Première partie. Il y a 5 ans, François Fillon était candidat à la présidence de la République. Des révélations au sujet de ses dépenses en tant que parlementaire amenaient le Parquet National Financier à le mettre très rapidement en examen. L’intense battage médiatique qui s’en est suivi lui a probablement coûté sa qualification au second tour de l’élection présidentielle.
Cette année, de récentes révélations concernant le président de la République en place et candidat à sa réélection ne font pas l’objet d’une telle médiatisation. Il y a pourtant de la matière…
Nous revenons dans une série de deux articles sur ce que l’on peut qualifier de McKinseyGate, le scandale McKinsey, et de Rotschildgate, le scandale lié au passage de Macron dans la banque d’affaires Rothschild. Deux affaires révélées grâce à des médias d’investigation et au travail de sénateurs. Première partie sur le McKinseyGate aujourd’hui.
Le recours croissant à des cabinets conseil
Le recours par l’État français à des cabinets de conseil n’est pas une nouveauté. Comme le soulignait Le Monde Diplomatique en novembre 2021: « la révision générale des politiques publiques, menée entre 2007 et 2012 (…) innove toutefois dans la mesure où sa mise en œuvre implique des cabinets de conseil internationaux, souvent d’origine nord-américaine, tels que McKinsey & Company ou le Boston Consulting Group ». Dès le début du quinquennat présidentiel d’Emmanuel Macron, les cabinets de conseil étaient « sur les starting blocks » pour remporter de nouveaux marchés publics, notait le journal Les Échos en décembre 2021.
En novembre 2021, une commission d’enquête sénatoriale commençait ses investigations sur « l’influence croissante des cabinets de conseil privés sur les politiques publiques ». Ses dernières révélations nous apprennent que dans cette course, il y a eu beaucoup de gagnants, sauf peut-être le contribuable français. Le cabinet conseil nord-américain McKinsey apparait avoir bénéficié d’une part particulièrement importante des prestations de « conseil stratégique » mandatées par l’État.
De nombreux médias y ont consacré des articles, sans toutefois en faire un sujet central d’actualité, contrairement à la campagne de dénigrement de François Fillon menée tambour battant en 2017.
Les thèmes plus particulièrement abordés à ce sujet concernent l’ampleur du marché de conseil de l’État, la nature des « conseils privés », l’évasion fiscale organisée par McKinsey France, le rôle d’agent d’influence des cabinets de conseil et les liens entre McKinsey et Emmanuel Macron et plus généralement son parti LREM.
L’ampleur du marché des cabinets de conseil
Le quotidien Le Monde souligne le 17 mars l’une des révélations de la commission d’enquête sénatoriale sur le recours aux cabinets de conseils privés : « l’État a dépensé plus de 1 milliard d’euros en 2021 pour ces missions, la moitié en conseil informatique, l’autre en stratégie et organisation ».
BFMTV met l’évolution du recours à ces prestations en perspective : « si les dépenses des ministères en conseil s’établissaient à 893,9 millions d’euros en 2021, elles n’étaient “que” de 379,1 millions en 2018, soit un bond de près de 136% en quatre ans et de près de 45% pour la seule année 2021 ».
La nature des « conseils privés »
Certains médias soulignent des « interrogations » concernant la nature de certaines prestations, mises en lumière par la commission d’enquête sénatoriale.
Le Télégramme donne quelques exemples : « la réforme des APL pour un montant total de 3,88 M€ », le développement du « Baromètre des résultats de l’action publique (3,12 M€) ».
Public Sénat mentionne « l’exemple le plus médiatisé » : la préparation d’un colloque sur l’avenir du métier d’enseignant, réalisé par McKinsey à la demande du ministère de l’Éducation nationale, pour un montant de 496 800 euros (…) Au total, 68 commandes ont été passées par l’État à des consultants ». La chaine parlementaire souligne de façon pudique la « qualité inégale des livrables ». Mais « l’affaire » ne se limite pas à des missions d’audits parfois matérialisées par quelques powerpoints vendus à prix d’or. Une affaire dans l’affaire qui refait surface ces dernières semaines avait pourtant été révélée dès février 2021 par le journal Le Monde.
L’évasion fiscale organisée par McKinsey France
Le 5 février 2021, Le Monde consacrait un article à « McKinsey, un cabinet dans les pas d’Emmanuel Macron ». La stratégie d’ « optimisation fiscale » de la filiale française de la firme américaine y était évoquée. 20 minutes mentionne dans un article du 30 mars 2021 le recours au « prix de transfert », cette technique si prisée par les multinationales pour faire baisser artificiellement les bénéfices de leurs filiales et parfois échapper totalement à l’impôt sur les sociétés dans les pays où elles exercent leur activité. Le média souligne également que la commission d’enquête sénatoriale a établi que « le cabinet McKinsey est bien assujetti à l’impôt sur les sociétés (IS) en France mais ses versements s’établissent à zéro euro depuis au moins 10 ans », en dépit des déclarations de l’un de ses dirigeants lors d’une audition.
