Les médias officiels n’oublient plus leur principal marronnier : le « complotisme ». Jusqu’à présent, les marronniers revenaient annuellement dans les différents médias, à peu près à la même époque, et servaient à remplir des pages, faire des couvertures frappantes et, surtout : vendre.
Marronnier extraterrestres, marronnier franc-maçonnerie, marronnier extrême-droite (fréquent), marronnier antisémitisme, marronnier « vivons ensemble », marronnier « argent public ». Avec le « complotisme », le marronnier, c’est partout et tout le temps.
Le « complotisme », il y a des maisons pour cela. A commencer par une Maison de la Radio et Radio France où les émissions dédiées à la dénonciation de toute pensée non conforme et/ou non conformiste se multiplient.
L’OJIM en a proposé des analyses récemment :
- Sur RFI : « Traque des Fake news, RFI s’engage à fond ».
- Sur France Inter : « Pour France Inter, l’antidote au complotisme, c’est la censure ».
- Franceinfo, quant à elle, fait son « complorama » régulier.
Ce ne sont que des exemples parmi des dizaines, en général, sur les antennes de Radio France en particulier.
Le zoom du matin ne veut pas rater un complot
La « lutte contre le complotisme », comme il s’agit de sauver l’humanité, voire l’univers entier, commence dès l’aurore des matinales sur les ondes de la plupart des radios de grand chemin.
Sur France Inter, lors de la matinale, il y a un « Zoom ». Et, le mercredi 28 avril, ce zoom s’intéressait à ce thème : « Vivre avec un complotiste ». En début d’année 2021, Le Monde et Franceinfo ont consacré des dossiers à la même problématique. Une préoccupation nationale, un marronnier.
Le zoom de France Inter reprend les mêmes idées et inquiétudes, et la même problématique que ses confrères : « L’apparition de la Covid-19, avec la peur et les avis divergents des médecins, a fait émerger des dizaines de théories et de croyances, en divisant souvent les familles. » La « nécessité » de lutter contre le « complotisme » ira jusqu’à sauver chacun, dans sa famille.
France Inter ne se demande cependant pas où ont été entendus les « avis divergents des médecins » depuis un an.
Vivre avec un complotiste, mode d’emploi
« Vivre avec un complotiste » c’est — d’abord — identifier : « Complotiste : ce musicien, installé en région parisienne, ne se reconnaît pas dans le terme. « C’est quelqu’un qui dénonce des complots qui n’existent pas. Et il y a des complots qui existent », explique-t-il. Pour ne pas être identifié, il ne donne pas son prénom et utilise sur les réseaux sociaux un pseudonyme pour poster des messages et des vidéos, la plupart du temps liés au coronavirus et au vaccin. « Il est clair que les gens sont utilisés comme cobayes alors qu’il y a une énorme suspicion », avance-t-il. » Le témoignage ressemble à s’y méprendre à celui d’un certain Noël sur Franceinfo.
Complotiste ? En gros, celui qui raconte n’importe quoi sur un sujet grave, selon France Inter. Le témoin ici cité ne fait pourtant qu’exprimer une opinion personnelle.
Doux dingues, sectaires et antisémites sont dans un bateau
Le fonctionnement de ce genre d’émission est toujours le même : l’émission commence par retirer toute légitimité au témoin (un doux dingue en somme) sur un sujet qui concerne tout le monde. Ici les vaccins. Puis, elle avance progressivement jusqu’à pratiquer l’amalgame : ce complotiste qui évoque les vaccins serait aussi opposé aux tests « qui pourraient servir à implanter dans le nez des patients des micro-puces », il dénonce « le réseau mondial d’hommes politiques pédophiles » (ce qui permet de le relier à QAnon et indirectement au méchant Trump, souvent ensuite à l’antisémitisme) et… « Une vérité cachée derrière la plupart des sujets, y compris l’interdiction des regroupements liée à l’épidémie ».
Le témoin est aussi forcément « barré » sur le plan des croyances, quelque part entre le développement personnel, la secte et l’orient. Il croit par exemple au caractère sacré des nombres. Un peu comme Pythagore, mais France Inter n’a pas repéré le « complot pythagoricien » qui, pourtant et évidemment, se cache derrière cette évocation…
Un animal destructeur
Surtout le « complotiste » détruit sa famille. Et cela doit nous alerter, nous arracher une larme. Les témoignages fusent : ayant le sentiment d’être bridé et censuré, le « complotiste » s’énerve, devient agressif. Ses échanges avec ses amis sur les réseaux sociaux sont houleux, en famille les discussions deviennent impossibles et c’est un cercle vicieux : de plus en plus isolé, le « complotiste » s’enfermerait dans des réseaux eux-mêmes de plus en plus isolés. La situation est grave à un point tel qu’aucun des proches du témoin ne « veut évoquer le sujet ». L’ombre dangereuse tisse ainsi sa toile puisque d’après un sondage du Cevipof de Sciences Po Paris, évoqué dans ce Zoom, « 42 % des personnes interrogées estiment que la crise sanitaire donne l’occasion au gouvernement de contrôler les citoyens, 36 % jugent probable que le ministère de la Santé soit de mèche avec l’industrie pharmaceutique. »
Sans oublier le copain expert
La lutte ne peut avoir lieu si elle ne s’appuie pas sur des personnalités intellectuelles « reconnues », faisant partie du milieu et légitimées par la fréquence de leur présence dans les médias. Le Zoom du 28 avril a donc convoqué l’un de ces intellectuels à tout faire, Gérald Bronner : « Le grand danger, c’est qu’il y ait une sécession cognitive, intellectuelle, entre nos concitoyens. Certains qui vivent dans un monde et d’autres qui vivent dans un monde alternatif », explique l’auteur d’Apocalypse Cognitive. »
Vu sous un autre angle, il y a ici une définition du monde médiatique contemporain. Ce qui est beaucoup plus inquiétant, au regard des libertés, que des élucubrations montées en épingle. A moins que ce ne soient pas des élucubrations et que… chuuuuuut !