Imaginons – imaginons seulement – que l’on apprenne qu’Edwy Plenel, Laure Mandeville ou Marie Mendras travaillent en sous-main pour des officines étatiques, et l’on peut aisément deviner le scandale qui en découlerait. Blague à part, c’est ce qui est arrivé en Grande-Bretagne, où il a été révélé que deux journalistes très en vue sont entrés au service d’agences de renseignement pour une opération de guerre de l’information, jetant le discrédit sur l’ensemble de la profession. Le texte qui suit est une traduction en français d’un article du journaliste anglais Jonathan Cook, paru dans MintPress le 21 juin 2022. Certains intertitres sont de notre rédaction.
Les événements de ces derniers jours suggèrent que le journalisme britannique – le soi-disant quatrième pouvoir – n’est pas tout à fait ce qu’il prétend être, à l’opposé même du rôle de vigie que l’on pourrait en attendre.
Journalistes cooptés par les services de renseignement
Tout a commencé avec le procès en diffamation de la chroniqueuse du Guardian Carole Cadwalladr, à l’issue duquel des courriels piratés de Paul Mason, pilier de longue date de la BBC, de Channel 4 et du Guardian, ont été rendus publics. Ces messages révèlent que ces deux célèbres journalistes, Cadwalladr et Mason, travaillaient comme recrues d’une guerre informationnelle menée par les agences de renseignement occidentales.
S’ils avaient fait preuve d’honnêteté à ce sujet, cette collusion n’aurait peut-être pas eu autant d’importance. Après tout, peu de journalistes sont aussi neutres ou impartiaux que la profession aime à le prétendre. Mais comme beaucoup de leurs collègues, Cadwalladr et Mason ont brisé ce qui devrait être un principe fondamental du journalisme : la transparence.
Le rôle des journalistes sérieux est d’amener dans l’espace public des questions essentielles pour débat et examen. Ceux d’entre eux qui ont un esprit suffisamment critique aspirent à obliger les détenteurs de l’autorité – principalement les agences gouvernementales – à rendre des comptes en partant du principe que, sans un examen public minutieux, le pouvoir corrompt rapidement. Le but du vrai journalisme – par opposition aux commérages, aux divertissements et au style télégraphique relatif à la sécurité nationale qui passent généralement pour du journalisme – est de frapper vers le haut, pas vers le bas.
Et pourtant, chacun de ces journalistes, nous le savons désormais, s’entendait activement, ou cherchait à s’entendre, avec des acteurs étatiques qui préfèrent opérer dans l’ombre, à l’abri des regards. Les deux journalistes ont ainsi été cooptés pour faire avancer les objectifs des services de renseignement. Pire : chacun d’eux a soit cherché à devenir un intermédiaire, soit à participer activement à des campagnes secrètes de diffamation menées par les services de renseignement occidentaux contre d’autres journalistes.
Ce qu’ils faisaient – avec tant d’autres journalistes de l’establishment – est l’antithèse même du journalisme. Ils contribuaient non seulement à dissimuler le fonctionnement du pouvoir pour le rendre plus difficile à contrôler mais encore essayaient d’affaiblir leurs collègues déjà marginalisés qui luttaient pour demander des comptes à l’État.
Complicité russe bidon
Plusieurs facteurs ont permis de mettre en évidence la collusion entre Cadwalladr et services de renseignement britanniques. Point de départ : un procès en diffamation intenté par l’homme d’affaires Arron Banks, principal donateur de la campagne réussie du Brexit pour que la Grande-Bretagne quitte l’Union européenne, contre Carole Cadwalladr.
Que s’est-il passé ? Il faut revenir à l’année 2016. Dans une sorte d’extension transatlantique de l’hystérie du Russiagate aux États-Unis après l’élection de Donald Trump, Cadwalladr a accusé Banks d’avoir menti sur ses liens avec la Russie. Selon le tribunal, elle a également suggéré qu’il avait enfreint les lois sur le financement des élections en recevant de l’argent russe à l’approche du vote sur le Brexit, toujours en 2016.
