« Agent double » entre médias et politiques ?
Née dans l’Hérault, à Montpellier, le 6 août 1979, Anna Cabana, aussi appelée Anna Bitton, est journaliste et auteur. Elle est la fille d’une mère professeur de mathématiques et d’un père médecin, tous deux juifs marocains dont elle loue les qualités de ces « babas passionnés par la psychanalyse » qui lisent Libération. Ses parents ont divorcé lorsqu’elle était enfant, raison pour laquelle elle grandit entre Nîmes, Annecy, Aix et le Maroc, qu’elle tient comme son « refuge ».
Portrait vidéo
Un « agent » bien entouré
À 23 ans, elle repérée par Nicolas Domenach qui avait lu ses articles dans Libération où elle faisait un stage. En décrochant un entretien inattendu avec Cécilia Sarkozy, la jeune femme s’était ouvert des portes. Quelques mois plus tard, elle intègre Marianne, alors dirigée par Maurice Szafran. Elle bénéficie de l’appui Nicolas Domenach, qui lui donne ce goût pour le dessin psychologique de ses personnages politiques et qui encourage ses passions romanesques. C’est à son contact qu’elle se forme, bénéficiant de ses conseils et de ses remontrances jusqu’à assoir sa position. « C’est ce qui fait que je suis devenue journaliste politique. J’étais tellement admirative de son travail que je voulais me mettre dans ses pas », concède-t-elle à propos de son maître à penser.
En juin 2007, elle est repérée par Franz-Olivier Giesbert, qui l’engage au Point, au moment où ses relations avec le fondateur de Marianne, Jean-François Kahn, sont tendues. Elle intégrera ensuite diverses plateformes médiatiques, dont BFMTV où elle sera chroniqueuse et I24News, où elle anime l’émission Conversations.
En février 2023, c’est à l’antenne de BFM qu’elle ose une comparaison suggestive entre l’Assemblée nationale et… un camp de gitans. Cette analogie, qui aurait pu être anodine quelques années plus tôt, lui vaut les remontrances de la nouvelle directrice de la Dilcrah, Sophie Elizéon, qui y voit des « propos intolérables » et n’hésite pas à saisir l’Arcom. La journaliste, qui tombe des nues en apprenant cette nouvelle, pousse des cris d’orfraie face à « ce cas ahurissant de diffamation publique par une instance gouvernementale ».
Un agent très politique ?
Ses qualités d’écrivain ne sont pas unanimement appréciées : la sortie de son livre Cécilia [Sarkozy], qu’elle signe de son nom de jeune fille Anna Bitton, lui vaut une « censure » de la part du chef de l’État Nicolas Sarkozy, irrité de cet ouvrage sur sa femme — avec laquelle il est alors en train de divorcer. Cécilia Sarkozy l’a d’ailleurs attaquée en référé. La journaliste concèdera ne pas comprendre l’agacement de l’ancienne première dame de France, estimant de son côté qu’il « n’y [avait] pas plus plaidoyer pro Cécilia Sarkozy que [s]on bouquin. »
De même, sa partialité dans les entretiens qu’elle mène avec les personnalités politiques ne satisfont pas certains de ses collègues, qui dénotent chez elle une propension à la complaisance. Elle n’hésitera pas à déclarer à propos d’Emmanuel Macron : « Il impressionne tout le monde […] ses conseillers, ses ministres […] ils sont tous bluffés. […] Il est exceptionnel […] Il y a dans son tempérament, son intelligence, dans la chimie exceptionnelle de son être […] qui paralyse le fonctionnement autour de lui et la circulation de l’information ».
Si Nicolas Domenach lui aurait lancé qu’elle « ne connai[ssait] vraiment rien à la politique », sa proximité avec les figures du monde politique sont manifestes. Ainsi, la sortie de son livre sur Alain Juppé, en 2011, survient quelques années après que son mari, ex-directeur de cabinet de l’ancien secrétaire général du RPR (jusqu’en 1993), ait fait une déposition importante dans une affaire politico-financière qui entachera cet homme politique. De même, sa proximité avec Jean-Michel Blanquer, avait qui elle s’est récemment mariée, a suscité l’interrogation lorsque la journaliste a présenté une émission portant sur une récente polémique qui affectait son époux. Dans les années 2015, on lui reprochait déjà une « trop grande proximité avec les sujets de ses articles, et […] de participer à un détournement de la politique par la psychologie ».
