Le 5 mai 2022 avait lieu, dans les murs de l’Université Paris-Dauphine, la 12ème Conférence Nationale des Métiers du Journalisme. Se définissant comme « une instance de dialogue et de propositions », elle comprend les quatorze écoles de journalisme reconnues par la profession, des professionnels ainsi que des chercheurs afin de réfléchir sur un thème donné. Cette année le thème était : « journalisme rêvé, journalisme enseigné, journalisme pratiqué », ainsi qu’une interrogation sur l’insertion des jeunes journalistes dans le métier. L’OJIM y était présent.
Boulot de merde ?
La première carte blanche, réalisée par Amandine Degaud, professeur à l’IHECS (Institut des hautes études des communications sociales à Bruxelles), est l’occasion de voir les attentes, d’après son enquête, d’un panel de treize jeunes journalistes belges entrés depuis peu dans le métier. Très vite, les écoles de journalisme sont pointées du doigt pour préparer leurs étudiants à accepter n’importe quel travail en sortant de leur cursus. Un constat qui n’est pas contredit par certaines expressions que l’on entend dans le discours, telles que « larbin des rédactions ». Un des enquêtés ajoute qu’il y a du boulot, « mais du boulot de merde ». Un programme alléchant qui conduit alors à des « désillusions saines » sur la réalité du métier ajoute l’un des interrogés.
Couteaux suisses
Cette carte blanche était suivie d’une table ronde intitulée « les jeunes journalistes à l’épreuve des rédactions » qui se penchait sur l’intégration, mais aussi le recrutement de ces nouvelles recrues. Dans ce domaine, la parole de Samuel Petit, rédacteur en chef du Télégramme, est importante. Il complimente ces jeunes diplômés en notant « les jeunes journalistes sont moins politisés, mais plus engagés et très cultivés ». Un constat qui nous interroge. L’engagement ne nécessite-t-il pas une certaine politisation ? Puis, vient l’évocation des modalités de travail au Télégramme, où on ne compte que 9% de CDD, des CDD de 18 mois, autrement dit des périodes d’intérim qui sont rarement la voie vers un CDI. Il ajoute également la nécessité d’être multitâche, emboîtant le pas de Lætitia Beraud, ancienne adjointe du Snapchat du Monde, qui parlait de journalistes « couteaux-suisses », capables de filmer, monter, promouvoir, etc.
Radio France et sa tournante
Vient ensuite la question de la gestion des effectifs dans les rédactions lors d’une seconde table ronde intitulée « Les médias au défi des transformations managériales ». Parmi les intervenants figurait Vincent Mangin, chargé de mission RH chez Radio France, qui évoque le service public comme « le Graal pour les étudiants en sortie d’école ». Il glisse d’ailleurs un petit remerciement à ces écoles, en notant le niveau acquis par leurs élèves.
Deux mots meublent le discours de Mangin : « humanisme » et « bienveillance », ainsi qu’un dispositif : le planning. Pour figurer sur ce fameux planning, il faut réussir un concours ayant lieu deux fois par an. Vanté par Vincent Mangin, ce dispositif est brocardé par Jean-Marie Charon, sociologue, durant son intervention de l’après-midi, qui évoque alors « la tournante de Radio France ». Ajoutons qu’en 2017, Le Point évoquait « le planning de la honte » en révélant des fuites de commentaires méprisants émanant de membres de Radio France.
Précarité et diversité sont dans un bateau
Notons d’ailleurs que l’intervention du sociologue, consacrée aux journalistes quittant la profession, a d’ailleurs ébranlé une partie du discours de la matinée sur l’intégration dans les rédactions et a mis en exergue la précarité des jeunes gens souhaitant faire leur trou dans ce milieu. Un moment plus inattendu a eu lieu lorsqu’il a tordu le cou aux programmes de « diversité », mis sur la table par une question de Marc Epstein, président de l’association La Chance, qualifiant ces initiatives de « gâchis social ». Il observe que, bien souvent, les gens visés par ces programmes ne s’intègrent pas dans le sérail journalistique, n’en ayant pas les codes sociaux et intellectuels, et se dirigent alors vers d’autres domaines tels que l’informatique ou la data. L’idée d’un entre-soi émane de ce constat que la journée n’a pas vraiment brisé, puisqu’à aucun moment ou presque, le cas des canddidats issus d’autre chose que d’une école de journalisme n’a été évoqué.
La diversité, un incontournable idéologique qui a eu sa place dans les discussions, chacun mettant en avant son innovation à ce sujet. D’autres sujets ont été mis sur la table. Il nous a fallu vingt minutes d’écoute pour entendre les mots « race », « genre », « décolonisation », venant d’une des enquêtés d’Amandine Degaud. Celle-ci indiquait qu’elle souhaitait faire du journalisme afin de « démocratiser ces idées ». La journée s’est achevée sur une table ronde sur la formation à laquelle intervenait deux étudiants, dont l’un à l’école de journalisme de Science Po Paris. Ainsi, nous avons appris que des cours de fact-checking étaient proposés, le tout sous le giron de l’AFP, qui s’est allié à Google pour mettre à bas la désinformation.
La défiance ? Quelle défiance ?
Concluons sur une anecdote, hélas, pleine de sens. Lors de son intervention, Lætitia Beraud explique qu’un jour, alors qu’elle prend un Uber tard dans la nuit pour aller à son travail, elle a menti sur sa profession afin d’éviter d’avoir à se défendre d’être journaliste comme cela est fréquemment le cas, principalement à cause de la défiance d’une grande partie des Français envers la presse traditionnelle.
Une défiance qui n’a, à aucun moment, été interrogée par les intervenants afin d’en chercher les causes, préférant saluer le travail des Décodeurs du Monde. Visiblement, l’autocritique ne semble pas au programme des grandes écoles de journalisme.