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Utopia 56 : une association diversitaire et médiatique au-dessus de tout soupçon

18 septembre 2021

Temps de lecture : 9 minutes
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Utopia 56 : une association diversitaire et médiatique au-dessus de tout soupçon

Temps de lecture : 9 minutes

Durant l’hiver 2006–2007, plusieurs sans-abris installaient des tentes le long du canal Saint-Martin à Paris. Cette action fortement médiatisée a eu un grand impact auprès de l’opinion publique. La mobilisation du collectif « les Enfants de Don Quichotte » a, entre autres suites, abouti à la loi sur le Droit au Logement Opposable (DALO). Le flambeau semble avoir été repris par l’association Utopia 56, qui multiplie des opérations du même type depuis quelques années. L’Observatoire du journalisme revient sur la présentation pour le moins manichéenne de cette association par les médias de grand chemin, dont l’orientation politique à l’extrême gauche est masquée derrière une vocation humanitaire habilement mise en avant.

Le phénomène des sans abris

Chaque année, le rap­port de la fon­da­tion Abbé Pierre dresse le por­trait du mal loge­ment et du manque de loge­ments en France. Les chiffres sont acca­blants pour un pays qui, selon nos dirigeants, fig­ure par­mi les plus dévelop­pés du monde : plus de 300 000 per­son­nes sont sans domi­cile, des mil­lions d’autres sont mal logées, etc. L’immigration clan­des­tine étant mas­sive en France et les pou­voirs publics peu act­ifs pour l’endiguer, des étrangers en sit­u­a­tion irrégulière sont tou­jours plus nom­breux par­mi les sans-abris.

C’est dans ce con­texte qu’une asso­ci­a­tion, Utopia 56, a été créée en 2015. Celle-ci milite pour le loge­ment et plus large­ment la prise en charge incon­di­tion­nelle des « exilé-e‑s » (l’écriture inclu­sive n’est pas de nous). Pour par­venir à leurs fins, les mil­i­tants de l’association ont repris la tech­nique du coup de pro­jecteur pop­u­lar­isée depuis les années 1980 par des asso­ci­a­tions comme Green­peace. Le maitre mot est la « vis­i­bil­i­sa­tion » de leur cause.

Voir aus­si : Été 2021, immi­gra­tion clan­des­tine : des ONG au-dessus de tout soupçon dans les médias

Des actions aussi nombreuses que médiatisées

Depuis quelques années, Utopia 56 mul­ti­plie les actions « coup de poing » dans la cap­i­tale française et dans d’autres villes. Le sce­nario sem­ble réglé comme du papi­er à musique. Des sans-abris occu­pent des places publiques avec des tentes. Les médias sont con­viés à cou­vrir l’événement, ce qu’ils font sans rechign­er, le sujet étant à la fois spec­tac­u­laire et présen­té sur mesure. Une « mise à l’abri » est imman­quable­ment organ­isée par les pou­voirs publics.

À chaque fois, la présen­ta­tion par les médias de grand chemin de ces actions et de l’association qui les organ­ise est très com­plaisante. C’est en effet au tra­vers d’un prisme pure­ment human­i­taire que ces occu­pa­tions sont présentées

Ain­si, le 24 novem­bre 2020, France 3 soulig­nait suite à l’occupation de la place de la République à Paris, qu’une « vio­lente évac­u­a­tion» était organ­isée par la police. L’article que la chaine de télévi­sion a con­sacré à l’événement est une longue tri­bune don­née aux ini­ti­a­teurs de cette occu­pa­tion illé­gale d’un espace pub­lic, qui plus est par des étrangers par­fois en sit­u­a­tion irrégulière. Mais qu’importe !

Sor­tir à Paris nous présente le 25 novem­bre 2020 les reven­di­ca­tions de l’association Utopie 56. Elle « exige la créa­tion de 1 000 places d’héberge­ment immé­di­ates incon­di­tion­nelles ». Elle obtien­dra bien sûr sat­is­fac­tion par la suite.

Moins mou­ve­men­tées, les évac­u­a­tions suiv­antes de campe­ments illé­gaux ont béné­fi­cié de la même bien­veil­lance médiatique :

Le 25 mars 2021, La Dépêche nous informe que « l’occupation se veut paci­fique et vise à obtenir des héberge­ments pour 300 femmes, hommes et enfants vivant à la rue ».

Le 14 avril, selon France Bleu, « Utopia 56 a instal­lé des tentes mer­cre­di 14 avril place de la mairie à Rennes (Ille-et-Vilaine) pour alert­er sur le manque d’héberge­ments d’ur­gence pour ces deman­deurs d’asiles ».

En mai, Le Monde con­state que « plusieurs cen­taines d’exilés (sont) sans solu­tion d’hébergement après une man­i­fes­ta­tion pour le droit au loge­ment à Paris ». Remar­quons le terme « éxilés » à la place de « clandestins ».

