Le cinéma est aussi un média. Le film intitulé « Bac nord » sorti en août est un véritable succès populaire. Plusieurs centaines de milliers de spectateurs se sont déjà déplacés pour aller le voir en salle. Mais pour une partie du clergé médiatique, ce film réalisé par Cédric Jimenez, qui braque les caméras sur une réalité peu reluisante de notre société, ne mérite pas toute l’attention que de nombreux Français lui ont portée.
Une présentation au Festival de Cannes marquée par un « malaise »
Le présentation du film « Bac nord » lors d’une conférence de presse le 13 juillet a été marquée par la réaction effarouchée d’un journaliste irlandais. Comme le rapporte la chaine LCI, « un journaliste irlandais a reproché au film de Cédric Jimenez de livrer une version caricaturale de Marseille et d’encourager le vote Le Pen ». Le réalisateur s’est immédiatement cru obligé de se justifier devant les journalistes en écartant toute tentation de vote pour la candidate du Rassemblement national.
On peut à ce stade déjà s’étonner des critiques formulées par le journaliste irlandais, qui dénonce une vision caricaturale de Marseille, alors que le réalisateur n’avait pas l’ambition de décrire les multiples aspects de la cité phocéenne. Cette façon de déporter la critique sur des aspects non essentiels du film a été reprise par d’autres confrères du journaliste irlandais.
« Un concours d’empoignades viriles »
Alors que certains médias ont demandé à des policiers leur appréciation de la description du commerce de drogue dans le film, c’est par le dédain et le mépris hautain qu’une partie du clergé médiatique a accueilli la sortie de « Bac nord ».
Le quotidien catholique La Croix souligne dans un article du 13 juillet qu’« à l’inverse de films de référence sur les quartiers, de “La Haine” aux “Misérables”, la détresse sociale n’est ici qu’esquissée ».
Effectivement, l’objet du film n’était pas d’accompagner des assistantes sociales lors de leurs permanences dans les quartiers de l’immigration de la ville, mais de suivre des policiers dans leur difficile lutte contre le trafic de drogue. Cela aura peut-être échappé au journaliste, en mal d’explications sociales et psychologisantes.
Pour le quotidien Le Monde le 18 août, il s’agit d’« un concours d’empoignades viriles sur grand écran . Dépourvu de toute subtilité, le film de Cédric Jimenez s’emploie à faire passer des policiers corrompus pour de bons professionnels un peu casse-cou ».
Luc Chessel liquide dès le titre de son article dans Libération le film de Cédric Jimenez :
« Tendance cinquante nuances de droite sur fond de faux accent marseillais, le film démago et viriliste de Cédric Jimenez est raté autant dans son exécution que dans ses intentions ».
Les Inrocks trouvent le polar « musclé », mais il « tire malheureusement vers le caricatural ».
Ces différentes critiques ont comme point commun, à l’exception de celle de la Croix, de s’attarder sur des détails formels du film : le jeu des acteurs, « viril », « viriliste », la description d’une certaine réalité des cités de Marseille, « caricaturale ».
Mais la réalité dépasse parfois la fiction, cette fiction qui est dépeinte par certains journalistes comme caricaturale. Depuis la sortie du film, les règlements de compte mortels se multiplient à Marseille :
« Trois morts en trois jours dans des règlements de compte », nous informe France 3 le 26 juillet.
« Marseille : trois morts dans un règlement de compte » selon Le Parisien le 22 août
« Deux hommes tués par balle dans le centre-ville et dans les quartiers nord », selon France 3 le 8 septembre.
Dans un autre quartier, en région parisienne, à Corbeil-Essonnes, la police doit faire face à des attaques de jeunes racailles plusieurs jours de suite à partir du 4 septembre. Les images reprises notamment par Le Républicain de l’Essonne d’une fourgonnette de police fuyant devant des jeunes déchainés et armés font le tour des réseaux sociaux. Ici comme à Marseille, c’est bien la police qui doit reculer sous les assauts répétés des dealers et des voyous.
On ne peut s’empêcher de penser aux propos du ministre de l’intérieur le 19 août sur BFMTV : « il n’y a pas de zones de non droit, il y a des endroits difficiles ». Gérald Darmanin fait de la sémantique pour noyer le poisson. Des journalistes critiquent la forme de « Bac nord » pour ne pas prendre en pleine figure le fond du film: celui de quartiers de l’immigration qui sont depuis longtemps aux mains des caïds et des immams. Voilà une réalité qui ne cadre pas avec la vision édulcorée d’une certaine gauche libérale libertaire de Saint Germain des Près. Un motif d’espérance : il y a bien longtemps que les Français ne l’écoutent plus…
Voir aussi notre critique du film de Bruno Dumont, France, consacré à la télévision de grand chemin