Le Jobbik hongrois était au début des années 2010 sans doute le parti nationaliste le plus radical en Europe. Depuis au moins les élections législatives de 2018 — et totalement aux élections d’avril 2022 — le Jobbik fait partie du front commun anti-Orbán. Suite à l’échec cuisant de cette stratégie d’union contre la coalition Fidesz-KDNP au pouvoir depuis 2010 en Hongrie, le Jobbik vacille. Son président vient d’être limogé et ses médias sont vidés de leurs effectifs. Éclairage sur les médias de ce parti retourné au profit des libéraux pro-UE et quelques rappels utiles sur le paysage médiatique hongrois.
Rappels pour mieux comprendre la situation
Parmi les griefs adressés à la Hongrie de Viktor Orbán, celui d’atteinte à la liberté de la presse et des médias figure en bonne place. Cette critique participe du malaise que suscitent les positions et la politique de la Hongrie dans les milieux progressistes occidentaux, mais elle procède tout autant d’une incompréhension de la particularité du secteur des médias en Hongrie, et plus largement dans l’ensemble des pays post-communistes.
En Hongrie, le paysage médiatique est très polarisé. Deux blocs irréconciliables s’affrontent et proposent des visions divergentes de l’actualité politique. L’un des deux blocs est pro-gouvernemental, l’autre anti-Orbán, pro-Bruxelles et libéral libertaire progressiste. Le ton avec lequel s’expriment ces deux blocs est très libre et orienté : les médias proches de la coalition au pouvoir sont sans arrêt d’une grande dureté avec l’opposition pro-Bruxelles, alors que les médias progressistes, qui aiment se qualifier d’« indépendants », ne ratent jamais une occasion d’attaquer frontalement la politique gouvernementale.
Jusqu’à son retournement au profit des forces pro-UE, le Jobbik représentait une troisième voie, et disposait d’une assise médiatique relative pour en faire la promotion. Une partie de ces médias ont depuis disparu, mais certains ont survécu au virage centriste du parti. Le Jobbik ayant rempli sa fonction de voiture-balai des forces libérales à deux reprises — sans succès —, il risque de peiner à se positionner et à montrer une quelconque utilité dans le paysage politique hongrois. Ses médias paient déjà les frais de cette déconfiture électorale et de tous les renoncements politiques.
Vague de licenciements chez Alfahír et N1TV
Gérés par une fondation sous le contrôle du Jobbik, les rédactions du site d’information Alfahír et de la chaîne N1TV seront réduites au minimum syndical et comporteront chacune quatre personnes à l’avenir, alors qu’elles étaient composées respectivement d’une douzaine de salariés auparavant. Selon les informations du site d’opposition Radio Free Europe, des collaborateurs des médias proches du Jobbik ont été notifiés de leur licenciement par SMS, alors que le contrat de location des locaux occupés par Alfahír et N1TV ont été résiliés par ces médias.
L’ancien directeur de la communication du Jobbik, Ferenc Béres, a été chargé de mener à bien cette transition de la fondation médiatique, un virage officiellement pris pour raisons financières. Les finances du parti sont pourtant à l’équilibre et le Jobbik dispose de dix députés Jobbik au Parlement, donc d’une manne à mobiliser. Bien plus qu’un simple serrage de ceinture, il s’agit en réalité plutôt d’une clarification de la situation politique du Jobbik.
En Hongrie, les rapports de force médiatiques découlent des rapports de force politiques. Le Jobbik ne représente plus aucune perspective sur l’échiquier politique hongrois, sa ligne n’est pas identifiable et ses cadres se sont tous compromis dans leur aventure avec la gauche libérale. Il n’a plus d’avenir, et donc, mécaniquement, ses médias dépérissent. L’élection de 2022 a d’ailleurs modifié les rapports de force politique hongrois.
Adieu Jobbik, bonjour Mi Hazánk
Le parti nationaliste Mi Hazánk (Notre Patrie) est issu d’une scission du Jobbik en 2018. Il a sur bon nombre de sujets les mêmes positions que le Jobbik radical d’antan ; et il s’est habilement positionné sur la question sanitaire, s’opposant aux mesures de restriction prises par le gouvernement.
Son slogan de campagne « Assez de la dictature du Covid ! » a failli se faire voler la vedette par l’importance médiatique prise par la guerre russo-ukrainienne, mais Mi Hazánk a malgré tout su franchir la barre des 5% aux élections législatives du 3 avril et a envoyé six députés au Parlement. Indéniablement, ce parti a le vent en poupe, sa surface médiatique augmente, ses thèmes sont de plus en plus repris.
À ce stade, difficile à dire si cet élan se traduira par un poids politique de Mi Hazánk plus important à l’avenir (élections municipales et européennes en 2024). Il est en revanche certain que ses activités médiatiques vont se développer. Les premiers deniers dus à sa présence au Parlement commencent à tomber, et le parti devrait faire fructifier son média, le site Magyar Jelen (Présent hongrois), et augmenter la présence de son président László Toroczkai sur les réseaux sociaux. Logique, mais pas évident. Ayant beaucoup de succès sur YouTube (plusieurs vidéos dépassant le demi-million de vues, énorme pour la Hongrie), László Toroczkai est en revanche banni de Facebook.
Qui est véritablement censuré en Hongrie ?
Certainement pas les médias de gauche libérale hostiles à Viktor Orbán ! Ils sont libres d’agir, et certains d’entre eux sont véhéments, tout en étant ouvertement liés aux institutions européennes et à des grands médias occidentaux, d’autres sont lancés sans entrave et à la vitesse éclair et continuent de prospérer. La critique du gouvernement hongrois est quotidienne et vigoureuse, et il n’existe pas en Hongrie de volonté d’étouffer ces voix discordantes. Dans son discours à la CPAC Hungary en mai 2022, le Premier minisre hongrois a d’ailleurs expliqué qu’être l’objet de critiques était une des preuves de la réussite en politique.
La censure sur les réseaux sociaux n’a jusqu’à présent jamais touché des contenus relayés par des médias et des personnalités politiques de l’opposition hongroise, mais au contraire peut toucher des proches du gouvernement. La force politique la plus censurée par les GAFAM est de loin le mouvement Mi Hazánk. Le dernier exemple en date étant la suppression de sa page Facebook peu de temps avant les élections d’avril 2022, dans le silence général de la bonne conscience médiatique et des officines occidentales si promptes à condamner la Hongrie.
Fait amusant : il existe un cas de censure par YouTube d’un média de gauche hongrois, la chaîne en ligne Partizan (près de 300 000 abonnés ; énorme dans un pays de moins de 10 millions d’habitants). Une vidéo de cette chaîne a en effet été censurée par le géant américain, non pas pour avoir franchi les limites de la doxa admise par les GAFAM, mais pour avoir diffusé des images d’un mouvement proche de Mi Hazánk, le HVIM (Mouvement de jeunesse des soixante-quatre comitats), qui avait lui aussi fait l’objet d’une censure par le passé. La boucle est bouclée.