Cette année-là sert en quelque sorte de point zéro aux progressistes qui craignent pour l’avenir de la “démocratie occidentale” — soi-disant menacée par les “barbares modernes aux portes”, tels que la Russie et la Chine – et la capacité des États occidentaux à défendre leur primauté à travers des guerres d’agression néocoloniales dans le monde entier. La Russie aurait ainsi orchestré une double opération de subversion en 2016 : d’un côté de l’Atlantique, l’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis ; de l’autre côté, les Britanniques, dupés pour se tirer une balle dans le pied – et saper l’Europe – en votant pour quitter l’UE.
Au cours du procès, Cadwalladr n’a pu soutenir ses allégations contre Banks. Néanmoins, le juge s’est prononcé contre l’action en diffamation de Banks – au motif que les affirmations de la journaliste n’avaient pas suffisamment nui à sa réputation. Le même juge a également statué, de façon assez perverse, que Cadwalladr avait des “motifs raisonnables” pour publier ses affirmations selon lesquelles Banks avait reçu des “faveurs” de la part de la Russie, même si “elle n’avait vu aucune preuve qu’il avait conclu de tels accords”. Une enquête menée par la National Crime Agency n’a rien trouvé non plus contre lui.
Alors, compte tenu des circonstances, sur quoi reposaient ses accusations contre Banks ? Le modus operandi journalistique de Cadwalladr, dans ses efforts de longue date pour suggérer une ingérence généralisée de la Russie dans la politique britannique, est mis en évidence dans sa déclaration de témoin à la cour.
Elle y fait référence à une autre de ses histoires du style Russiagate de 2017, où elle tentait de relier le Kremlin à Nigel Farage, ancien homme politique pro-Brexit du parti UKIP et proche associé de Banks, et le fondateur de WikiLeaks Julian Assange, prisonnier politique au Royaume-Uni pendant plus d’une décennie.
À cette époque, Assange était confiné dans une chambre individuelle à l’ambassade d’Équateur après que le gouvernement équatorien lui ait offert l’asile politique. Il y avait cherché refuge, craignant d’être extradé vers les États-Unis après des révélations de WikiLeaks selon lesquelles les États-Unis et le Royaume-Uni avaient commis des crimes de guerre en Irak et en Afghanistan.
WikiLeaks avait également profondément embarrassé la CIA en poursuivant la publication de documents divulgués sous le nom de Vault 7, exposant les crimes de l’agence.
La semaine dernière, le ministre de l’Intérieur du Royaume-Uni, Priti Patel, a approuvé l’extradition vers les États-Unis qu’Assange craignait et qui l’a conduit à l’ambassade d’Équateur. Une fois extradé aux États-Unis, il risque jusqu’à 175 ans d’isolement complet dans une prison de sécurité maximale.
Voir aussi : Quand Libération se fait le relais des services secrets britanniques via Bellingcat
Complot en vue d’un assassinat
Nous savons désormais, grâce à une enquête de Yahoo News, que jusqu’en 2017, la CIA a élaboré divers stratagèmes pour assassiner Assange ou le kidnapper dans l’une de ses opérations illégales « d’extradition extraordinaire », afin qu’il puisse être enfermé définitivement aux États-Unis.
Nous pouvons présumer que la CIA croyait également qu’elle devait préparer le terrain pour une opération aussi véreuse en impliquant l’opinion publique. Selon l’enquête de Yahoo, la CIA pensait que la capture de Julian Assange pourrait nécessiter une fusillade dans les rues de Londres.
C’est à ce stade, semble-t-il, que Cadwalladr et le Guardian ont été encouragés à peser en vue de retourner davantage l’opinion publique contre Assange.
Selon sa déclaration de témoin, « une source confidentielle aux [États-Unis] » a suggéré – au moment même où la CIA réfléchissait à ces différentes intrigues – qu’elle écrive sur une supposée visite de Farage à Assange à l’ambassade. L’histoire a été publiée dans le Guardian sous le titre “Quand Nigel Farage a rencontré Julian Assange”.
