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Le Rapport Reuters/Oxford 2022 sur le journalisme

3 avril 2022

Temps de lecture : 6 minutes
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Le Rapport Reuters/Oxford 2022 sur le journalisme

Temps de lecture : 6 minutes

L’institut Reuters de journalisme à l’Université d’Oxford a, en janvier 2022, publié son rapport annuel concernant les évolutions dans le domaine journalistique. Document incontournable pour quiconque souhaite connaître les évolutions dans la manière de produire et de concevoir les produits journalistiques, il se penche cette année sur l’après-COVID dans les médias. En une phrase, ce rapport mise, pour l’année 2022, sur le fait de renforcer les acquis plutôt que d’en créer. Au-delà de ces considérations commerciales, le rapport n’est pas exempt de certaines considérations « déontologiques » et idéologiques bien connues.

Une presse pour les nantis

L’un des pre­miers con­stats de ce rap­port est que la presse reste, dans sa majorité, perçue comme étant au ser­vice des idées des per­son­nes alliant fort cap­i­tal économique et cul­turel. C’est près de 47% des per­son­nes inter­rogées par les auteurs qui le pensent. Phénomène expliqué par le fait que le mod­èle économique sur lequel reposent les gros titres de presse pousse à pay­er pour lire les arti­cles, etc., lais­sant de côté ceux n’ayant pas les moyens de financer. Un élé­ment prob­lé­ma­tique, car il risque à terme, selon les auteurs, de lim­iter l’au­di­ence des titres à cette seule caste.

Comment attirer les lecteurs ?

Un jour­nal reste une entre­prise qui, pour croître, a besoin d’a­grandir sa clien­tèle, ici, le nom­bre de lecteurs. Pour ce faire, deux pistes sont établies, mais en creu­sant, une seule est réelle­ment applicable.

La pre­mière con­siste à ramen­er vers les médias des gens qui en ont une défi­ance notable depuis un moment. Si cette défi­ance est réelle et anci­enne, puisque déjà en 2018 le rap­port notait que 44% des per­son­nes inter­rogées ne fai­saient pas con­fi­ance aux médias (Le Blog de Medi­a­part, 20 juin 2018), la pandémie a accru cette défiance.

Voir aus­si : Enquête con­fi­ance dans les médias Kantar/La Croix : tou­jours moins !

En France, cer­tains jour­nal­istes ont pris les habits du per­ro­quet pour répéter la parole gou­verne­men­tale, par­fois au mépris de la vérité, comme Anne-Claire Coudray en jan­vi­er 2020 sur le plateau de TF1, cher­chant à tout prix à don­ner tort à Marine Le Pen. Citons aus­si la poignée de main entre Emmanuel Macron, alors can­di­dat à la prési­dence, et Ruth Elkrief, ani­ma­trice sur BFMTV, lors de sa cam­pagne. Le geste incar­ne cette liai­son entre la poli­tique et les médias, qui pousse bon nom­bre de Français à s’éloign­er des médias « main­stream ». De tout cela, le rap­port n’en dit mot. S’il souhaite agrandir l’au­di­ence des titres de presse en ramenant à lui des lecteurs déçus, il ne remet jamais en ques­tion les raisons de cette défi­ance. Pire encore, puisque dans l’in­tro­duc­tion les auteurs souhait­ent que le futur réseau social de Don­ald Trump, Truth social, soit un repère de « dis­cours de haine, hack­ers et autres per­tur­ba­teurs ». Le mépris suin­tant pour les trump­istes laisse facile­ment imag­in­er la ligne édi­to­ri­ale les con­cer­nant dans les médias qu’évoque le rap­port. Il sem­ble alors que la réc­on­cil­i­a­tion entre les rédac­tions et ce lec­torat con­ser­va­teur non nég­lige­able ne soit pas possible.

Voir aus­si : TMTG : Trump attaque les GAFAM sur leur pro­pre terrain

Recours aux jeunes ?

