Le Figaro demeure pour beaucoup une référence en matière de presse nationale. Disposant de l’un des sites d’information le plus maniable pour les utilisateurs, il diffuse également bien sa version papier, talonnant Le Monde en matière de ventes sans bénéficier à l’étranger du quasi statut de journal officiel dont s’était paré le quotidien référence de centre gauche depuis plusieurs décennies, un statut écorné depuis. À regarder de près, le journal vit aujourd’hui un numéro d’équilibriste permanent et sa ligne devient de plus en plus difficile à cerner. En toile de fonds de ce brouillard éditorial, les luttes intestines d’un journal qui aura bientôt deux cent ans et dont les jeunes générations rejouent l’immémoriale guerre des générations.
Un média qui tient bon dans la crise de la presse
Dans une période de crise du média papier, Le Figaro semble avoir bien résisté, et a conçu un site à la fois d’aspect élégant et facile d’utilisation qui le place régulièrement à la première place des sites d’information, même si la crise sanitaire a poussé les résultats vers le rouge.
Une numérisation réussite qui passe aussi parfois par une tendance à produire du contenu racoleur pour générer du flux. Si le contenu de type « tabloïds » est incontournable sur internet, le problème du Figaro semble davantage résider dans l’équilibre éditorial entre les différentes sensibilités de la rédaction.
Voir aussi : Alexis Brézet, portrait
Des syndicats gauchers face à la « zemmourisation »
Le Syndicat national des journalistes (SNJ), affilié à la très gauchère et gauchiste Union syndicale Solidaires, présent dans le journal dénonce, à l’instar d’autres centrales, la nature de la gestion du journal. Réuni en congrès national du 20 au 22 octobre 2021 à Strasbourg, le SNJ dénonçait la « zemmourisation » de la campagne présidentielle. Une inquiétude qui a atteindrait (sans preuves) jusqu’aux rives de la rédaction, à en croire un communiqué de presse commun de la CFE-CGC, de la CFTC, de la CGT et du SNJ, en date du 18 octobre.
Dans la missive envoyée à la direction et au personnel, l’intersyndicale demande des clarifications quant à la ligne éditoriale. Le directeur des rédactions, Alexis Brézet, est ainsi mis en cause dans le cadre de la suspension du contrat de travail d’Éric Zemmour en raison de la « promotion de son livre ». Les syndicats susmentionnés s’inquiétaient alors du fait que cette décision ait été annoncée à la Société des Journalistes (SDJ) plutôt qu’à eux. Évoquant une baisse d’audience, le communiqué déplore une ligne éditoriale qui serait trop compatible avec le polémiste, pas encore officiellement en campagne au moment des faits.
Le 7 décembre, le syndicat s’est adressé aux salariés pour les informer d’avoir interpellé Alexis Brézet sur la situation de leur ancien collègue : « appartient-il toujours au Figaro ? » et d’embrayer sur ce dernier qui aurait « menacé les journalistes qui le suivaient avec une arme » à l’occasion du salon de l’armement avant de s’en prendre aux « journalistes dans leur ensemble » lors de son meeting de Villepinte du 5 décembre.
Pour être bien assuré que le polémiste ne reviendra pas, le syndicat liberticide insiste ensuite sur son attitude qui serait « en contradiction absolue avec les valeurs du Figaro » et d’enchaîner sur le ton larmoyant « Nous subissons tous, chaque jour, le fait d’être considéré comme travaillant pour le « journal de Zemmour » ». (sic).
Vidéo : ces journalistes qui veulent faire taire Zemmour
Peur Covidienne dans le journal
Dans un registre plus « pratique », les syndicats regrettent le recours au télétravail pour les journalistes de plumes une seule journée par semaine. Cette inquiétude « covidienne » semble d’ailleurs plus tenir en haleine les syndicats que la ligne politique et les communiqués dans ce sens sont récurrents. Le 8 septembre, le SNJ envoyait déjà un communiqué intitulé « Covid : l’inquiétante stratégie de la direction du Figaro ».
En toile de fond de ces critiques sur la gestion sanitaire, s’ajoute toujours un défaut de communication que dénonce le syndicat qui déplore d’être informé par l’AFP de l’évolution de la situation de leur collègue Éric Zemmour. Un mois plus tard, ils reprocheront au directeur des rédactions de s’être adressé au Parisien pour expliquer que le polémiste ne reviendrait pas au Figaro s’il se présentait. Là encore un problème de choix d’interlocuteur agace… sans doute une manière de compenser une représentativité très faible.
