Nous empruntons à notre confrère Antipresse du 23 mai 2021, une tribune signée par trois spécialistes des Balkans et consacrée aux mensonges de la chaine Arte sur l’ex-Yougoslavie. Arte est connue comme spécialiste des infox, les fausses nouvelles comme nos lecteurs pourront le voir avec un de nos articles de 2018, consacré à un documentaire de la chaîne sur la Pologne. Les intertitres sont de notre rédaction.
Par Alexis Troude, Patrick Barriot et Jacques Hogard
La chaîne de télévision Arte a diffusé le 4 mai 2021 un documentaire de Lucio Mollica intitulé « Ex-Yougoslavie – Les procès du Tribunal pénal international ». La première partie de ce documentaire est consacrée aux crimes, la deuxième aux sanctions. Il constitue une grossière falsification de l’histoire de l’ex-Yougoslavie dont la chaîne Arte est coutumière. Ce documentaire à charge veut démontrer que les musulmans bosniaques et albanais sont les seules victimes des guerres yougoslaves.
Des crimes et des silences
Le TPIY avait pour mission de juger les crimes commis lors des conflits en ex-Yougoslavie dans les années 1990. Concernant les crimes de la guerre de Bosnie (première partie) le documentaire de Lucio Mollica réduit quatre années de guerre (1992/1995) aux événements de Srebrenica et aux crimes commis par les forces serbes au mois de juillet 1995. Pas un mot sur les exactions perpétrées les années précédentes par les unités bosniaques de Naser Orić, abritées dans l’enclave de Srebrenica, à l’encontre des villages serbes alentours. Des massacres horribles avec décapitations ont eu lieu dans ces villages, notamment dans la nuit du Noël orthodoxe de janvier 1993 ; le Comité pour la recherche historique de Sarajevo a évalué à 785 le nombre de Serbes tués, lors de 50 raids sur des villages serbes, par les unités de Naser Orić entre septembre 1992 et mars 1993. Rappelons que Naser Orić et ses milices ont abandonné la population de Srebrenica, sur ordre du président bosniaque Alija Izetbegović, à l’approche de l’armée serbe. Ces faits sont attestés par le général Philippe Morillon.
L’exode des Serbes après les accords de Dayton
Le documentaire d’Arte ne dit pas un mot sur la campagne de terreur organisée par le SDA d’Alija Izetbegović à l’encontre des citoyens serbes de la partie de Sarajevo sous contrôle musulman. De 1992 à 1995, 3 000 civils serbes ont été tués, uniquement dans cette partie de Sarajevo. Au cours de cette période, 1 665 civils serbes ont été gravement blessés et 800 ont disparu. La majorité de ces morts et de ces blessés n’était pas liée aux combats entre l’armée bosniaque et l’armée serbe, mais aux actes criminels planifiés par le SDA d’Alija Izetbegović contre des civils le plus souvent agressés dans leurs foyers. Cette campagne de terreur a conduit au grand exode des Serbes après les Accords de Dayton de décembre 1995 ; suite à ces accords, 435.000 Serbes sont devenus des déplacés internes en Bosnie-Herzégovine, au moment où 235.000 Serbes étaient forcés à l’exil face à l’opération de nettoyage ethnique en Croatie. Au final la population serbe d’une ville qui se veut tolérante et multiethnique, Sarajevo, a été totalement éliminée par ceux qui prétendent toujours être les principales victimes de ce conflit.
