Dans le sens du vent, toujours
Céline Pigalle est née le 31 janvier 1972 à Gonesse. Après quinze ans de journalisme à Europe 1, elle prend la direction de la chaîne d’information i>Télé avant d’en être exclue par Vincent Bolloré. C’est à la suite d’un passage éclair à TF1 qu’elle devient directrice de la rédaction de BFMTV. Sans transition, elle débarque à la tête de France Bleu pour faire passer les mesures impopulaires concoctées de Sybile Veil et Delphine Ernotte. Elle sera nommée ensuite directrice de l’information de Radio France. Travaillant pour la première fois de sa carrière pour un média du service public, elle affirme porter haut « ses valeurs ». Mais de quelles « valeurs » s’agit-il au juste ?
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i>Télé : entre « un certain humanisme » et éviction des « gêneurs »
Durant son passage à i>Télé, Céline Pigalle et sa directrice Cécilia Ragueneau entendent développer « un discours autour de valeurs pour se démarquer de la première chaîne d’information, BFMTV, mêlant la recherche d’un recul contre l’immédiateté de l’information en temps réel et la défense d’un certain humanisme ». Alors qu’elle est directrice de la rédaction, elle appuie le licenciement d’Éric Zemmour d’i>Télé, en 2014, jugeant que le comportement de l’auteur du Suicide français a provoqué la gêne parmi la société des rédacteurs de la chaîne à l’occasion de son émission « Ça se dispute ». Un choix stratégique contestable, puisque l’émission compte alors parmi les meilleures audiences de la chaîne… Pigalle indique alors au journal Le Monde : « On a tout fait pour aller jusqu’au bout, en écoutant Éric, mais là, on était au bout ». L’affaire se soldera au tribunal : attaquée par Zemmour, i>Télé sera condamnée à payer 50 000 euros de dommages et intérêts au journaliste pour « rupture brutale et abusive du contrat, sans préavis et sans invoquer aucun manquement contractuel ».
En septembre 2015, Pigalle est évincée d’i>Télé par Vincent Bolloré. À l’occasion de son départ, elle aurait été « vivement applaudie par ses troupes », si l’on en croit Le Monde. La société des journalistes d’i>Télé fera d’ailleurs part dans son communiqué « de sa vive émotion face à la brutalité du départ de Cécilia Ragueneau, directrice générale, et de Céline Pigalle, directrice de la rédaction » et rappellera « son attachement aux principes intangibles d’une information libre, indépendante et objective ».
Le professionnalisme au service de la trahison
« Nous sommes très heureux d’accueillir Céline Pigalle au sein de LCI. Avec Catherine Nayl, nous avons la conviction que son professionnalisme et son expérience seront des atouts précieux pour mener à bien les missions qui lui seront confiées et relever les défis du passage de LCI sur la TNT gratuite et de ses futurs développements digitaux ».
Derrière les aimables propos de Nicolas Charbonneau et Jean-François Mulliez, DG de LCI, se dessine le fructueux avenir de Pigalle au sein du groupe privé. Intégrant TF1 pour accompagner le passage en gratuit de LCI, Pigalle quitte la chaîne trois mois après l’avoir intégrée pour cause de désaccords sur la stratégie éditoriale avec les cadres de la chaîne et, au premier chef, Nicolas Charbonneau. Cette « professionnelle », qui opère donc un départ surprise, saura rebondir. Six mois plus tard, elle intègre BFMTV dont elle est la nouvelle directrice de la rédaction. Ironie du sort : elle avait été recrutée précisément dans l’objectif de « lutter contre le leader de l’information en continu : BFMTV ». Du professionnalisme à la trahison, il n’y a qu’un pas…
BFMTV : Pigalle dans le sens du vent… gouvernemental
C’est avec les manifestations des Gilets jaunes et le traitement fait par BFMTV de la crise sanitaire que Céline Pigalle va se retrouver une nouvelle fois sous le feu de critiques.