Dans l’article, Cadwalladr donne un indice fort sur qui la traitait comme une confidente : la seule source mentionnée dans l’article est « un contact hautement placé ayant des liens avec les services de renseignement américains ». En d’autres termes, la CIA lui a presque certainement soufflé quoi écrire.
Dans l’article, Cadwalladr relie ses affirmations et celles de la CIA à « un alignement politique entre l’idéologie de WikiLeaks, l’idéologie de l’UKIP et l’idéologie de Trump ». Dans les coulisses, suggère-t-elle, se trouvait la main cachée du Kremlin, les guidant tous dans un complot malveillant visant à saper fatalement la démocratie britannique.
Elle cite son “contact haut placé” affirmant que la prétendue rencontre en face-à-face entre Farage et Assange était nécessaire pour transmettre des informations sur leur complot infâme « de manière et dans des endroits qui ne peuvent pas être surveillés ».
Sauf que, comme le savait son “contact haut placé” – et comme nous le savons désormais grâce aux révélations du site Grayzone – c’était un mensonge. Parallèlement à son complot visant à tuer ou à kidnapper Assange, la CIA a illégalement installé des caméras à l’intérieur et à l’extérieur de l’ambassade. Chacun de ses mouvements dans l’ambassade était surveillé – même dans le bloc sanitaire.
La réalité était que la CIA mettait sur écoute et filmait toutes les conversations d’Assange à l’ambassade, même celles en face-à-face. Si la CIA disposait réellement d’un enregistrement d’Assange et Farage se rencontrant et discutant d’un complot inspiré par le Kremlin, elle aurait trouvé un moyen de le rendre public à ce jour.
Bien plus plausible est ce que disent Farage et WikiLeaks : une telle rencontre n’a jamais eu lieu. Farage s’est rendu à l’ambassade pour tenter d’interviewer Assange pour son émission sur LBC Radio, mais s’en est vu refuser l’accès. Cela peut être facilement confirmé car à ce moment-là, l’ambassade équatorienne s’était rapprochée des États-Unis et refusait à Assange tout contact avec des visiteurs en dehors de ses avocats.
Néanmoins, Cadwalladr conclut : « Dans la tempête parfaite de fausses nouvelles, de désinformation et de médias sociaux dans laquelle nous vivons maintenant, WikiLeaks est, à bien des égards, le vortex tourbillonnant au centre de tout. »
Voir aussi : Bellingcat : Le Monde victime de la propagande britannique, ou complice ?
“Vortex tourbillonnant”
L’histoire de la rencontre Farage-Assange montre comment les agendas de la CIA et de Cadwalladr ont parfaitement coïncidé dans leur propre “vortex tourbillonnant” de fausses nouvelles et de désinformation.
Cadwalladr voulait relier la campagne du Brexit à la Russie et suggérer que quiconque souhaitant défier les piétés progressistes qui couvrent les crimes commis par les États occidentaux doit nécessairement appartenir à un réseau de conspirateurs, de gauche et de droite, orchestré depuis Moscou.
La CIA et d’autres agences de renseignement occidentales, quant à elles, voulaient renforcer l’impression du public selon laquelle Julian Assange était un agent du Kremlin – et que la révélation par WikiLeaks des crimes commis par ces mêmes agences n’était pas une question d’intérêt général mais en réalité une attaque russe contre la démocratie occidentale.
Le travail de sape contre la réputation d’Assange avait déjà été largement entrepris auprès du public américain lors de la campagne du Russiagate aux États-Unis. Les services de renseignement, ainsi que la direction du Parti démocrate, avaient élaboré un récit conçu pour obscurcir les révélations de WikiLeaks relatives au trucage de la primaire par le camp d’Hillary Clinton en 2016 afin d’empêcher Bernie Sanders de remporter l’investiture présidentielle du parti. Au lieu de cela, ils ont redirigé l’attention du public sur des affirmations sans preuves selon lesquelles la Russie avait “piraté” les e‑mails.
Pour Cadwalladr et la CIA, la fausse nouvelle à propos de Farage rencontrant Assange pourrait être présentée comme une preuve supplémentaire que « l’extrême gauche » et « l’extrême droite » étaient de connivence avec la Russie. Leur message était clair : on ne pouvait faire confiance qu’aux seuls centristes – et à la Sécurité nationale – pour défendre la démocratie.
