Rediffusion estivale. Première diffusion le 7 mars 2022
Les médias sont-ils neutres ? Il y a bien longtemps que nous avons répondu à la question à l’Observatoire du journalisme. Le monde libéral libertaire domine largement dans tous les secteurs. Un superbe travail récent de Sciences Po Paris et de l’INA sur les télévisions et les radios (donc hors presse écrite) conforte nos analyses.
6 millions d’émissions analysées sur 18 ans
Les équipes ont analysé 6 millions d’émissions diffusées entre 2002 et 2020. C’est un travail de fourmi qui a été entrepris. 14 chaînes de télévision, 8 chaînes de radio, plus de trois cent mille invités au total dont 21000 classés politiques, plus de 67.000 invitants dont environ 25.000 journalistes. Résultat, les courants de gouvernement sont avantagés, les courants d’opposition sont minimisés, surtout un, devinez lequel.
Temps de parole déséquilibrés
Les invités politiques ont été répartis – on peut discuter la classification mais acceptons-la comme telle – dans six catégories « classiques » : extrême gauche, gauche, Verts, libéraux/centristes, droite, extrême droite.
Première constatation, les représentants dits non traditionnels, extrême gauche, extrême droite et Verts sont globalement tous sous-représentés. Calculons. Si l’on estime, larga manu, que l’extrême gauche (Mélenchon/LFI/PC/trotskistes) représente 11/15% des votes, moyenne 13%, l’extrême droite (FN/RN/DLF sur la période, Zemmour n’était pas apparu) 15/25%, moyenne 20%, les Verts 5/15% moyenne 10%, on arrive à un total pour ces familles politiques (total discutable mais nous sommes dans une moyenne raisonnable) d’environ 40%. Sur la période ces trois familles politiques représentent chacune moins de 10% des émissions. Une moyenne presque acceptable mais inférieure pour les Verts et l’extrême gauche et une très grave sous-représentation de ce qui est considéré comme l’extrême droite.
Inversement les partis dits de gouvernement, comme on pouvait s’y attendre, sont sur représentés. Au gré des quinquennats gauche/droite/centristes/LREM sont très surreprésentés.
Un effet journaliste
Le tableau est donc assez net, beaucoup plus d’émissions du côté du manche et beaucoup moins du côté de ce qui est classé à l’extrême droite. Mais pourquoi ? Quels sont les facteurs d’influence ? La chaîne, le propriétaire (public ou privé), le journaliste, l’animateur, l’heure de diffusion ? Tout ceci compte un peu, les chaînes ont aussi leurs préférences. Ainsi pour les chaînes, France Inter (surprise) aime mieux la gauche et l’extrême gauche que la droite, Arte préfère les Verts et l’extrême gauche, BFM favorise LREM, CNews donne récemment plus d’exposition à « l’extrême droite », France Culture cultive volontiers l’extrême gauche, etc.
Mais au total « l’effet journaliste » compte plus que l’effet chaîne. C’est la sensibilité politique du journaliste qui va déterminer la sensibilité politique de l’invité. Comme une majorité des journalistes (encore une fois pas tous) évoluent dans l’ambiance du monde libéral/libertaire, ils décalquent leurs choix personnels sur le choix de leurs invités. Encore faudrait-il intégrer une dimension qualitative. Un invité PS ou LREM sera plus volontiers appelé par son petit nom (« bonjour Benoît » disait Léa Salamé sur France Inter en recevant Benoît Hamon lors de la campagne de 2017) alors qu’un invité politiquement incorrect sera reçu comme un chien dans un jeu de quilles. Quoi qu’il en soit un travail bienvenu et passionnant, les auteurs veulent le compléter en estimant mieux les temps de parole. À suivre donc. En attendant, vous savez qui favorise qui.