Frayant de trop près avec des réseaux politiques qu’elle a souvent dépeints, celle qui se revendique un « agent double » n’aurait-elle tout simplement pas franchi les frontières incestueuses qui mène souvent les journalistes dans les coulisses de la scène politique ?
C’est précisément cette coupable ambiguïté qui fait capoter son transfert annoncé en tant qu’éditorialiste à Sud Ouest en janvier 2023. L’annonce de son recrutement avait suscité une levée de boucliers de journalistes en interne qui se sont insurgés contre « la manière dont a été mené ce recrutement ».
Formation
- 2002 : elle est diplômée de Sciences Po après avoir fait une Hypokhâgne à Henri IV.
Parcours professionnel
- Été 2002 : elle fait un stage à Libération, qu’elle obtient en dépit du fait qu’elle ne soit pas étudiante en journalisme et grâce à un travail de « harcèlement téléphonique » auprès du chef du service politique d’alors, Jean-Michel Thénard. C’est à l’occasion de ce stage qu’elle réalise un portrait dans le quotidien le 12 août 2002, nommé Cécilia, la Sarko sosie.
- De 2002 à 2007, elle est journaliste politique à l’hebdomadaire Marianne.
- De juin 2007 à août 2016, elle est journaliste politique et grand reporter au Point.
- De 2011 à janvier 2018, elle est éditorialiste dans le quotidien régional le Télégramme.
- De septembre 2011 à janvier 2013, elle est journaliste politique pour la Matinale de France Inter.
- Depuis le 7 janvier 2013, elle est éditorialiste politique sur BFMTV.
- Du 30 août 2016 à juin 2020, elle est rédactrice-en-chef du service politique puis grand reporter à la direction de la rédaction du Journal du Dimanche.
- Depuis septembre 2017, elle est animatrice de l’émission « Conversations » sur la chaîne i24 News France.
- Depuis juin 2020, elle est rédactrice-en-chef adjointe chargée des pages littéraires du Journal du Dimanche. Elle y aurait été déplacée peu avant la déclaration publique de son mariage avec Jean-Michel Blanquer.
Parcours militant
Anna Cabana viendrait, de son propre aveu, d’une famille « non politisée ». Si elle admet n’avoir jamais voulu voter, elle a néanmoins fait une exception en 2017, préférant le candidat Macron à une Marine Le Pen contre laquelle elle se sentait le devoir de voter « par obligation, mais point barre ».
Vie privée
Anna Cabana est, depuis le 15 janvier 2022, la femme du ministre de l’Éducation nationale, de la jeunesse et des sports, Jean-Michel Blanquer. Ils se sont mariés à la Mairie du Vème devant le maire divers droite Florence Berthout. Chaque membre du couple avait divorcé. Jean-Michel Blanquer a quitté sa deuxième épouse, magistrate et par ailleurs son ancienne élève, avec qui il vivait depuis plus d’une décennie. De même, Anna Cabana avait quitté son époux, Yves Cabana, directeur des services du conseil général des Yvelines, ancien directeur de cabinet d’Alain Juppé, avec qui elle était mariée depuis 2009.
Elle est mère d’une fille, Mia et d’un fils, qu’elle a eu avec son ex-mari Yves Cabana. Selon la presse dite « people », elle serait enceinte d’un nouvel enfant, raison pour laquelle le couple Blanquer aurait déménagé dans un 142 mètres carrés de la rue de Grenelle.
Elle dit s’être fait « draguer », en pleine affaire du Sofitel, par DSK.
Publications
Sous le nom d’Anna Cabana
- 2010 : Villepin, la verticale d’un fou, Anna Cabana, Paris, Flammarion.
