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Hommage à Jean Cau, « le plus grand journaliste d’hier et d’aujourd’hui »

2 novembre 2021

Temps de lecture : 6 minutes
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Hommage à Jean Cau, « le plus grand journaliste d’hier et d’aujourd’hui »

Temps de lecture : 6 minutes

Directeur de la rédaction d’Éléments, Pascal Eysseric rendra hommage à Jean Cau, un journaliste d’exception, jeudi 4 novembre à partir de 19 heures, à la Nouvelle Librairie, dans le cadre des jeudis de l’Iliade, à l’occasion de la réédition de Contre-attaques, suivi du Discours de la décadence de Jean Cau. L’Ojim pose trois questions à Pascal Eysseric.

OJIM. Jour­nal­iste, polémiste, Jean Cau est assez peu con­nu des Français alors que sa plume s’est retrou­vée dans de nom­breux titres pop­u­laires. Qui est-il ?

Pas­cal Eysser­ic : Assez peu con­nu des Français aujourd’hui… Et pour­tant, pen­dant vingt ans, toutes les semaines dans le Paris Match de Roger Thérond, on pou­vait le lire à plus d’un mil­lion d’exemplaires. Après le choc des images, le poids des mots, c’était lui ! Jean Cau a été le pre­mier rené­gat, le pre­mier écrivain à oser rompre avec l’intelligentsia de gauche qui l’avait accueil­lie en ses rangs quelques années plus tôt, trop heureuse de pou­voir compter enfin sur un authen­tique fils d’ouvriers et de paysans. Jean Cau était en effet né chez les pau­vres le 8 juil­let 1925 à Bram, dans l’Aude. Proche col­lab­o­ra­teur de Jean-Paul Sartre pen­dant une petite décen­nie, il avait trente-six ans en 1961 quand il a décroché le Prix Goncourt pour La pitié de Dieu ; son tal­ent de jour­nal­iste avait été recon­nu aux Temps Mod­ernes, à France Obser­va­teur (l’ancêtre de L’Obs), mais aus­si à L’Express de Jean-Jacques Ser­van-Schreiber. Mais déjà, à l’époque, il était un gauchiste nerveux, scep­tique, ques­tion­neur, en un mot, rabat-joie, trainant des pieds. Bref, c’est au moment pré­cis où il était en voie de venir un des pontes de l’intelligentsia de gauche qu’il s’est mis à mal penser, d’abord mez­zo voce, à l’occasion d’un reportage dans L’Express en 1962 sur l’Algérie indépen­dante qu’il décrivait déjà comme un pays à la dérive. Puis, for­tis­sis­si­mo, en 1965, dans son chef d’œuvre, Le meurtre d’un enfant, paru chez Gal­li­mard, qui est cer­taine­ment la plus cinglante et la plus bril­lante, et la plus émou­vante aus­si des apos­tasies jamais écrites con­tre l’intelligentsia de gauche.

À son décès, le silence autour de cette œuvre trop brûlante s’est imposé comme une évi­dence pour tout le monde. Vivant, la gauche l’avait mau­dit, mort la droite le trou­vait encom­brant. Son sou­venir pou­vait gên­er cer­tains reniements. Faut-il rap­pel­er que son hom­mage funèbre en l’église Saint-Sulpice fut pronon­cé par Jacques Toubon, pas encore prébendi­er au Musée de l’Histoire de l’immigration ni défenseur des droits sous François Hol­lande, et qui souhaitait aux les généra­tions futures de se plonger dans son œuvre « à la recherche de vérités et de prophéties, hélas acca­blantes pour l’avenir des nôtres » ? S’il est peu con­nu aujourd’hui, c’est notre faute. Son édi­teur, Bernard de Fal­lois dis­ait que cela n’était pas pro­pre à Jean Cau. « Est-ce que Nimi­er existe encore ? Est-ce que Lau­rent existe encore ? L’époque est coupable. Il y a aujourd’hui, chez les jeunes, un aban­don de ce qui a été. Nous pro­duisons des généra­tions de jeunes gens qui n’ont pas de curiosité ni d’admiration pour tous ceux qui les ont précédés ». L’initiative de Fab­rice Luc­chi­ni qui, dans ses spec­ta­cles, a per­mis la redé­cou­verte de Jean Cau et de son mer­veilleux Cro­quis de mémoires, nous oblige. À nous de faire con­naitre le Jean Cau de Con­tre-attaques, de L’éloge incon­gru du lourd, du Dis­cours de la déca­dence, réédités aux édi­tions de La Nou­velle Librairie.

