Durant l’hiver 2006–2007, plusieurs sans-abris installaient des tentes le long du canal Saint-Martin à Paris. Cette action fortement médiatisée a eu un grand impact auprès de l’opinion publique. La mobilisation du collectif « les Enfants de Don Quichotte » a, entre autres suites, abouti à la loi sur le Droit au Logement Opposable (DALO). Le flambeau semble avoir été repris par l’association Utopia 56, qui multiplie des opérations du même type depuis quelques années. L’Observatoire du journalisme revient sur la présentation pour le moins manichéenne de cette association par les médias de grand chemin, dont l’orientation politique à l’extrême gauche est masquée derrière une vocation humanitaire habilement mise en avant.
Le phénomène des sans abris
Chaque année, le rapport de la fondation Abbé Pierre dresse le portrait du mal logement et du manque de logements en France. Les chiffres sont accablants pour un pays qui, selon nos dirigeants, figure parmi les plus développés du monde : plus de 300 000 personnes sont sans domicile, des millions d’autres sont mal logées, etc. L’immigration clandestine étant massive en France et les pouvoirs publics peu actifs pour l’endiguer, des étrangers en situation irrégulière sont toujours plus nombreux parmi les sans-abris.
C’est dans ce contexte qu’une association, Utopia 56, a été créée en 2015. Celle-ci milite pour le logement et plus largement la prise en charge inconditionnelle des « exilé-e‑s » (l’écriture inclusive n’est pas de nous). Pour parvenir à leurs fins, les militants de l’association ont repris la technique du coup de projecteur popularisée depuis les années 1980 par des associations comme Greenpeace. Le maitre mot est la « visibilisation » de leur cause.
Voir aussi : Été 2021, immigration clandestine : des ONG au-dessus de tout soupçon dans les médias
Des actions aussi nombreuses que médiatisées
Depuis quelques années, Utopia 56 multiplie les actions « coup de poing » dans la capitale française et dans d’autres villes. Le scenario semble réglé comme du papier à musique. Des sans-abris occupent des places publiques avec des tentes. Les médias sont conviés à couvrir l’événement, ce qu’ils font sans rechigner, le sujet étant à la fois spectaculaire et présenté sur mesure. Une « mise à l’abri » est immanquablement organisée par les pouvoirs publics.
À chaque fois, la présentation par les médias de grand chemin de ces actions et de l’association qui les organise est très complaisante. C’est en effet au travers d’un prisme purement humanitaire que ces occupations sont présentées
Ainsi, le 24 novembre 2020, France 3 soulignait suite à l’occupation de la place de la République à Paris, qu’une « violente évacuation» était organisée par la police. L’article que la chaine de télévision a consacré à l’événement est une longue tribune donnée aux initiateurs de cette occupation illégale d’un espace public, qui plus est par des étrangers parfois en situation irrégulière. Mais qu’importe !
Sortir à Paris nous présente le 25 novembre 2020 les revendications de l’association Utopie 56. Elle « exige la création de 1 000 places d’hébergement immédiates inconditionnelles ». Elle obtiendra bien sûr satisfaction par la suite.
Moins mouvementées, les évacuations suivantes de campements illégaux ont bénéficié de la même bienveillance médiatique :
Le 25 mars 2021, La Dépêche nous informe que « l’occupation se veut pacifique et vise à obtenir des hébergements pour 300 femmes, hommes et enfants vivant à la rue ».
Le 14 avril, selon France Bleu, « Utopia 56 a installé des tentes mercredi 14 avril place de la mairie à Rennes (Ille-et-Vilaine) pour alerter sur le manque d’hébergements d’urgence pour ces demandeurs d’asiles ».
En mai, Le Monde constate que « plusieurs centaines d’exilés (sont) sans solution d’hébergement après une manifestation pour le droit au logement à Paris ». Remarquons le terme « éxilés » à la place de « clandestins ».
On pourrait multiplier les exemples, jusqu’à la plus récente occupation, relatée le 1er septembre notamment par Le Parisien : « Des migrants encadrés par des associations ont installé 200 à 300 tentes sur la partie du parc (André Citroën NDLR) située derrière la préfecture de région dans l’espoir d’obtenir un relogement ».
À chaque fois, aucune critique ou réserve n’est émise dans les différents articles consacrés à ces occupations qui semblent devenir rituelles. Les personnes à qui les médias de grand chemin permettent de s’exprimer à ce sujet sont les migrants et des responsables de l’association Utopia 56, exceptionnellement les pouvoirs publics.
Une association de référence pour de nombreux médias
Au-delà de ces actions organisées avec une régularité quasi métronomique, de nombreux médias (journaux, radios, sites d’information, etc.) sollicitent l’association pour avoir son appréciation sur la situation des migrants en France.
Le 30 aout, le fondateur de l’association nous rassure sur la situation migratoire de notre pays au micro de BFMTV repris par Orange actualités : « On est très loin d’un envahissement et d’un grand remplacement, tous ces politiques jouent avec l’immigration à chaque campagne ». Nous voilà rassurés avec une telle parole d’expert.
Dans le nord de la France, à Lille, c’est aussi un responsable de l’association qui nous fait partager le 11 septembre « le long voyage des migrants mineurs » dans les colonnes de La Voix du Nord. Le journaliste ne semble pas avoir eu l’idée incongrue d’indiquer au responsable associatif que ces migrants pourraient à la satisfaction de beaucoup de Français tout simplement éviter d’entreprendre ce « long voyage ».
Il n’y a pas que les médias de grand chemin qui ont de la sympathie pour l’association d’aide aux « exilé-e‑s ». Ses partenaires sont nombreux et s’affichent en pleine page sur le site internet d’Utopia 56 : Fondation Nexity, Fondation de France, Fondation Monoprix, etc. L’association semble bénéficier de nombreux dons émanant tant de particuliers émus par la mise en scène de la misère humaine que de mécène privés.