La responsabilité albanaise passée à la trappe
Dans la seconde partie du documentaire, la falsification est portée à son paroxysme. La responsabilité de tous les crimes commis dans la province méridionale de la Serbie, le Kosovo-Métochie, est attribuée au seul président serbe Slobodan Milošević. Aucun mot sur le massacre de Račak qui a mis le feu aux poudres ni sur les accords de Rambouillet qui constituaient un véritable diktat sur la Serbie. Pire, une vision simplificatrice et simpliste tend à démontrer que les militaires serbes s’en seraient pris à toute la population albanaise ; or une guerre terrible avait commencé dès 1998 entre l’armée yougoslave et l’UÇK, organisation désignée comme terroriste par les États-Unis. Vingt-cinq ans après les faits, Arte ose réaliser un documentaire faisant porter l’entière responsabilité de la «guerre du Kosovo» de 1999 sur les épaules de Slobodan Milošević, au moment même (2021) où plusieurs criminels de guerre albanais, dont l’ancien président Hashim Thaci, sont jugés par le «Tribunal spécial pour le Kosovo ». Encore un nouvel effort de falsification historique, 12.000 morts sont attribués à l’armée yougoslave alors que cette guerre du Kosovo a provoqué 6.500 morts albanais et 2.700 morts serbes.
Criminels et victimes, un jeu de rôles
Alors que toutes les autorités politiques et militaires serbes sont dénoncées dans ce documentaire, pas un nom de responsable bosniaque n’est cité. Les criminels sont serbes, les victimes bosniaques. Seuls les procureurs et les enquêteurs à charge s’expriment, jamais un avocat de la défense. Les crimes à l’encontre des Serbes n’ont jamais reçu la qualification appropriée. Alors qu’il s’agissait le plus souvent de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité, ils ont été qualifiés de simples crimes de droit commun. Les auteurs bosniaques de ces crimes, à l’instar de Naser Orić, ont échappé à la justice : soit ils n’ont pas été inculpés, soit ils ont été déclarés pénalement irresponsables pour troubles psychiatriques, soit ils ont été acquittés ou condamnés à des peines dérisoires au regard de la gravité de leurs crimes. Ce déni de justice résultait notamment de menaces et de pressions exercées sur les juges et les témoins.
L’histoire doit être écrite pour les siècles à venir par les historiens et non par des idéologues au pouvoir éphémère ou des juges partisans. Quelques historiens ont rappelé cette évidence, à l’occasion notamment de lois mémorielles. Une loi mémorielle est une loi déclarant le point de vue officiel d’un État sur des événements historiques. Le collectif d’historiens Liberté pour l’histoire a déclaré : « Dans un État libre, il n’appartient ni au Parlement ni à l’autorité judiciaire de définir la vérité historique ». Pour l’ancien Président du Conseil constitutionnel Robert Badinter, « Le Parlement français n’a pas reçu de la Constitution compétence pour dire l’histoire. C’est aux historiens et à eux seuls qu’il appartient de le faire ».
La diabolisation comme arme du mensonge
Depuis la guerre du Biafra et le tapage médiatique de Bernard Kouchner, les souffrances humaines résultant de conflits armés sont instrumentalisées à des fins politiques. La victimisation d’une partie au conflit et la diabolisation de la partie adverse est désormais la règle. L’objectif principal de l’instrumentalisation des souffrances est de mobiliser les opinions publiques et les dirigeants des états occidentaux interventionnistes en faveur d’une partie au conflit. La victimisation des musulmans bosniaques a entraîné la diabolisation non seulement des dirigeants serbes mais aussi du peuple serbe dans son ensemble. La diffamation et la déshumanisation des Serbes ont généré une haine à leur encontre, les privant de toute forme de compassion et justifiant toutes les mesures coercitives à leur encontre. Au final, une communauté dans son ensemble a été considérée comme la seule véritable victime d’une guerre civile, tandis que l’autre communauté dans son ensemble était considérée comme criminelle.
Le rôle de BHL et de Kouchner
Lord Arthur Ponsonby, dans son livre ‘‘Falsehood in War-Time’’ (1928), a souligné que l’un des principes de base de toute propagande de guerre efficace était d’obtenir le soutien d’intellectuels et d’artistes connus. Des « autorités morales incontestables », le monde de l’art et de la culture, ont donc été invités par Bernard-Henri Lévy et Bernard Kouchner à prendre part aux côtés des Bosniaques, le plus souvent de façon virulente, dans une guerre civile qualifiée de « guerre juste ».