Une histoire fabriquée de toutes pièces
La campagne de diffamation d’Assange par Cadwalladr est entièrement liée à l’offensive contre WikiLeaks orchestrée par les médias de gauche auxquels elle appartient. Son journal, The Guardian, a eu Assange dans le collimateur depuis une brouille à propos de leur publication conjointe de journaux de guerre en Irak et en Afghanistan en 2010.
Un an après l’article diffamatoire de Cadwalladr, le Guardian poursuivra sa diabolisation d’Assange en coopération avec les services de renseignement en diffusant une histoire tout aussi fabriquée – cette fois à propos d’un haut responsable américain proche de Trump, Paul Manafort, et de divers “Russes” non identifiés rencontrant secrètement Assange à l’ambassade d’Équateur.
L’histoire était si improbable qu’elle a été ridiculisée au moment même de sa publication. Encore une fois, l’opération d’espionnage illégale de la CIA à l’intérieur et à l’extérieur de l’ambassade signifiait qu’il était impossible que Manafort ou des “Russes” aient secrètement visité Assange sans que ces réunions soient enregistrées. Néanmoins, le Guardian n’a jamais retiré son papier diffamatoire.
L’un des auteurs de cet article, Luke Harding, a été en première ligne des affirmations du Guardian concernant le Russiagate et de ses efforts pour diffamer Assange. Ce faisant, il semble s’être fortement appuyé sur les services de renseignement occidentaux pour ses histoires et s’est avéré incapable de les défendre quand cela fut nécessaire.
Luke Harding, aidé par l’un de ses collègues du Guardian, David Leigh, a ajouté à ses accusations visant à jeter le discrédit sur Assange la publication d’un livre (imprimé par le Guardian) qui contenait un mot de passe secret pour accéder aux documents de WikiLeaks, permettant ainsi leur divulgation aux services de sécurité du monde entier.
L’affirmation de la CIA selon laquelle la publication de ces documents mettait en danger ses informateurs – que même des responsables américains ont été contraints de réfuter – a été portée contre Assange pour justifier son emprisonnement. Mais si quelqu’un est à blâmer, ce n’est pas Assange mais Harding, Leigh et le Guardian.
Incitation à la censure
Le cas de Paul Mason, qui a travaillé de nombreuses années comme journaliste senior à la BBC, est encore plus révélateur. Les courriers électroniques transmis à Grayzone montrent que le journaliste vétéran et autoproclamé « de gauche » coopère secrètement avec des personnalités alignées sur les services de renseignement britanniques. Objectif ? Créer un réseau de journalistes et d’universitaires afin de salir et de censurer les médias indépendants qui contestent les récits des agences de renseignement occidentales.
Les préoccupations de Mason à propos de l’influence de la gauche sur l’opinion publique sont allées croissantes au fur-et-à-mesure qu’il a été la cibles de critiques — venant justement de la gauche britannique — pour son soutien fervent et inconditionnel à l’OTAN et qu’il a fait pression pour une plus grande ingérence occidentale en Ukraine. Ce sont deux objectifs qu’il partage avec les services de renseignement occidentaux.
Avec les médias de l’establishment, Mason a appelé à envoyer des armes de nouvelle génération à Kiev, susceptibles d’augmenter les pertes humaines pour les belligérants et de provoquer une confrontation nucléaire entre l’Occident et la Russie.
Dans les échanges rendus publics, Mason suggère de nuire et de “déplateformer sans relâche” les sites de médias d’investigation indépendants — tels que Grayzone, Consortium News et MintPress — qui accueillent des journalistes indépendants. Lui et ses correspondants débattent également de l’opportunité d’inclure dans leur liste Declassified UK et OpenDemocracy. L’un de ses co-conspirateurs suggère de les “atomiser légalement pour les assécher financièrement”.
Mason lui-même propose de priver ces sites web de revenus en faisant secrètement pression sur PayPal pour empêcher les lecteurs de faire des dons pour soutenir leur travail.