Voir aussi : Révélations sur les relations troubles entre ONG et passeurs : les médias français détournent le regard
Côté face : des no border spécialisés dans l’agit prop
Peu de médias s’aventurent à critiquer ce mouvement dont la cause a gagné un capital de sympathie lors de l’occupation du Canal Saint Martin en 2007. Il est vrai que la situation de personnes dormant dans une tente en plein cœur de la capitale, en hiver, avait de quoi choquer. Pourtant, certains médias, très rares, donnent des éléments qui conduisent à différencier l’action du mouvement du canal Saint Martin à celle d’Utopia 56.
En juin 2017, le quotidien Le Figaro consacre un article à « comment l’extrême gauche instrumentalise les migrants ». On y apprend que des militants d’extrême gauche aguerris aux opérations coup de poing utilisent les médias pour servir leur cause plus politique qu’humanitaire.
En janvier 2021, le quotidien parfois conservateur (mais point trop n’en faut) révèle dans un nouvel article consacré à Utopia 56 l’appréciation d’une « source administrative » : « Cette association, ce qu’elle veut, c’est mettre l’État en difficulté ». On y apprend notamment qu’Utopia 56 est loin de faire l’unanimité tant auprès des autorités, de la police que du directeur général de France Terre d’Asile, pourtant un fervent immigrationniste. Un syndicaliste policier souligne : « Face à eux, ça tourne très souvent à la confrontation. Ce collectif n’est pas un nid à délinquants, mais par définition, c’est une association qui s’oppose toujours à l’ordre établi et à la police.». Pour étayer cette affirmation, l’article contient plusieurs indices de liens entre Utopia 56 et la mouvance d’extrême gauche.
L’hebdomadaire Valeurs actuelles a également mené des investigations sur l’association d’aide aux clandestins, que celle-ci appelle pudiquement des « exilés ».
Dans un article du 24 novembre 2020, Amaury Bucco démontre que la nouvelle évacuation d’une place occupée par des clandestins à Paris est le fruit d’une « opération rondement menée par l’association Utopia 56, habituée à ce type de coups médiatiques, avec des prises de positions radicales contre les frontières, l’Etat et la police ». On y apprend notamment que le fondateur de l’association, Yann Manzi, « s’était ainsi retrouvé en garde-à-vue, à Paris, en septembre dernier pour « outrage », après avoir voulu empêcher un gendarme de contrôler un migrant installé dans la rue ».
Amaury Bucco précise qu’Utopia 56 « ne se contente pas d’aider les clandestins, mais milite également pour la régularisation systématique des étrangers qui traversent illégalement les frontières françaises ». L’association semble avoir une conception particulière de l’accueil des migrants : des conseils de tenues pudiques ont ainsi été données à ses bénévoles féminines. Serait-ce une façon de dire, bienvenue chez vous ?
Plus récemment, Valeurs actuelles nous apprend dans un article du 7 septembre 2021 que l’association est « dans les radars des services de renseignements ». On y apprend notamment qu’ « une note des services de renseignement territoriaux souligne la dérive de l’association vers les milieux de l’ultragauche et ses rapports ambigus avec les passeurs ».
Une anecdote vient relativiser les actions spectaculaires organisées par Utopia 56 : plusieurs migrants venus participer à l’occupation de la Place des Vosges en sont repartis avant la mise à l’abri. Peut-être ne souhaitaient-ils pas être envoyés… en dehors d’Ile-de-France. L’un des « migrants » serait reparti tranquillement… en voiture. Autre information capitale : à Calais, « « Des liens entre les passeurs et les membres de l’association apparaissent se dessiner »…Où sont nos fins limiers des médias de grand chemin pour creuser cette piste ?
Dans un article récent, l’OJIM soulignait le 23 août que les médias de grand chemin n’évoquaient jamais dans les articles consacrés aux évacuation des places publiques la nécessité d’organiser le retour dans leur pays des clandestins, plutôt que leur orientation vers des structures d’accueil. Si le ministre de l’intérieur ou le préfet de police a eu quelques velléités de faire respecter la loi sur le séjour en France lors de la dernière évacuation, il semblerait que le service juridique de l’association Utopia 56 soit plus efficace.
Le 9 septembre, Utopia 56 notait avec une satisfaction à peine dissimulée sur son compte Twitter que « Suite à l’évacuation parc André-Citroën à Paris, la justice confirme que @Interieur_Gouv a détourné une mission humanitaire de mise à l’abri de personnes à la rue pour monter un guet-apens et emprisonner illégalement. Au moins 11 des personnes arrêtées ont été libérées ».
Suite à l’évacuation parc André-Citroën à Paris, la justice confirme que @Interieur_Gouv a détourné une mission humanitaire de mise à l’abri de personnes à la rue pour monter un guet-apens et emprisonner illégalement. Au moins 11 des personnes arrêtées ont été libérées. pic.twitter.com/upFHV2Od07
— Utopia 56 (@Utopia_56) September 9, 2021
Les derniers évènements nous apprennent que ce sont désormais les associations pro-migrants qui imposent leur calendrier aux autorités de ce pays : quand il faut organiser des mises à l’abri de migrants, qui il faut mettre à l’abri, quels migrants placés en rétention il faut libérer, même s’ils sont en situation irrégulière, etc. On savait que les médias de grand chemin avaient un tropisme pro-migrants évident. On sait maintenant que le fait qu’une association ultra politisée, qui vise à l’éradication des frontières, mène des actions qui ont pour but la mise à l’abri et la régularisation de tous les étrangers en situation irrégulière, ne les gêne pas outre mesure. Certains diraient : au contraire…