Se pro­file alors la sec­onde option : vis­er un pub­lic plus jeune. Cette stratégie passe alors par deux biais. Le pre­mier est d’in­sér­er l’of­fre jour­nal­is­tique sur les réseaux soci­aux les plus en vogue et sur le pre­mier d’en­tre eux, Tik Tok. Comme l’expliquent les auteurs, la plate­forme est la ten­dance de ce début d’an­née. Elle se place avec YouTube et Insta­gram comme une cible de choix pour la jeune audi­ence. Le sec­ond biais est d’amen­er des enjeux qui intéressent les jeunes et la part belle est faite à la ques­tion cli­ma­tique. Dans ce cadre, l’avis de Vin­cent Giret, actuel directeur de France Info, est cité. Ce dernier explique qu’il y a une faib­lesse dans la cul­ture sci­en­tifique des rédac­tions. Il s’ag­it alors d’« édu­quer » les jour­nal­istes à ces ques­tions afin qu’ils en par­lent avec exac­ti­tude, pour sen­si­bilis­er les jeunes et au-delà.

Avant d’aller au-delà, faisons une obser­va­tion. Le mot de Giret n’est pas sans rap­pel­er le rap­port Bron­ner qui souhaite propager des « cours d’e­sprit cri­tique » afin que le citoyen ne se fasse pas bern­er par ses biais cog­ni­tifs. Par ailleurs, notons que les plate­formes citées, Tik­Tok, YouTube, Insta­gram, sont toutes ver­rouil­lées par le https://www.ojim.fr/fact-checkers-ou-desinformateurs-entretien-le-gallou/  « fact-check­ing », devenu pour Google un investisse­ment de choix. Ain­si, l’in­for­ma­tion qui sera délivrée au pub­lic suiv­ant les recom­man­da­tions de ce rap­port, sera, sans même que le rap­port ne le men­tionne vrai­ment d’ailleurs, label­lisée de façon à ne pas porter atteinte aux dogmes immuables tels que l’ingérence russe de 2016 lors des élec­tions aux États-Unis, bal­ayée par le rap­port Durham, ou l’ef­fi­cac­ité cer­taine et non dis­cutable du masque ou du vac­cin dans la lutte con­tre le coronavirus.

Le journalisme après le Covid

Autre ques­tion,  com­ment faire du jour­nal­isme après la pandémie ? Le pre­mier con­stat est celui d’une démoc­ra­ti­sa­tion de l’« hybride » entre télé­tra­vail et présen­tiel. Le sec­ond est celui d’une hausse des vio­lences con­tre les jour­nal­istes. Ici, sans sur­prise pour les lecteurs assidus de l’O­JIM, sont cités en exem­ple les man­i­fes­tants con­tre le passe san­i­taire en Angleterre. Nous pou­vons faire la même remar­que que plus haut, si les vio­lences sont réelles, le rap­port ne se ques­tionne pas sur les raisons de cette colère, qui ont pour­tant tout à voir avec les pra­tiques d’une par­tie du corps journalistique.

Plus inclusif, plus politiquement conforme

Enfin troisième con­stat, qui rejoint la volon­té d’a­grandir l’au­di­ence par un pub­lic plus jeune, l’idée d’un jour­nal­isme « plus inclusif ». Ain­si, il est pro­posé de met­tre en avant des per­son­nes unique­ment pour leur appar­te­nance de race, ou bien que la presse « serve » aux minorités de genre. Au risque d’en­fon­cer une porte ouverte, soulignons que met­tre en avant une per­son­ne unique­ment parce qu’elle est noire ou arabe n’est pas moins raciste que de la met­tre au rebut pour la même rai­son. Par ailleurs, vouloir faire en sorte que la presse soit « utile » aux minorités sex­uelles est-ce bien en har­monie avec l’idée d’être impar­tial, comme le devrait être un jour­nal­iste selon 57% des sondés du rapport ?

Der­rière ces con­sid­éra­tions d’au­di­ence et de déon­tolo­gie, se cache tou­jours la même volon­té de mise en avant de cer­taines notions comme la pseu­do égal­ité (pour cer­tains seule­ment), la pseu­do diver­sité (anti-blancs), la pseu­do tolérance (pas pour tout le monde), qui sont l’a­panage du monde libéral lib­er­taire. Suiv­ant fidèle­ment l’idéolo­gie de l’époque, entre « fact-check­ing » et diver­sité, le rap­port for­mate déjà l’in­for­ma­tion de la prochaine génération.

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