Il convient de noter que, à la suite de la correspondance de Mason, PayPal a effectivement lancé une telle répression, y compris contre Consortium News et MintPress, après avoir précédemment ciblé WikiLeaks.
On trouve parmi les correspondants de Mason deux personnalités intimement liées au renseignement britannique : le premier est Amil Khan, décrit par Grayzone comme « un obscur fournisseur de services de renseignement » ayant des liens avec le Conseil de sécurité nationale du Royaume-Uni. Khan a fondé Valent Projects, établissant ses références dans une sale guerre de propagande en faveur de groupes djihadistes coupeurs de têtes essayant de faire tomber le gouvernement syrien soutenu par la Russie.
« Clusters » clandestins
L’autre agent du renseignement est quelqu’un que Mason nomme son « ami » : Andy Pryce, le chef de l’unité ténébreuse de Counter Disinformation and Media Development (CDMD) du ministère des Affaires étrangères, fondée en 2016 pour « contre-attaquer la propagande russe ». Mason et Pryce passent une grande partie de leur correspondance à discuter du moment où se retrouver dans les pubs de Londres pour prendre un verre, selon Grayzone.
Le ministère des Affaires étrangères a réussi à garder secrète l’existence de l’unité CDMD pendant deux ans. Le gouvernement britannique a refusé de divulguer des informations de base sur le CDMD pour des raisons de sécurité nationale, bien que l’on sache maintenant qu’il est supervisé par le Conseil de sécurité nationale.
L’existence du CDMD a été révélée à la suite de fuites concernant une autre opération secrète de guerre de l’information, l’Integrity Initiative. L’Integrity Initiative a été menée entre autres sur la base de « clusters » clandestins, en Amérique du Nord et en Europe, de journalistes, d’universitaires, de politiciens et de responsables de la sécurité avançant des récits partagés avec les agences de renseignement occidentales pour discréditer la Russie, la Chine, Julian Assange et Jeremy Corbyn, l’ancien dirigeant de gauche du Parti travailliste.
Cadwalladr a été nommée dans le cluster britannique, avec d’autres journalistes éminents : David Aaronovitch et Dominic Kennedy du Times ; Natalie Nougayrede et Paul Canning du Guardian ; Jonathan Marcus de la BBC ; Neil Buckley du Financial Times ; Edward Lucas du Economist ; et Deborah Haynes de Sky News.
Dans ses e‑mails, Mason semble vouloir non seulement renouveler ce type de travail mais aussi diriger ses énergies plus spécifiquement vers les médias indépendants et dissidents nuisibles – avec comme cible prioritaire Grayzone, qui a joué un rôle essentiel dans la dénonciation de l’Integrity Initiative.
« L’ami » de Mason – le chef du CDMD, Andy Pryce – « figurait en bonne place » dans les documents relatifs à l’Integrity Initiative, observe Grayzone.
Ce contexte n’est pas perdu pour Mason. Il note dans sa correspondance le danger que son complot visant à “déplateformer” les médias indépendants puisse “se retrouver avec le même problème que Statecraft” — référence à l’Institute of Statecraft, organisation caritative mère de l’Integrity Initiative, que Grayzone et d’autres ont dénoncé. Il met en garde : “L’opposition n’est pas stupide, elle peut repérer une opération d’information — donc plus c’est conçu pour être organique, mieux c’est.”
Pryce et Mason discutent de la création d’une organisation de la société civile Astroturf qui mènerait leur « guerre de l’information » dans le cadre d’une opération qu’ils appellent la « Brigade internationale de l’information ».
Mason suggère la suspension des lois sur la diffamation pour ce qu’il appelle les “agents étrangers” — ce qui signifie vraisemblablement que la Brigade de l’information serait en mesure de diffamer les journalistes indépendants en tant qu’agents russes, faisant écho au traitement d’Assange par les médias de l’establishment, sans crainte de poursuites judiciaires qui montreraient il s’agissait d’accusations sans preuves.