On pour­rait mul­ti­pli­er les exem­ples, jusqu’à la plus récente occu­pa­tion, relatée le 1er sep­tem­bre notam­ment par Le Parisien : «  Des migrants encadrés par des asso­ci­a­tions ont instal­lé 200 à 300 tentes sur la par­tie du parc (André Cit­roën NDLR) située der­rière la pré­fec­ture de région dans l’espoir d’obtenir un rel­o­ge­ment ».

À chaque fois, aucune cri­tique ou réserve n’est émise dans les dif­férents arti­cles con­sacrés à ces occu­pa­tions qui sem­blent devenir rit­uelles. Les per­son­nes à qui les médias de grand chemin per­me­t­tent de s’exprimer à ce sujet sont les migrants et des respon­s­ables de l’association Utopia 56, excep­tion­nelle­ment les pou­voirs publics.

Voir aus­si : Liens entre passeurs de migrants et ONG : les révéla­tions explo­sives du jour­nal alle­mand Die Welt n’intéressent pas les médias français

Une association de référence pour de nombreux médias

Au-delà de ces actions organ­isées avec une régu­lar­ité qua­si métronomique, de nom­breux médias (jour­naux, radios, sites d’information, etc.) sol­lici­tent l’association pour avoir son appré­ci­a­tion sur la sit­u­a­tion des migrants en France.

Le 30 aout, le fon­da­teur de l’association nous ras­sure sur la sit­u­a­tion migra­toire de notre pays au micro de BFMTV repris par Orange actu­al­ités : « On est très loin d’un envahisse­ment et d’un grand rem­place­ment, tous ces poli­tiques jouent avec l’im­mi­gra­tion à chaque cam­pagne ». Nous voilà ras­surés avec une telle parole d’expert.

Dans le nord de la France, à Lille, c’est aus­si un respon­s­able de l’association qui nous fait partager le 11 sep­tem­bre « le long voy­age des migrants mineurs » dans les colonnes de La Voix du Nord. Le jour­nal­iste ne sem­ble pas avoir eu l’idée incon­grue d’indiquer au respon­s­able asso­ci­atif que ces migrants pour­raient à la sat­is­fac­tion de beau­coup de Français tout sim­ple­ment éviter d’entreprendre ce « long voy­age ».

Il n’y a pas que les médias de grand chemin qui ont de la sym­pa­thie pour l’association d’aide aux « exilé-e‑s ». Ses parte­naires sont nom­breux et s’affichent en pleine page sur le site inter­net d’Utopia 56 : Fon­da­tion Nex­i­ty, Fon­da­tion de France, Fon­da­tion Mono­prix, etc. L’association sem­ble béné­fici­er de nom­breux dons émanant tant de par­ti­c­uliers émus par la mise en scène de la mis­ère humaine que de mécène privés.

Voir aus­si : Révéla­tions sur les rela­tions trou­bles entre ONG et passeurs : les médias français détour­nent le regard

Côté face : des no border spécialisés dans l’agit prop

Peu de médias s’aventurent à cri­ti­quer ce mou­ve­ment dont la cause a gag­né un cap­i­tal de sym­pa­thie lors de l’occupation du Canal Saint Mar­tin en 2007. Il est vrai que la sit­u­a­tion de per­son­nes dor­mant dans une tente en plein cœur de la cap­i­tale, en hiv­er, avait de quoi cho­quer. Pour­tant, cer­tains médias, très rares, don­nent des élé­ments qui con­duisent à dif­férenci­er l’action du mou­ve­ment du canal Saint Mar­tin à celle d’Utopia 56.

En juin 2017, le quo­ti­di­en Le Figaro con­sacre un arti­cle à « com­ment l’extrême gauche instru­men­talise les migrants ». On y apprend que des mil­i­tants d’extrême gauche aguer­ris aux opéra­tions coup de poing utilisent les médias pour servir leur cause plus poli­tique qu’humanitaire.

En jan­vi­er 2021, le quo­ti­di­en  par­fois con­ser­va­teur (mais point trop n’en faut) révèle dans un nou­v­el arti­cle con­sacré à Utopia 56 l’appréciation d’une « source admin­is­tra­tive » : « Cette asso­ci­a­tion, ce qu’elle veut, c’est met­tre l’É­tat en dif­fi­culté ». On y apprend notam­ment qu’Utopia 56 est loin de faire l’unanimité tant auprès des autorités, de la police que du directeur général de France Terre d’Asile, pour­tant un fer­vent immi­gra­tionniste. Un syn­di­cal­iste polici­er souligne : « Face à eux, ça tourne très sou­vent à la con­fronta­tion. Ce col­lec­tif n’est pas un nid à délin­quants, mais par déf­i­ni­tion, c’est une asso­ci­a­tion qui s’op­pose tou­jours à l’or­dre établi et à la police.». Pour étay­er cette affir­ma­tion, l’article con­tient plusieurs indices de liens entre Utopia 56 et la mou­vance d’extrême gauche.

