Ojim.fr
PUBLICATIONS
Yann Barthès, Dilcrah, Netflix, Frontex, Bellingcat... Découvrez les publications papier et numériques de l'Observatoire du journalisme.
→ En savoir plus
PUBLICATIONS
Yann Barthès, Dilcrah, Netflix, Frontex, Bellingcat... Découvrez les publications papier et numériques de l'Observatoire du journalisme.
→ En savoir plus
Grandeur et décadence de la maison Lagardère (Seuil)

23 février 2022

Temps de lecture : 4 minutes
Accueil | Veille médias | Grandeur et décadence de la maison Lagardère (Seuil)

Grandeur et décadence de la maison Lagardère (Seuil)

Temps de lecture : 4 minutes

« Papa, j’ai rétréci le groupe. Un slogan qui résume l’un des plus grands fiascos du capitalisme ». Cette phrase tirée du très bon livre d’Olivier Ubertalli, illustre parfaitement une histoire désolante. De Jean-Luc à Arnaud Lagardère, récit de la construction d’un empire et de sa destruction entre 1963 et 2003.

Jean-Luc ne gagne pas toujours mais construit jour après jour

Matra, la Mécanique Avi­a­tion Trac­tion, la mar­que est bien oubliée et fig­ure dans les musées de l’industrie. Pour­tant la mar­que a représen­té une épopée mag­nifique : la voiture Matra trois places, la V12 Matra qui rem­porte les 24h du Mans en 1972 avec Hen­ri Pescaro­lo au volant, les mis­siles Matra, et surtout le superbe coup de la  fusion en 1998/99 avec Aérospa­tiale pour don­ner nais­sance au groupe EADS/Airbus dont Lagardère (Jean-Luc) se retrou­ve action­naire à 37%.

Jean-Luc Lagardère n’a pas con­nu que des suc­cès, il échoue à bâtir une grande équipe de foot­ball à Paris, le Rac­ing, une aven­ture ter­minée en 1989. Il ne réus­sit pas à repren­dre TF1, raflé par Bouygues avec l’appui de Bernard Tapie et la nou­velle chaine La Cinq, lancée avec Berlus­coni, sera un échec. Mais à côté, les mon­tres Jaeger, le rachat d’Hachette, EADS déjà cité, les mag­a­zines et les médias (JDD, Le Point, Elle, Europe1, Match, Télé7jours, Moto jour­nal etc), quelle mois­son de réussites !

Hiver 2003 : passation de pouvoir

27 févri­er 2003, Jean-Luc Lagardère se fait opér­er pour une banale pro­thèse de hanche, à la Clin­ique du Sport, celle-ci a mau­vaise répu­ta­tion pour des infec­tions noso­co­mi­ales quelques années plus tôt. L’opération se passe bien, il ren­tre chez lui. Le 8 mars il est trans­porté d’urgence à Lari­boisière où il va mourir le 14 d’une encéphalomyélite aiguë, une mal­adie neu­rologique auto-immune. Selon sa volon­té, son fils unique lui succède.

Arnaud Lagardère avait déjà une expéri­ence dans le groupe avec un pas­sage aux États-Unis chez l’éditeur Groli­er, mais il n’était pas pré­paré à repren­dre un groupe de qua­si 50.000 per­son­nes. Assez vite il se sépare des lieu­tenants de son père pour pren­dre son envol. Il ren­con­tre — via Stéphane Fouks d’Havas — Ramzi Khi­roun, ancien porte couteau de DSK qui l’aide à acquérir le Pré Cate­lan, siège du très chic Rac­ing en 2006, il l’embauche l’année suiv­ante et en fera son portepa­role. Khi­roun jouera auprès d’Arnaud le même rôle qu’il jouait auprès de DSK, celui qui éteint les incendies. Lorsque Richard Gas­quet mem­bre du Team Lagardère, est accusé de con­som­ma­tion de cocaïne à Mia­mi, c’est Khi­roun qui sème le doute sur l’accusation. Curieuse­ment et à la sur­prise générale, Arnaud Lagardère déclare à l’occasion « Je n’ai jamais couché avec Richard Gas­quet », ouvrant la voie à des doutes sur ses incli­na­tions sexuelles.

Assez vite les fou­cades du nou­veau patron entraî­nent le groupe vers des chemins incer­tains. Le groupe événe­men­tiel sportif Sport­five est acheté 865M€, au total plus d’un mil­liard d’euros sont investis et per­dus dans le secteur. La vie privée du patron inter­roge les col­lab­o­ra­teurs du groupe. Il épouse Jade, superbe man­nequin belge d’une tête de plus que lui. Ils auront trois enfants, Nolan, Mila, Vila, on est en plein Walt Dis­ney. À l’été 2011, Le Soir Mag­a­zine pub­lie un reportage vidéo affligeant sur le cou­ple. Un an plus tard en novem­bre 2012 la RTBF belge dif­fuse un reportage La belle, le mil­liar­daire et la dis­crète qui fait plus que frôler le ridicule. En sep­tem­bre 2014 les cadres d’Hachette sont réu­nis à Rome et atten­dent le patron. Il ne vien­dra pas « occupé ailleurs », occupé à l’anniversaire de Jade célébré sur les réseaux soci­aux avec bal­lons en forme de cœur et petits fours.

Plus dure sera la chute

Arnaud Lagardère mène grand train. Il a un salaire élevé mais pas exces­sif pour le patron d’un grand groupe, salaire toute­fois insuff­isant. Il emprunte au Crédit Agri­cole. Beau­coup. Il fait vers­er de forts div­i­den­des dont il prof­ite. Mais la dette aug­mente, il doit appel­er au sec­ours Vin­cent Bol­loré (ils sont voisins Vil­la Mont­moren­cy à Paris) et Bernard Arnault (ancien ami de son père). Les loups sont entrés dans la berg­erie. Les action­naires qataris le lâchent, le fonds Amber s’allie avec Bol­loré, Viven­di lance une OPA ami­cale sur le groupe.

En 2003, le groupe Lagardère c’était 45.000 per­son­nes et 13 mil­liards d’euros de chiffre d’affaires ; en 2021 c’est 28.000 per­son­nes et 5 mil­liards. Si le groupe n’avait gardé que 10% d’EADS (37% à la créa­tion), cette par­tic­i­pa­tion vaudrait à elle seule 9 mil­liards d’euros fin févri­er 2022. Le très bon livre du jour­nal­iste du Point Olivi­er Uber­tal­li, d’une plume enlevée, se lit comme un roman. A la fin de la lec­ture deux mots vien­nent à l’esprit, quel gâchis !

Olivi­er Uber­tal­li, Grandeur et déca­dence de la mai­son Lagardère, Seuil, 2022, 19 €

Voir aussi

Vidéos à la une

Derniers portraits ajoutés