et Les Observateurs de France 24.
Les « Décodeurs » du Monde
Fondé en 2009 par le journaliste du Monde Nabil Wakim (ancien « Jeune Leader » de la French American Foundation), c’est d’abord un blog indépendant du journal, avec 200 articles en 4 ans sur tous sujets. Le 10 mars 2014, le blog est intégré au site Lemonde.fr ; une « dizaine » de journalistes et d’infographistes sont affectés à la nouvelle rubrique.
Par souci de confiance envers les lecteurs, l’équipe des Décodeurs doit signer une charte qu’ils ont eux-mêmes élaboré, l’un de ses articles indique : « Le traitement, la mise en forme et en scène de données constituent l’un des axes que nous privilégions pour traiter l’information. » De là à affirmer que l’on « fait dire ce qu’on veut aux chiffres… ». De son côté, Acrimed, site d’analyse des médias classé à gauche, a souligné le problème de leur mise en scène des chiffres et statistiques. Le 1er février 2017, la rubrique évolue, les Décodeurs lancent le « Décodex » moteur de recherche intuitif pour juger et « vérifier » la pertinence informatrice de la plupart des médias en France, les grands moyens sont déployés avec la création d’ une application. Nous y avons consacré une vidéo que vous trouverez ici.
Pour faire court, le moteur applique un système de « pastille » de couleur en fonction de la « fiabilité » des médias recherchés. Des médias comme Fdesouche, Valeurs Actuelles ou bien Les Crises ont été affublés de la pastille rouge (pas bien). Sophie Eustache, sur Acrimed, soulignait justement que « Le Monde (sur son fact-cheking) est à la fois juge et partie ». Selon Samuel Laurent, dans un livre consacré à Twitter, l’entreprise est un échec. Mais d’où vient l’argent ? : le projet a été financé à ses débuts par Google, l’entreprise les a refinancé en 2019 via Google News Initiative. Qui sont les « Décodeurs » ? Au printemps 2021, le rédacteur en chef est Jonathan Parienté, cocréateur du projet avec Samuel Laurent, il l’a remplacé fin 2019. Vous trouverez là leur équipe entre 2014 et 2020.
Libération : Désintox et Checknews
De prime abord, les deux « vérificateurs »sont différents, mais servent un même but, ils ont aussi le même créateur : Cédric Mathiot journaliste à Libération depuis 2000. Désintox est fondé en 2008 et se concentre exclusivement sur les « les mensonges et erreurs factuelles des politiques et responsables publics », il arrive cependant qu’il « débunke » des rumeurs ou informations venus des réseaux sociaux. Désintox produit aussi des vidéos animées diffusées dans 28 minutes sur Arte. En septembre 2017, arrive CheckNews, un « service » plus large dont le fonctionnement est simple : les internautes posent des questions sur l’actualité, l’équipe de Désintox répond par sa vérité.
Pour lancer CheckNews, Libération s’est mise en partenariat avec l’agence de publicité et de communication J. Walter Thompson. L’agence a créé le site, mais le journal s’en est séparé par la suite. Dans sa présentation, le service précise que « CheckNews est membre du réseau international de fact checking (IFCN) ». L’IFCN est un organisme qui étudie chaque année la déontologie de ses membres, et est spécialisé dans la vérification de faits, il appartient à l’American Poynter Institut, agence de recherche sur le monde médiatique outre-Atlantique, d’orientation libérale libertaire et proche des démocrates américains. Pour la petite monnaie, CheckNews comme Libération est financé par un fonds de dotation pour une presse indépendante, de Patrick Drahi, dont le directeur général est Denis Olivennes. On trouve ce lien les noms des journalistes de l’équipe, auxquels on pourrait rajouter Baptiste Bouthier.
CheckNews a mis fin à son partenariat avec Facebook en janvier 2021, en clair les journalistes étaient chargés de « vérifier » les infos sur le réseau social et donc payés par Facebook. En 2020 Libération a touché 239 200 dollars de Facebook pour son travail et à peu près la même somme les deux années précédentes.
À suivre…