L’hebdomadaire Valeurs actuelles a égale­ment mené des inves­ti­ga­tions sur l’association d’aide aux clan­des­tins, que celle-ci appelle pudique­ment des « exilés ».

Dans un arti­cle du 24 novem­bre 2020, Amau­ry Buc­co démon­tre que la nou­velle évac­u­a­tion d’une place occupée par des clan­des­tins à Paris est le fruit d’une « opéra­tion ron­de­ment menée par l’as­so­ci­a­tion Utopia 56, habituée à ce type de coups médi­a­tiques, avec des pris­es de posi­tions rad­i­cales con­tre les fron­tières, l’E­tat et la police ». On y apprend notam­ment que le fon­da­teur de l’association, Yann Manzi, « s’était ain­si retrou­vé en garde-à-vue, à Paris, en sep­tem­bre dernier pour « out­rage », après avoir voulu empêch­er un gen­darme de con­trôler un migrant instal­lé dans la rue ».

Amau­ry Buc­co pré­cise qu’Utopia 56 « ne se con­tente pas d’aider les clan­des­tins, mais milite égale­ment pour la régu­lar­i­sa­tion sys­té­ma­tique des étrangers qui tra­versent illé­gale­ment les fron­tières français­es ». L’association sem­ble avoir une con­cep­tion par­ti­c­ulière de l’accueil des migrants : des con­seils de tenues pudiques ont ain­si été don­nées à ses bénév­oles féminines. Serait-ce une façon de dire, bien­v­enue chez vous ?

Plus récem­ment, Valeurs actuelles nous apprend dans un arti­cle du 7 sep­tem­bre 2021 que l’association est « dans les radars des ser­vices de ren­seigne­ments ». On y apprend notam­ment qu’ « une note des ser­vices de ren­seigne­ment ter­ri­to­ri­aux souligne la dérive de l’as­so­ci­a­tion vers les milieux de l’ul­tra­gauche et ses rap­ports ambi­gus avec les passeurs ».

Une anec­dote vient rel­a­tivis­er les actions spec­tac­u­laires organ­isées par Utopia 56 : plusieurs migrants venus par­ticiper à l’occupation de la Place des Vos­ges en sont repar­tis avant la mise à l’abri. Peut-être ne souhaitaient-ils pas être envoyés… en dehors d’Ile-de-France. L’un des « migrants » serait repar­ti tran­quille­ment… en voiture. Autre infor­ma­tion cap­i­tale : à Calais, « « Des liens entre les passeurs et les mem­bres de l’association appa­rais­sent se dessin­er »…Où sont nos fins lim­iers des médias de grand chemin pour creuser cette piste ?

Dans un arti­cle récent, l’OJIM soulig­nait le 23 août que les médias de grand chemin n’évoquaient jamais dans les arti­cles con­sacrés aux évac­u­a­tion des places publiques la néces­sité d’organiser le retour dans leur pays des clan­des­tins, plutôt que leur ori­en­ta­tion vers des struc­tures d’accueil. Si le min­istre de l’intérieur ou le préfet de police a eu quelques vel­léités de faire respecter la loi sur le séjour en France lors de la dernière évac­u­a­tion, il sem­blerait que le ser­vice juridique de l’association Utopia 56 soit plus efficace.

Le 9 sep­tem­bre, Utopia 56 notait avec une sat­is­fac­tion à peine dis­simulée sur son compte Twit­ter que «  Suite à l’évacuation parc André-Cit­roën à Paris, la jus­tice con­firme que @Interieur_Gouv a détourné une mis­sion human­i­taire de mise à l’abri de per­son­nes à la rue pour mon­ter un guet-apens et empris­on­ner illé­gale­ment. Au moins 11 des per­son­nes arrêtées ont été libérées ».

Les derniers évène­ments nous appren­nent que ce sont désor­mais les asso­ci­a­tions pro-migrants qui imposent leur cal­en­dri­er aux autorités de ce pays : quand il faut organ­is­er des mis­es à l’abri de migrants, qui il faut met­tre à l’abri, quels migrants placés en réten­tion il faut libér­er, même s’ils sont en sit­u­a­tion irrégulière, etc. On savait que les médias de grand chemin avaient un tro­pisme pro-migrants évi­dent. On sait main­tenant que le fait qu’une asso­ci­a­tion ultra poli­tisée, qui vise à l’éradication des fron­tières, mène des actions qui ont pour but la mise à l’abri et la régu­lar­i­sa­tion de tous les étrangers en sit­u­a­tion irrégulière, ne les gêne pas out­re mesure. Cer­tains diraient : au contraire…

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