À l’occasion de la crise des Gilets jaunes, BFMTV fait ainsi l’objet de nombreuses contestations, soit de politiques dénonçant l’intérêt trop important prêté à ceux-là, soit par les protagonistes des manifestations soulignant la dénaturation faite de leur combat. La directrice de la rédaction se défend alors en proposant : « Peut-être aussi qu’il ne faut pas la regarder toute la journée » ou « les politiques la consomment sur des durées absolument épouvantables et en effet se sentent fragilisés ». Limiter les audiences pour ne pas se sentir fragilisés : une drôle de proposition de la part de cette responsable des programmes diffusés…
La ligne de défense adoptée pour défendre le traitement de la crise sanitaire n’aura guère plus de succès. Alors qu’elle est invitée à participer à une table ronde sur les médias à l’épreuve de la crise sanitaire, Céline Pigalle admet s’être largement adossé sur le discours gouvernemental sans y apporter des lumières critiques. Elle indique alors : « dans un moment aussi, où on veut dit qu’on est en guerre et où toute la notion de cohésion générale de la société, vous êtes rappelés au fait qu’il ne faut pas non plus trop troubler les gens. Et finalement, même si on a tenté au maximum de s’extraire de tout ça, pas trop aller à rebours de la parole officielle, puisque ce serait fragiliser un consensus social ». Elle se dédouanera de ses paroles, jugées par elle « un peu confuses », justifiant le traitement unanime de BFMTV en matière de crise sanitaire par un « climat global qui rendait la discussion scientifique moins simple, car elle était brouillée par le politique. » L’argument avancé apparaît faible : le constat, généraliste, pourrait être appliqué à de nombreux sujets traités par la chaîne d’infos en continue.
Quand @celinepigalle, directrice de la rédaction de @BFMTV, déclare relayer volontairement les #FakeNews du gouvernement car “Il ne faut pas trop troubler les gens. Pas trop aller à rebours du discours officiel car ça serait fragilisé un consensus social ”
Merci @NicolasVdrines1 pic.twitter.com/shlDGhW5dQ
— Christophe Castagnette ᵖᵃʳᵒᵈᶦᵉ (@ccastanette) January 27, 2022
France Bleu : à la rescousse de nos territoires
En février 2023, contre toute attente, elle est nommée par Sibyle Veil à la tête du réseau de radios publiques locales France Bleu en lieu et place de Jean-Emmanuel Casalta. La patronne de Radio France voit en elle « une grande professionnelle des médias » qui « connaît la radio et a dirigé de grandes rédactions ». Il lui incombe de faire cesser l’érosion progressive des audiences et de démobiliser une rédaction éprouvée par la « brutalité du management » exercée par la direction précédente. Erik Kervellec, ancien directeur de l’information de la station, était chargé de mettre en œuvre le rapprochement forcé avec France 3 (via des matinales communes et une plateforme mutuelle), ce qui lui a valu une motion de défiance votée à 85 %. Céline Pigalle entre en fonction le 3 avril et intègre du même coup le comité de direction de Radio France.
À l’été 2024, elle prend du galon et devient, en supplément de ses responsabilités à Radio Bleue, directrice éditoriale déléguée chargée de l’information et de la proximité
Origines et formations
- 1990 : Hypokhâgne avec option Sciences Po au lycée Victor Duruy à Paris (7e) .
- 1994 : admise à l’IEP Paris, dont elle ressort diplômée trois ans plus tard.
- 1996 : diplômée de l’École supérieure de journalisme de Lille.
Parcours professionnel
- 1996–2011 : travaille à Europe 1 au service économie.
- 2000–2004 : correspondante à Berlin.
- 2006–2008 : correspondante à Bruxelles.
- 2008 : rédactrice-en-chef des éditions du matin.
- 2009 : rédactrice-adjointe de la rédaction.
- Mai 2011 : rejoint Canal+. Elle est rédactrice-en-chef de l’émission quotidienne La Matinale.
- Mai 2012 : directrice de la rédaction d’i>Télé.
- Janvier 2014 : directrice de l’information du groupe Canal+.
- 4 septembre 2015 : quitte Canal+ et i>Télé. Elle en est évincée par Vincent Bolloré.
- 21 mars 2016 – mai 2016 : passage rapide à TF1, à la tête de la rédaction de LCI.
- 22 décembre 2016 : directrice de la rédaction de BFMTV. Elle y retrouve Marc-Olivier Fogiel qu’elle connaît bien : celui-ci était aux manettes de la matinale d’Europe 1 lorsque Pigalle officiait sur la station.
- Juin 2019 : elle est renouvelée en tant que vice-présidente du conseil d’administration de l’ESJ Lille.
- Février 2023 : directrice de la rédaction de France Bleu.
Distinctions
- 1996 : gain de la Bourse Lauga-Delmas (créée par Europe 1), qui lui permet de faire ses premiers pas de reporter aux informations générales.