OJIM : Un jour­nal­iste qui par­lerait, comme Jean Cau, de droi­ture, de volon­té, et d’héroïsme serait totale­ment anachronique aujourd’hui. Que s’est-il passé ? 

Pas­cal Eysser­ic : Il n’est pas né à la bonne époque, voilà ce qu’il s’est passé. « Jean Cau aurait eu bonne presse à Sparte en 390 avant Jésus Christ, l’ennui c’est qu’il vivait en 1968 après Jésus Christ ». En une phrase, Patrick Besson a beau­coup dit sur Jean Cau, sur sa morale qui s’avance avec style et grande allure et, qui explique surtout pourquoi il fut l’homme de let­tres le plus haï de la République des let­tres après la pub­li­ca­tion en 1965 du Meurtre d’un enfant jusqu’à sa mort, le 18 juin 1993. « Pen­dant trente ans, il a occupé la place la plus glo­rieuse de lit­téra­ture française : celle de l’écrivain mau­dit », a écrit Jean Dutourd. Cau le mau­dit ! Pour la gauche, le traître, le fas­ciste, c’était lui, le « salaud », pas­sant de gauche à droite, du camp du bien à celui du mal, du ser­vice de Jean-Paul Sartre à celui du général de Gaulle. Il était l’homme que la gauche n’aimait plus. Dès qu’on prononçait son nom, c’était un con­cert d’indignations ! Il faut se sou­venir que dans ses chan­sons (Les trois matelots par exem­ple), Renaud fai­sait rimer Jean Cau avec « vrai salaud » sous les applaudissements.

OJIM : D’un point de vue des tech­niques de jour­nal­isme, y a t‑il une pat­te Jean Cau ?

Pas­cal Eysser­ic : Un coup d’œil ful­gu­rant plutôt, une curiosité au laser, atten­tif aux pro­pos de ses inter­locu­teurs célèbres ou non. Rien ne lui échap­pait, pas le moin­dre détail dans la phy­s­ionomie ou dans l’attitude. « Je ne sais tou­jours pas si le jour­nal­isme est un art, mais si la réponse est oui, alors il aura été notre Goya », a écrit à son pro­pos Pierre Béni­chou, dans Le Nou­v­el Obs. C’était un amoureux du trait, de la flèche qui tue. Jamais bas. Un polémiste d’exception, certes, mais aus­si un reporter tout ter­rain qui aimait tous les fronts de l’actualité. Écrivain, il était libre de sa course. Jour­nal­iste, il pre­nait le départ pour un sprint imposé. À Match, il sig­nait un entre­tien ver­si­fié à la Ros­tand avec Jean-Paul Bel­mon­do lorsque ce dernier jouait Cyra­no, puis la semaine suiv­ante se lançait dans une enquête sur l’état de l’Éducation nationale, en vis­i­tant les lycées de la ban­lieue parisi­enne en scoot­er, avant de par­tir à Séville, ren­dre compte du tri­om­phe de du torero Paco Camino dans les arènes. Dix ans après sa mort, en 2003, Denis Jeam­bar, pré­parant le numéro spé­cial des 50 ans de L’Express, lais­sa échap­per son admi­ra­tion à l’endroit de Jean Cau, « dont l’écriture a ébloui tous ceux qui l’ont décou­vert en tra­vail­lant à ce numéro anniver­saire », alors même que ce dernier n’était resté qu’une poignée d’années dans ce jour­nal qui l’a pour­suivi de sa hargne des années durant ! Le patron de L’Express sol­da en un édi­to­r­i­al sa dette : « Si cette phrase, qu’il aurait sans doute détestée, a un sens, Cau est bien le plus grand jour­nal­iste d’hier et d’aujourd’hui. Pour son style. Pour son œil. Pour sa manière. Pour cette mod­estie qui se cachait der­rière la rage du mal-être. Cette humil­ité, qui seule per­met au jour­nal­iste de s’ouvrir aux autres et de com­pren­dre pour à son tour éclair­er et expli­quer, éclate dans un arti­cle du 9 juil­let 1959 sur le pont de Tan­car­ville. Un texte exem­plaire, car il démon­tre qu’il n’y a pas de grands ou de petits sujets et que tout peut être dit avec sim­plic­ité et plaisir. »

Jean Cau, Con­tre-attaques, suivi de Dis­cours de la déca­dence, édi­tions de la Nou­velle Librairie, 300 p., 19,50 euros.

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