La campagne présidentielle lancée, la majorité entend imposer son tempo médiatique. Si des acteurs privés se sont mobilisés, à l’image de Křetínský qui a mis la main à la poche pour lancer un média centriste (Franc-tireur), le gouvernement aussi s’active. Mercredi 29 septembre, à la demande du président Macron une commission qui répond au nom légèrement pompeux de « Les Lumières à l’heure du numérique », a été créée.
Un peu de lumière dans un monde obscur de complotistes, la loi Avia sans le nom
Le postulat posé par la communication élyséenne est simple : la révolution numérique a changé notre rapport à l’information, l’élite s’est vue confisquer le monopole de l’information ce qui est « porteur d’une face sombre ». Une « fragmentation du débat » qui s’accompagne de la « résurgence de discours de haine » et du « recul du savoir et de la science dans certaines circonstances ». Emmanuel Macron voudrait donc un « grand débat » sur la question et pour ce faire, les « élites » reprennent la main avec une quinzaine d’experts missionnés pour « penser l’espace de débat commun de notre démocratie ». L’objectif de la commission, qui sera dirigée par Gérald Bronner, consistera à rendre une série de propositions contre les diffuseurs de haine et la désinformation. Devrait donc ressortir de cette commission un ensemble de préconisations attentatoires aux libertés sous couvert de lutte contre la haine. Une sorte de loi Avia sans vote du Parlement. Le risque ici est évidemment la remise en cause de l’espace de liberté qui s’est créé avec le développement d’internet.
Des « Lumières » au profil Macron-compatible
Pour remettre un peu d’ordre dans les médias, une commission a été nommée. Quatorze « experts », historiens, universitaires, journalistes et acteurs de terrain selon l’Élysée. La parité est respectée avec sept hommes et sept femmes, la diversité aussi, et on relèvera un élément pour le moins étonnant, puisque le site de l’Élysée précise pour l’une de ces expertes, Rahaf Harfoush, qu’elle est une anthropologue canadienne. La France ne disposerait donc pas d’anthropologues suffisamment compétents et devrait aller en chercher en Amérique du Nord ? Tous ont pour point commun de ne pas être très critique à l’égard de la politique menée depuis bientôt cinq ans. On y retrouve essentiellement des profils très « Science-Po Paris » plutôt ancienne génération… Mais pas seulement puisque figure également la journaliste Aude Favre (IEP de Strasbourg), délatrice à ses heures perdues et animatrice de la chaine AudeWTFake qui décrypte les informations fausses ou perçues comme telles par cette dernière. Deux historiens spécialisés dans la Shoah ont aussi été dépêchés : Iannis Roder et Annette Wieviorka laissant augurer que cette question sera évoquée. L’historien Jean Garrigues et sa ligne « ni Zemmour ni Plenel » semble lui assez bien incarner la ligne directrice qui a guidé ce recrutement de cette commission… Une commission qui rappelle étrangement un média privé qui va bientôt voir le jour : Franc-tireur.
Des doublons avec Franc-tireur
Dans l’équipe, figurent deux futurs collaborateurs de la revue Franc-tireur (bis) qui verra le jour mi-novembre et qui a pour objectif de déringardiser le centrisme en pourfendant les populistes et corrigeant les fake news ! Rudy Reichstadt, fondateur et directeur du site « Conspiracy Watch » et Rachel Khan, la femme de Jean-François Khan. Une présence de deux plumes de la revue qui sera dirigée par Christophe Barbier et à laquelle collaboreront des personnalités comme Caroline Fourest et Raphaël Enthoven, illustrant la partialité d’une équipe qui rendra son rapport à quelques mois du premier tour de la présidentielle.
Voir aussi : Conspiracy Watch : observatoire objectif du complotisme ou bras armé du gauchisme ?
Bronner : un menteur pour faire la chasse au complot !
Pour diriger la fine équipe, on retrouve un sociologue controversé, le professeur et membre de l’Académie de médecine Gérald Bronner (photo ci-dessus). Étonnant capitaine d’équipe dont on voit à la simple consultation de sa fiche Wikipédia qu’il a reconnu à deux reprises avoir diffusé de fausses informations dans ses livres. Une première fois dans son ouvrage paru en 2010 La Planète des hommes – Réenchanter le risque qui traite de l’épidémie de choléra à Haïti et dans La pensée extrême, ouvrage paru en 2009 dans lequel il reprend des légendes urbaines comme vérités établies. Dans une période de doutes permanents quant à la véracité des propos tenus dans les médias, de revirements et de contradictions dans les politiques sanitaires menées, mettre un homme d’un tel pedigree à cette place relève d’un toupet qui n’étonne plus venant d’Emmanuel Macron mais qui risque de mettre à mal l’action de cette commission avant même ses premiers travaux.
Une commission qui agace jusque dans les médias mainstream
Si la mise en place de cette commission Bronner a ému sur les réseaux sociaux, elle a également agacé jusque dans les rédactions mainstream. Parmi les « lumières » de la commission, c’est la nomination de Guy Vallancian, chirurgien, professeur honoraire des Universités et membre de l’Académie nationale de médecine qui est la plus dénoncée. Fraîchement sanctionné par un blâme (juin 2021) par la chambre disciplinaire nationale de l’Ordre des médecins, il a vu son nom revenir dans Le Monde sous la plume de la pneumologue Irène Frachon qui voit dans ce personnage l’un des fers de lance de la négation des effets nocifs du Médiator. Vivement critiqué, Vallancian a fini par jeter l’éponge et démissionner.
L’éditorialiste Alexis Poulain, chez Russia Today, a d’ailleurs développé le CV du personnage sur les réseaux sociaux précisant que sa condamnation par l’Ordre était liée à un fait de désinformation pour faire condamner un confrère. Un personnage trouble qui a donné lieu à plusieurs portraits dont un dans Marianne dans lequel on apprend qu’il est l’urologue des stars et fut l’un des médecins du président François Mitterrand. Libé qui se voit peut-être concurrencé dans la lutte contre les fausses informations, est aussi assez sceptique sur la démarche, évoquant une « troublante commission Bronner ». Marianne, sous la plume avisée de Youness Boussena, a de son côté proposé une critique plus générale de la notion de complotisme invoquant notamment les travaux de Julien Giry, auteur d’une thèse sur le sujet.