“Infosphère de Poutine”
Une autre correspondante, Emma Briant, universitaire qui prétend se spécialiser dans la désinformation russe, offre un aperçu de la façon dont elle définit l’ennemi présumé à l’intérieur : les “proches de WikiLeaks”, quiconque “trolle Carole [Cadwalladr]”, et les médias « décourageant les gens de lire le Guardian ».
Mason lui-même produit un tableau en toile d’araignée époustouflant et dessiné par lui-même de la soi-disant « infosphère pro-Poutine » au Royaume-Uni, embrassant une grande partie de la gauche, y compris Corbyn, le mouvement Stop the War, ainsi que les communautés noires et musulmanes. Plusieurs sites de médias sont mentionnés, dont MintPress et Novara Media, site web britannique indépendant sympathisant avec Corbyn.
Khan et Mason réfléchissent à la manière dont ils peuvent aider à déclencher une enquête du gouvernement britannique sur les médias indépendants afin qu’ils puissent être étiquetés comme “médias affiliés à l’État russe” afin de les invisibiliser davantage sur les réseaux sociaux.
Mason déclare que l’objectif est d’empêcher l’émergence d’une “identité de gauche anti-impérialiste”, qui, craint-il, “sera attractive parce que le libéralisme ne sait pas comment la contrer” — un aveu révélateur de ce qu’il croit au sujet des critiques émanant de la gauche authentique sur la politique étrangère occidentale, qui ne peuvent être traitées par une réfutation publique, mais uniquement par des campagnes secrètes de désinformation.
Il appelle à des efforts pour réprimer non seulement les médias indépendants et les universitaires « voyous », mais aussi l’activisme politique de gauche. Il identifie Corbyn comme une menace particulière, qui a déjà été lésé par une série de campagnes de désinformation, y compris des affirmations sans fondement selon lesquelles le Parti travailliste est devenu pendant son mandat un foyer d’antisémitisme. Mason craint que Corbyn ne crée un nouveau parti de gauche indépendant. Il est important, note Mason, de « mettre en quarantaine » et de « stigmatiser » une telle idéologie.
En bref, plutôt que d’utiliser le journalisme pour gagner l’argument et la bataille de l’opinion publique, Mason souhaite utiliser les arts sombres de la Sécurité nationale pour nuire aux médias indépendants, ainsi qu’aux universitaires dissidents et à l’activisme politique de gauche. Il ne veut aucune influence sur le public qui ne soit pas étroitement alignée sur les objectifs fondamentaux de la politique étrangère de l’État profond.
La correspondance de Mason fait allusion à la réalité derrière l’affirmation de Cadwalladr selon laquelle Assange était le “vortex tourbillonnant au centre de tout”. Assange symbolise ce “vortex tourbillonnant” pour les journalistes de l’establishment alignés sur le renseignement uniquement parce que WikiLeaks a publié de nombreuses informations exclusives qui exposent les revendications occidentales au leadership moral mondial comme une mascarade complète — et les journalistes qui amplifient ces revendications comme de purs charlatans.
Dans une deuxième partie (à venir), Jonathan Cook examinera pourquoi des journalistes comme Mason et Cadwalladr prospèrent dans les médias de l’establishment ; la longue histoire de collusion entre les agences de renseignement occidentales et les médias de l’establishment ; et comment cette collusion mutuellement bénéfique devient de plus en plus importante pour chacun d’eux.
Jonathan Cook est un contributeur de MintPress. Cook a remporté le prix spécial Martha Gellhorn de journalisme. Ses derniers livres sont Israel and the Clash of Civilisations: Iraq, Iran and the Plan to Remake the Middle East (Pluto Press) et Disappearing Palestine: Israel’s Experiments in Human Despair (Zed Books). Son site web : www.jonathan-cook.net
Source : mintpressnews.com. Traduction : Ojim. Si cette traduction vous a plu et que vous trouvez le travail de l’Ojim utile, n’hésitez pas à faire un don (défiscalisé) !
Tous les dons sont éligibles à un reçu fiscal de 66% du montant du don. Les dons égaux ou supérieurs à 50€ permettent de recevoir une des brochures dédicacées de l’Ojim. Les dons à partir de 100€ reçoivent le livre Viktor Orbán, les raisons d’une victoire.