Au mois de juillet 1993, Bernard-Henri Lévy fut nommé Président du conseil de surveillance de la chaîne franco-allemande Arte. À la date du 22 janvier 1994, Bernard-Henri Lévy évoque dans ses carnets Jérôme Clément, Président d’Arte « qui accepte de faire de sa chaîne un instrument de combat » pour Sarajevo. En 1993 et 1994, Bernard-Henri Lévy tourne son film « Bosna ». Ce documentaire fut tourné « en liaison étroite avec des équipes bosniaques pour le tournage, la télévision de Sarajevo pour la production et les états-majors de Divjak, Alagić et Dudaković pour l’inspiration ». Les états-majors de l’armée bosniaque ont donc été sources d’inspiration pour le film de Bernard-Henri Lévy. Ce documentaire a pu être produit grâce au soutien financier du milliardaire François Pinault, ami d’André Lévy (père de Bernard-Henri) et proche de Jacques Chirac, au travers de la création de la société de production « Les Films du lendemain ».
Dès le mois de mai 1994, Bernard-Henri Lévy fit le tour des lieux d’influence et des capitales pour présenter son film. Il multiplia les présentations aux hommes politiques, aux militaires, aux intellectuels et aux journalistes. En juin 1995 il présenta « Bosna » à Jacques Chirac nouvellement élu Président de la République. Son ami Gilles Hertzog, coauteur du scénario de Bosna, a tourné en 1995 pour la chaîne Arte un documentaire à la gloire de l’armée bosniaque : « Armija ». L’industrie de la fiction et du divertissement a ensuite adopté la propagande bosniaque dans toutes ses productions (feuilletons télévisés, films de fiction, romans, chansons…).
Vingt-cinq ans après la guerre, l’opinion publique est toujours exposée à cette représentation hollywoodienne des conflits de l’ex-Yougoslavie. Et une fois de plus la chaîne de télévision Arte contribue activement à cette écriture partisane de l’histoire.
- Alexis Troude a rédigé de nombreux articles scientifiques et plusieurs ouvrages de référence sur la situation en Bosnie-Herzégovine et au Kosovo, notamment Balkans, un éclatement programmé. Il a mené plusieurs missions dans les Balkans, qui ont permis de présenter deux rapports au Parlement européen, en 2007 sur la situation des minorités au Kosovo, et en 2018 sur la géopolitique des Balkans. Il est président du « Collectif pour la paix au Kosovo » et rédacteur en chef de « Balkans-actu ».
- Patrick Barriot a été le témoin direct, en tant que casque bleu et à titre personnel, des principaux événements de la guerre en ex-Yougoslavie. À ce titre, il a été appelé comme témoin devant le Tribunal Pénal International pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) dans le cadre du procès de Slobodan Milošević (ancien président de la République Fédérale de Yougoslavie) et de Milan Martić (ancien président de la République Serbe de Krajina). Il est membre de la Commission internationale d’enquête sur les souffrances des Serbes de Sarajevo entre 1991 et 1995, qui a rendu son rapport de 1420 pages fin 2020 au terme de 18 mois d’enquête. Ce rapport peut être intégralement consulté avec ses annexes sur le site incomfis-sarajevo.org
- Jacques Hogard a commandé en 1999 le groupement interarmées des forces spéciales déployé en Macédoine puis au Kosovo sous commandement de l’OTAN. Il en a tiré un essai publié en 2014 au titre évocateur l’Europe est morte à Priština. Il y dénonce l’agression délibérée perpétrée en 1999 contre la République Fédérale de Yougoslavie victime d’une opération colossale de désinformation entreprise par l’OTAN à propos de la province serbe du Kosovo en proie à la rébellion armée du mouvement terroriste séparatiste albanophone de l’UÇK.
Voir également notre article de 2019 sur le Love Europe project, une Europe d’Arte, sans les Européens. Voir aussi : David Petraeus – ex-chef de la CIA, nouveau magnat des médias en Europe de l’Est. L’enquête complète