Publication
- Femmes au travail, de qui se moque-t-on ? éditions PRAT, collection Droits de regards. Mars 2000.
Elle l’a dit
« Nous [Cécilia Ragueneau, directrice d’i>Télé et elle] avons perçu du trouble et de la colère autour des propos d’Éric Zemmour, mais nous n’avons pas voulu agir dans la précipitation, pour qu’on ne puisse pas dire que nous avons été manipulés ou instrumentalisés », à propos du licenciement d’Éric Zemmour, Le Point, 20/12/2014.
« Nous sommes très soucieux de respecter la liberté d’expression. Et nous avons défendu celle d’Eric [Zemmour] pendant plus de dix ans, pour que ses idées soient prises en compte, contredites et débattues. Mais aujourd’hui, on a l’impression que c’est lui qui fixe les règles et de quoi on parle. On a de moins en moins le sentiment qu’on peut débattre. Le dialogue est devenu de plus en plus difficile, voire impossible. On a l’impression qu’il se parle à lui-même et à son public », Le Monde, 19 décembre 2014.
« Par ailleurs, sur les recrutements, nous faisons attention à ce qu’il y ait des candidatures de femmes pour chaque poste. Chez BFM, beaucoup de chefs de rubrique sont des femmes, y compris sur les sujets régaliens comme la politique », Club de la presse Occitanie, 2018.
« Les politiques consomment BFMTV sur des durées absolument épouvantables et en effet se sentent fragilisés », Huffington Post, 20/01/2019.
« Nos métiers nécessitent beaucoup d’humilité et le sens des responsabilités », Huffington Post, 20/01/2019.
« À mon avis, il y a quand même une chose très singulière dans cette crise, c’est la politisation des débats scientifiques. Nous, on est très habitués à être au cœur de cette mêlée politique, mais quand d’un seul coup la science est un enjeu dans le débat politique… Finalement si on reprend un enjeu très basique, très prosaïque : quand Sibeth Ndiaye dit « on ne va pas avoir besoin de masques parce que finalement on ne saurait pas comment les porter », vous voyez on est sur quelque chose de… [Elle ne finit pas sa phrase, ndlr] Dans un moment aussi, où on vous dit qu’on est en guerre et où toute la notion de cohésion générale de la société, vous êtes rappelés au fait qu’il ne faut pas non plus trop troubler les gens. Et finalement, même si on a tenté au maximum de s’extraire de tout ça, pas trop aller à rebours de la parole officielle, puisque ce serait fragiliser un consensus social. Vous voyez, ce sont vraiment des circonstances très, très singulières ». Libération, 30 janvier 2022.
« Quand la crise du Covid a commencé, il y’avait beaucoup à faire à la maison […] et d’un seul coup, toutes les femmes expertes ont quitté les plateaux. La charge familiale pèse encore plus largement sur les femmes […] Si vous ne veillez pas à ça, mécaniquement, tout revient à l’ordinaire », Press Club de France TV, 09/03/2022.
« Le sujet essentiel est donc dans l’existence de titres indépendants, qui soient capables de faire émerger certaines confrontations. Il peut s’avérer utile, pour cela, d’avoir différents groupes de presse, dont des acteurs plus puissants que certains groupes indépendants et il faut que tout cela circule, au point qu’un certain nombre de choses finissent par être écrites, y compris dans un journal qui n’avait pas forcément, en première intention, une envie massive de s’en emparer. Tel me paraît plutôt être notre enjeu. » Rapport commission d’enquête sénatoriale : À l’heure du numérique, la concentration des médias en question ?, 29/03/2022.
« Je ne déteste pas le terme de fabrication de l’information même si je sais les connotations qu’on peut lui donner. Le journalisme est un petit métier d’artisan et, de ce point de vue, il a peu changé. » Rapport commission d’enquête sénatoriale : À l’heure du numérique, la concentration des médias en question ?, 29/03/2022.
« BFMTV […] s’inscrit dans la dynamique d’une grande chaîne populaire, s’adressant au plus grand nombre sur les sujets d’intérêt général qui concernent plus particulièrement la France ou ayant une résonance pour notre pays, dans le cas d’évènements se déroulant à l’étranger […] Nous ne sommes pas du tout dans une démarche de télévision d’opinion. Nous sommes attachés à demeurer une grande chaîne d’information, ce qui n’empêche pas que des points de vue s’expriment sur l’antenne ». Rapport commission d’enquête sénatoriale : À l’heure du numérique, la concentration des médias en question ?, 29/03/2022