- 2010 : Inapte à dormir seule, Anna Cabana, Paris, Bernard Grasset.
- 2011 : Juppé, Anna Cabana, Paris, Flammarion.
- 2012 : Entre deux feux, Anna Rosencher, Anna Cabana, Paris, Bernard Grasset.
- 2016 : Un fantasme nommé Juppé, Anna Cabana, Paris, Stock.
- 2016 : Quelques minutes de vérité, Anna Cabana, Paris, Bernard Grasset.
Sous le nom d’Anna Bitton
- 2008 : Cécilia, portrait, Anna Bitton, Paris, Flammarion.
Distinctions et jury
- En 2010, elle est Lauréat du Prix Louis Hachette pour la presse écrite.
- De 2017 à 2019, elle est membre du jury des Prix du Trombinoscope.
Elle l’a dit
« En fait, on [ndlr. les journalistes] est des agents doubles ! Il faut être à la fois très proche de nos sujets, de nos personnages, et à la fois s’en éloigner. Notre compétence se juge dans notre élasticité à réaliser cet aller-retour. Quand je n’arrive pas à m’approcher, je suis nulle, quand je n’arrive pas à m’éloigner, je suis nulle. Car c’est dans l’aller-retour que tout se joue. », Charles, été 2013.
« Quand tu es tout seul devant l’ordinateur, tu es face à toi-même. J’apprends sur moi à chaque fois que j’écris sur quelqu’un. Tu te mets en jeu, tu te mets en risque. Et je peux parfois me faire mal », Charles, été 2013.
« Dans la vie, tu éclaires ta personnalité dans un sens. Et quand on écrit sur les gens, on fout les projecteurs dans un autre sens. Ce n’est pas malhonnête, mais cela suppose un vrai choix. », Charles, été 2013.
« Mon arme, c’est mon travail, car, au final, j’écris sur eux », Charles, été 2013.
« Je ne cherche pas à être objective. Mais je ne mens pas, je suis honnête, j’annonce la couleur dès le départ à mes interlocuteurs. Et j’ai besoin de fouiller les tripes des gars qui font ce métier de fou. Qu’est-ce qui fait courir un gars comme Mélenchon ? Il n’y pas d’autre sujet en fait… Et il n’y a jamais de réponse claire. Si t’obtiens un petit bout de réponse, t’as déjà gagné quelque chose. », Charles, été 2013.
« C’est ma vie, du matin au soir. Le monde politique est un précipité de nature humaine, un univers extraordinaire. Tout est plus violent, plus fort, plus brutal. Il y a une tension, une dramatisation de ce qui se joue sous les projecteurs. Il faut être sacrément fou pour consacrer sa vie à ça », Les Inrocks, 13/04/2016.
« Je pense que c’est très dur de lire un portrait de soi. Les rares fois où il m’est arrivé d’en lire un, j’ai compris comment les politiques devaient souffrir », Les Inrocks, 13/04/2016.
« Je veux simplement être jugée sur mon travail. Si je merde quand je fais mon job, massacrez-moi. Mais je ne peux pas rendre des comptes sur ce genre de polémiques. », rapporté dans Public, 20/01/2022.
« Ma famille n’est pas politisée. Ce qui comptait, c’était la littérature. J’aime les personnages de roman, les tragédies… (…) Ma façon de contribuer au débat citoyen, c’est de raconter ces gens. Je les connais trop pour voter pour eux, ou contre eux. », Femme Actuelle, 18/01/2022.
« Si vous voulez, on entend dire les uns et les autres que l’Assemblée nationale n’a jamais été un salon de thé. Certes, ce n’est pas un salon de thé, mais là on est entre le cap de gitans et le camps de guignols. C’est quelque chose qui tire tout le débat démocratique vers le bas », BFMTV, extrait reproduit sur Twitter, 14/02/2023.
On l’a dit à son sujet
« Anna Cabana a un gros réseau et c’est une très grosse travailleuse. À l’époque [ndlr. en 2002], son écriture et sa réflexion étaient déjà très mûres pour son âge. Avant de la rencontrer, je n’avais pas imaginé une seule seconde que c’était une petite stagiaire », Maurice Szafran, ex-patron de Marianne, cité dans Charles, 29/03/2013.