La contradiction en action
Si les courriers du SNJ témoignent d’une activité syndicale somme toute assez banale dans la presse, ils s’inscrivent dans le cas du Figaro dans une opposition d’idées interne au média.
Ainsi, les différents titres du journal entrent bien souvent en contradiction les uns avec les autres.
Le Figaro Magazine, repris sur le site web du journal, titrait en une le 12 novembre : « Ecole — comment on endoctrine nos enfants » avec en sous-titre : « antiracisme, idéologie LGBT+, décolonialisme… Enquête sur une dérive bien organisée ». Un titre qui ne ferait pas rougir Valeurs Actuelles et qui a provoqué l’ire du segment associatif progressiste aimablement repris par la presse leur étant acquise, le Huffington Post notamment.
Si un tel dossier fait frémir les adeptes de la mode transgenre pour tous, d’autres contenus pourraient, eux, avoir leur place dans Libé ou le Huffington Post. Il en va ainsi d’un article paru le 7 septembre 2021 dans lequel la journaliste Stéphany Gardier (par ailleurs adepte d’écriture inclusive) reprend un thème cher à la presse progressiste : celui des parents qui regrettent d’avoir eu des enfants. Un sujet abordé avec quatre ans de retard sur la presse progressiste. Le retard en matière sociétale est d’ailleurs une spécialité que l’on retrouve souvent dans une large partie de l’hémisphère politique droit en France, qui court après ce que la gauche lui indique comme étant le progrès. Dans le registre de la famille, la journaliste Ségolène Forgar a gratifié ses lecteurs d’un papier évoquant ces fratries où les gens ne s’aiment pas. Là encore il s’agira de parler de retard à l’allumage, Néon l’ayant traité il y a sept ans… Censé casser un tabou, ce type de papier guère intéressant mais qui poursuit une idéologie de déconstruction sont honnis par d’autres composantes du Figaro.
Figaro Vox, Hors-série, des déclinaisons droitières
A côté de contenus progressistes que l’on peut aussi bien trouver sur le site ou dans le format papier, c’est le Figaro Madame qui est généralement le plus en pointe. On peut y trouver des ovnis d’opinion comme cet entretien surréaliste avec Mélanie Laurent qui se veut un plaidoyer pour le féminisme depuis les Émirats Arabes Unis… Un contenu aux antipodes des positions de certains journalistes vedettes du journal, à l’image d’Eugénie Bastié. Cette dernière a fait ses armes au Figaro Vox, le prolongement des pages opinion du journal perçu par certains médias de gauche comme la « droite dure du Figaro ». Sur une ligne conservatrice, ces pages dirigées par Alexandre Devecchio, sont à l’opposé de certains articles du Figaro.
D’autres branches du Figaro sont aussi marquées par une certaine forme de conservatisme de bon aloi avec le Hors-série dirigé par Vincent Trémolet de Villers, passé par Le Spectacle du Monde. Un titre comme Le Figaro Histoire propose également tous les deux mois des dossiers de qualité et plutôt peu perméables au « politiquement correct ».
Une guerre générationnelle ?
À en croire certains témoignages, il existerait au cœur de la rédaction du Figaro, des tensions entre les diverses tendances politiques. Très schématiquement, la jeune génération, de droite et plutôt décomplexée n’entend pas se laisser dicter sa loi par la pensée dominante. La montée en puissance de figures jeunes, talentueuses et peu regardantes des codes établis par un monde médiatique longtemps ancré à gauche semble participer de ce mouvement.
Récemment, c’est un jeune normalien qui a bénéficié de plus d’éclairage médiatique, Paul Sugy, auteur d’un livre remarqué sur les « antispécistes ». Cette nouvelle génération médiatique multiplie les plateaux et donne une image assez droitière du journal. A cela s’ajoute la récente mise en orbite de l’ancien confrère devenu candidat à l’élection présidentielle, Éric Zemmour. Un ancien collègue jugé un peu trop encombrant pour l’aile gauche du journal et particulièrement pour les « anciens » du journal restés dans le mode libéral libertaire de leurs confrères du Monde.
Reste à présent à voir comment évolueront les différents supports du journal au gré de la campagne. Un problème qu’a d’ailleurs soulevé Libération mi-novembre et qui n’en constituera peut-être pas un, à considérer la longue histoire de ce journal qui sait depuis longtemps faire cohabiter des sensibilités diverses. Tout porte à croire qu’il n’y aura pas d’arbitrage pour tel ou tel camp. Une certaine liberté qui fait honneur au Figaro, un titre dans lequel les journalistes sont finalement assez libres tant qu’ils ne touchent pas aux intérêts financiers de la main qui les nourrit !