Le rôle d’agent d’influence des cabinets conseils
Certains médias, plus rares, abordent le rôle des cabinets de conseil dans le domaine plus particulier de la stratégie et de la « gouvernance » de la fonction publique. Car au-delà du recours à des sociétés ayant une spécialisation dans un domaine de compétence particulier (informatique, etc.), c’est l’influence des cabinets de conseil dans le pilotage de l’action publique qui est questionnée.
La commission d’enquête sénatoriale sur le recours aux cabinets conseil souligne dans un document de synthèse leur stratégie d’influence dans le débat public (page 7). Tant la majorité présidentielle que les cabinets conseil semblent y trouver leur compte.
Dans L’Express, un ancien délégué interministériel à l’intelligence économique souligne que le recours à ceux-ci est « idéologique ». Il « réfute l’idée que l’État manque de compétences en interne ».
Sur un plan plus théorique, deux universitaires ont consacré dans la revue Actes de la recherche en sciences sociales en 2012 un article aux « consultants et à la réforme des services publics ». On y apprend que derrière « l’expertise gestionnaire » se cachent de nombreux présupposés et partis pris idéologiques, souvent empreints de culture néo-libérale américaine.
Les liens entre McKinsey et Emmanuel Macron
Les liens entre McKinsey et Emmanuel Macron ont fait l’objet en février 2021 d’un article du Monde. Mais à la veille de l’élection présidentielle, ils refont surface de façon encore plus détaillée.
Il s’agit d’une longue histoire, puisque comme nous l’apprend Le Télégramme, « les liens entre Emmanuel Macron et le cabinet McKinsey remontent à 2007. Emmanuel Macron, alors inspecteur des finances, a 29 ans ».
Médiapart titre un article paru le 31 mars sur les « prestations offertes et jeux d’influence : révélations sur McKinsey et Emmanuel Macron ». Les exemples ne manquent sur ce qui semble être un retour d’appareil sur le mode « don contre don » théorisé par Marcel Mauss. « On vendait des fortunes des trucs effarants de nullité », aurait avoué un ancien consultant de McKinsey au site d’investigation.
Derrière les organisations, il y a les hommes et les femmes. Des salariés de McKinsey ont été « bénévoles » pendant la campagne présidentielle d’E. Macron en 2017. France 24 cite l’enquête du Monde : « Plusieurs consultants ou anciens consultants du cabinet qui avaient participé bénévolement à la campagne du candidat Macron en 2017 ont ensuite intégré des postes au sein de la Macronie ».
Sur Twitter, de nombreux abonnés publient des tweets plus ou moins documentés et sourcés sur les liens entre le cabinet McKinsey et la « macronie ». Ainsi Éric Anceau illustre un Tweet sur « La République McKinsey en marche ! » par des CV de jeunes « marcheurs » passés par McKinsey.
La contre-attaque
Le camp présidentiel ne reste pas inerte. Comme nous l’apprend BFM TV le 27 mars , « interrogé sur l‘affaire McKinsey, Macron s’agace et conteste d’éventuelles « combines ». La photo qui illustre cette contre-attaque montre le président avec sa gestuelle si particulière qui a su faire illusion pendant les dernières années.
Le 28 mars, c’est « le gouvernement (qui) crie au « complotisme » des oppositions sur McKinsey », nous informe le journal Libération.
Lors d’une conférence de presse organisée le 30 mars animée par deux ministres, Olivier Dussopt et Amélie de Montchalin tentent de déminer le terrain : « Les attaques sont de plus en plus fortes & grossières (…) nous allons rappeler un certain nombre de faits pour que le débat démocratique puisse vivre clairement ».
L’ex patron de Sud radio, Didier Maisto, tient également à rappeler sur Twitter « un certain nombre de faits » :
« 1. Olivier Dussopt est visé par une enquête du PNF pour corruption et prise illégale d’intérêts
2. Le mari d’Amélie de Montchalin a été membre de Boston Consulting Group jusqu’en 2020, cabinet de consultants au cœur du scandale d’État ».
Conjugué au Rotschildgate, c’est en creux un nouveau visage du régime LREM en place qui apparait, fait d’affairisme, de retours d’ascenseur et de dépenses faramineuses et contestables. Si dans les réseaux sociaux, en particulier sur Twitter, les commentaires sont acerbes, le peu de médiatisation de cette « affaire » revient en boucle. Le juriste Régis de Castelnau fait part sur Front populaire de son « verdict », bien que la justice ne se soit pas emparée de l’affaire :
« Le patron de la république bananière s’agace. Pour le #McKinseyMacronGate, j’ai noté pas moins de 5 infractions pénales probables. Fraude fiscale, Concussion, Délit de favoritisme, faux témoignages et bien sûr Corruption. Coucou le PNF ».
Circulez, il n’y a rien à voir. À suivre…