« Quand elle a mal, elle le dit. Elle met à jour facilement ses failles. Elle n’a pas de fausses pudeurs. Cela lui permet de relâcher la pression et, en même temps, elle suscite de cette manière l’empathie. Cela la sécurise ! On a envie de la rassurer ! », un confrère cité dans Charles, 29/03/2013.
« Anna a fait du Franz-Olivier Giesbert sans le savoir. », Maurice Szafran, ex-patron de Marianne, cité dans Charles, 29/03/2013.
« Derrière une certaine candeur, elle est redoutable. Moi, je me suis cassé les dents sur Juppé. Elle, elle a réussi à l’accoucher ! Et en plus, elle ne trahit jamais le “off”. Ses portraits ne suscitent jamais de droits de réponse…[…] Si vous voulez la détester, ne la rencontrez pas. Car elle est talentueuse, jeune et belle femme. Et suscite donc naturellement la jalousie », Saïd Mahrane, journaliste au Point, cité dans Charles, été 2013.
« J’en ai marre, à chaque fois, elle me crée des problèmes », Nathalie Kosciusko-Morizet, journaliste au Point, citée dans Charles, été 2013.
« Anna est en quête d’absolu. Son livre préféré, c’est Belle du seigneur d’Albert Cohen », Anne Rosencher, journaliste à Marianne, citée dans Charles, été 2013.
« Anna Cabana a fait de l’édito politique toute sa vie, personne ne peut douter de son professionnalisme. La position du groupe est claire : c’est à elle de décider [ndlr. si elle doit se mettre en retrait suite à son mariage avec Jean-Michel Blanquer] », Marc-Olivier Fogiel, cité dans la Tribune Juive Info, 02/08/2020.
« Elle portait une tenue vaporeuse qui évoquait les mers du Sud, ça détonnait tellement avec la froideur parisienne. Elle avait un côté déterminé, un charme fou. Malgré une grande timidité, elle existait, avait un culot monstre et parlait fort », Nicolas Domenach en 2016, rapporté dans Le Journal des femmes, 18/01/2022.
« Je salue le professionnalisme d’Anna. Elle a fait de l’édito politique toute sa vie, personne ne peut douter de son professionnalisme. Ensuite, c’est à elle de décider. », Marc-Olivier Fogiel, cité dans Le Journal des femmes, 18/01/2022.
« Elle a une grande sensibilité, mais elle comprend très vite à qui elle a affaire. Elle a beaucoup de flair et un grand talent pour la psychanalyse politique », Ruth Elkrief, cité dans Femme Actuelle, 18/01/2022.
« On avancera que cette embauche était une très mauvaise réponse à un vrai problème, soulevé depuis longtemps et de plus en plus crucial : l’absence dans nos colonnes de femmes éditorialistes. Le recrutement inédit à ce poste d’une pigiste, décidé sans concertation ni annonce officielle, mettait la rédaction devant le fait accompli. Le profil de la candidate sollicitée, compagne d’un ex-ministre et pointée par le Conseil de déontologie journalistique et de médiation (CDJM) pour conflit d’intérêts, à la suite d’une émission télé qu’elle avait animée, ne pouvait que créer du dissensus », communiqué du Syndicat National des Journalistes, 09/01/2023.
« Ces propos stigmatisants alimentent la haine envers une communauté déjà discriminée en France. L’expression de “camp de gitans” convoque l’imaginaire le plus sombre de notre République, explique la délégation. La désignation de “camp de gitans” renvoie ainsi à l’internement durant la Seconde Guerre mondiale, aux politiques de sédentarisation forcée depuis 1945 et à la création de lieux désignés pour les gens du voyage », extrait d’un communiqué de la Dilcrah reproduit dans 20 Minutes, 21/02/2023.
Voir aussi : Journalistes et politiques : la proximité jusque dans l’intime (2013)