Rediffusion estivale. Première diffusion le 14 avril 2022
La campagne présidentielle aura été un cas d’école de changement de cap informationnel. L’invasion de l’Ukraine par les troupes russes a chassé la question covidienne. Au cœur des questions de société depuis quatre décennies, l’immigration a été reléguée au second plan des débats dans le scrutin même si le sujet a servi de marqueur et est incontournable depuis le tournant de 2002. Deux semaines et demi avant le premier tour, le 24 mars 2022 (le 25 dans la version papier) Le Figaro publiait un entretien « choc » avec Pierre Brochand, l’ancien patron de la DGSE, sur ce sujet. Un échange avec la journaliste Eugénie Bastié qui aurait pu secouer la campagne a finalement accouché… d’une souris.
Des propos chocs
Pierre Brochand, ancien Directeur général de la Direction générale de la sécurité extérieure de 2002 à 2008, ancien ambassadeur de France en Hongrie et en Israël. Un CV long comme le bras pour un énarque passé également par HEC.
À l’approche de ses 80 ans, le personnage n’a plus sa langue dans sa poche. En juillet 2019, lors d’un colloque de la fondation Res Publica, présidé par le chantre du souverainisme nouvellement rallié à Emmanuel Macron, Jean-Pierre Chevènement, il est revenu sans faux semblants sur la question migratoire. Le 24 mars 2022, c’est au Figaro qu’il accordera un entretien fleuve où l’on retrouve naturellement plusieurs éléments déjà vus à l’occasion de sa présentation au colloque.
Dans l’entretien de 16 pages donné au Figaro il s’étonne que des « esprits libres et éclairés » puissent « encore sous-estimer sa gravité ». Sans ambages, il dénonce égrène les difficultés liées à l’immigration : « majorité de civilisation extra-européenne et musulmane, esprit de revanche post-colonial, réticence à la mixité ». Pour lui, la question migratoire est la seule qui « menace directement la paix civile sur notre territoire ».
Une expérience institutionnelle au service d’un propos tranchant
Des propos incisifs qui tranchent avec ce que peuvent produire d’ordinaire les hauts-fonctionnaires français et à plus forte raison quand il s’agit d’un directeur de la DGSE passé par un poste sensible comme ambassadeur.
C’est d’ailleurs au nom de son expérience que monsieur Brochand « met les pieds dans le plat » comme il se plaît à le dire. De son expérience internationale, il retire l’idée que « toutes les sociétés « multi » sont vouées à des déchirements plus ou moins profonds ». Rappelant au passage que des minorités peuvent être violentes et gagnantes face à des majorités placides… Ainsi que le rôle des diasporas formant autant d’îlots communautaristes à risque. Évoquant un triptyque infernal fait du dissentiment religieux, de l’antagonisme colonial et du prisme racial, il énonce un constat sévère dont la dureté ne semble avoir eu d’écho que dans la candidature Zemmour. L’ancien directeur se montre par ailleurs assez dur avec l’actuel président qu’il accuse d’ignorer le sujet migratoire.
Revendiquant un « corpus ultra-réaliste » et « désenchanté » son propos a tout de la bombe à quinze jours d’un premier tour d’élection présidentielle. L’intérêt de la prise de parole de Pierre Brochand réside également dans sa portée philosophique et sa critique du modèle occidental et particulièrement européen et de sa « Société des Individus ».
Une bombe qui n’a pas éclaté
L’entretien avec Pierre Brochand avait tout de la bombe. En pleine campagne présidentielle, il semblait pouvoir susciter de vives réactions notamment avec la présence des candidats Le Pen et Zemmour. Le contexte sanitaire puis continental avec la guerre en Ukraine ont probablement pesé sur une fin de campagne étonnante où la complaisance médiatique à l’endroit du sortant a parfois étonné.
À quelques exceptions près, l’entretien a été peu relayé si ce n’est du côté de Valeurs Actuelles le lendemain de la parution ou par le site Boulevard Voltaire, qui s’en est également fait l’écho trois jours plus tard. Sur les réseaux sociaux le contenu a été partagé, via le compte du Figaro mais aussi à partir du compte de la journaliste Eugénie Bastié. L’occasion d’une passe d’armes entre cette dernière et Gilles Clavreul, un préfet en disponibilité qui avait cofondé le « Printemps républicain », structure groupusculaire visant à « lutter contre l’extrême droite comme l’islamisme politique ». Gilles Clavreul, qui a par le passé relayé de fausses informations s’est attaqué à l’ancien patron de la DGSE dans une étonnante et incompréhensible comparaison avec La Nouvelle Droite. Gilles Clavreul est l’ancien responsable (2014/2017) de la Dilcrah, Délégation interministérielle contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT, à laquelle l’Ojim a consacré une brochure (voir plus bas).
Un peu de bruit sur les réseaux sociaux, un relais limité à une presse coutumière du sujet migratoire… finalement le retentissement n’a pas été à la hauteur du propos et de la personnalité de qui le propos émanait.
La volatilité des thèmes médiatiques
Le contexte international du moment (guerre en Ukraine) peut expliquer une partie du silence médiatique sur le sujet. Un autre élément se trouve directement dans l’entretien et réside selon Pierre Brochand dans la hiérarchisation des préoccupations des français qui se mesurent à « coup de sondages » et présentant comme étant opposées les unes aux autres « au sein d’une seule et même échelle de valeurs » s’apparentant à une façon de « noyer le poisson ».
Cet étonnant silence autour de cet entretien qui s’apparente à une bombe donne ainsi à réfléchir sur le temps de l’information et les choix menés par les médias, les politiques mais aussi la capacité de réception par le public. C’est d’ailleurs un paradoxe étonnant de la campagne présidentielle 2022 : deux candidats « patriotes » d’envergure se sont affrontés mais les sujets de l’immigration n’ont pas percé probablement pris dans l’étau de la crise sanitaire et de la guerre en Ukraine.
Voir aussi : Recevez gratuitement la nouvelle brochure de l’OJIM sur la DILCRAH