Depuis le 22 juin 2022, Le Point est pris dans la tourmente après avoir publié une fausse information sur Raquel Garrido et Alexis Corbière. Très vite, l’auteur de l’article, Aziz Zemouri, a été mis à pied et licencié. Une réaction logique, mais tardive quand on se plonge dans le parcours du reporter.
Femme de ménage employée au noir
L’histoire a fait les unes de la presse. Raquel Garrido et Alexis Corbière emploieraient une femme de ménage sans papiers de manière illégale. Très vite démentie par les intéressés, l’information se révèle rapidement être une fumisterie. Pourtant, comme l’explique Mediapart, des vérifications banales auraient pu éviter le ridicule au Point. Vérifier les dates, les âges, les adresses, autant de précautions que ne semble pas avoir pris Aziz Zemouri avant de publier son article et malgré ses trente ans d’expérience. La question se pose : erreurs ou malveillances ?
Lagarde au coin de l’élection
Le 28 juin, Zemouri porte plainte contre Jean-Christophe Lagarde pour « abus de confiance ». Il porte également plainte contre un certain Anouar Bouhadjela, connu sous le nom de « Noam Aanouar », ancien agent du renseignement. Zemouri estime alors avoir été manipulé par les deux personnes. De son côté, Raquel Garrido estime possible qu’il s’agisse d’un coup monté par Jean-Christophe Lagarde afin de lui nuire dans l’entre-deux-tours des législatives. Manque de chance, l’article a été publié après. Mais l’hypothèse reste plausible au vu du CV d’Anouar, qui a admis dans une vidéo postée sur Facebook avoir servi d’informateur de Zemouri, citant Jean-Chrisophe Lagarde comme source. Si l’homme est proche de l’UDI et de son patron, Jean-Christophe Lagarde, il se déclare aussi proche des Insoumis. Plus tard, il prétendra même être tombé dans un complot de « policiers d’extrême droite afin de nuire au député Corbière » ! Chacun se renvoie la balle afin de ne pas endosser la responsabilité de ce faux grossier.
Cette histoire déconcertante pose questions. Comment un journaliste du Point, auparavant employé au Figaro, a‑t-il pu se laisser manipuler par un député et un ex-policier ? Comment la rédaction du Point a pu publier cette information sans chercher à contacter les deux mis en cause ? Mais il y a une autre question qui se pose à l’étude du passé de Zemouri : comment est-ce possible qu’il soit encore journaliste ?
Déjà en 2018
Si Étienne Gernelle, le directeur du Point, évoque un « double enfumage interne et externe », la condamnation le 28 juin 2022, soit une semaine après la publication de l’affaire Garrido-Corbière, en diffamation par Sand Von Roy, une actrice qui accuse Luc Besson de viol, est venue enfoncer le clou. Dans un article datant de 2018, Zemouri relate une partie du procès-verbal d’un interrogatoire de Luc Besson. Seulement, selon les juges « Dans ce passage il est insinué que Sand Van Roy dépose des plaintes pour viol dépourvues de tout fondement. », ils poursuivent, « le journaliste semble prendre fait et cause pour Luc Besson » et concluent « Il y a lieu en conséquence de constater que la base factuelle relative à l’imputation est inexistante et, dès lors, que les prévenus seront déclarés coupables ».
Notons que cette condamnation dans cette affaire est la deuxième pour Le Point et Zemouri. En 2021, la justice avait sanctionné le reporter pour avoir qualifié l’actrice d’« ex call-girl ». Ajoutons enfin que ses articles au Point avaient valus à Zemouri trois autres condamnations. Une petite recherche montre toujours les mêmes manquements à la déontologie : des manquements dans les vérifications et à l’impartialité.
Mises en scène précédentes
Avant ces condamnations, Zemouri avait déjà fait parler de lui à la fin des années 1990. Il débute alors dans le milieu du journalisme. Il réalise pour l’émission La preuve par l’image, diffusée sur France 2, un reportage sur le trafic d’armes dans les banlieues. Seulement trois jours plus tard, l’émission est déprogrammée pour « des raisons déontologiques » (Libération, 5 octobre 1995) par Jean-Pierre Elkabbach, alors président de France Télévisions.
Le problème ? L’émission est accusée d’être une mise en scène orchestrée par Zemouri en personne. C’est Martine Aubry qui convoque la presse lors d’une conférence de presse, le 28 septembre 1995. Alors présidente de la fondation Agir contre l’exclusion, l’ancienne ministre du Travail présente alors le témoignage d’un jeune qui a servi d’intermédiaire à Zemouri et explique « Sur la demande d’Aziz Zemouri j’ai trouvé cinq ou six jeunes à la MJC de Créteil pour tourner les trois scènes pour un montant de 350 francs. Un ami d’Aziz Zemouri a fourni les fausses armes et nous avons tourné les séquences à Créteil » (Libération, 5 octobre 1995).
Zemouri se contentera de commenter : « Mon propos était de montrer que les jeunes possèdent bien des armes mais qu’il n’existe pas de trafic à grande échelle et encore moins des arsenaux cachés comme cela se dit de plus en plus. M’a-t-on montré des fausses armes ? Je n’en sais rien je ne suis pas expert » (Libération, 5 octobre 1995). Notre reporter ne semblait pas plus au courant que ça, ce qui ne l’empêche pas d’attaquer en diffamation Elkabbach et Aubry.
Condamnations antérieures
Outre ces bidonnages, notons quelques autres condamnations pour diffamation qu’ont écopées Zemouri et Le Point : ils sont condamnés en 1997 envers Jean-Claude Bourret, ancien président de la Cinq, suite à un article intitulé Où est passé l’agent de la Cinq ? coécrit avec Frédéric Dezert. En 2016, Patrick Pelloux fait condamner le journal Le Point après un article affirmant que le médecin urgentiste avait reçu 1,4 million d’euros en dédommagement après les attaques contre Charlie Hebdo.
Bien-pensance de rigueur
Sans surprise, Zemouri n’échappe pas à la bien-pensance ambiante dans une bonne partie du journalisme. En 2013, il accuse Elsa Vassent, pseudonyme de Mathilde Androuet (aujourd’hui eurodéputée RN), de faire chanter un cadre du RN avec des accusations d’attouchements sexuels sur mineur afin de grimper les échelons du RN. Dans le même article, Wallerand de Saint-Just, alors membre du bureau politique du FN, nie connaître ce genre de pratiques.
Dans un droit de réponse, la principale intéressée nie en bloc les accusations, tandis que Zemouri les maintient. Le silence de la presse sur ce point interroge. Seul Le Point – et pour cause – évoque cette histoire. Tout comme il est seul à accuser sans preuves Hervé Juvin, eurodéputé RN, de violences conjugales en 2019. Nous aurions pourtant pu nous attendre à ce que la presse rappelle ces faits, mais il s’agissait de parias lepénistes, indéfendables par définition. Dans la même optique, en plein confinement en avril 2020, Zemouri pense avoir mis la main sur une messe pascale clandestine en la paroisse Saint-Nicolas-du-Chardonney. Alors qu’il s’agissait d’une messe à huis clos retransmise en direct.
Enfin, admirons la diplomatie Zemourienne (notez bien qu’il n’y a qu’un m). En 2019, La lettre de l’audiovisuel dévoile des tensions au sein de la rédaction du Point. Zemouri n’aurait pas digéré qu’Alexandre Benalla, alors pris dans l’affaire de la contre-escarpe, ne fasse pas appel à lui pour un entretien exclusif. Sur Twitter, le proche de Macron dévoile des conversations où Zemouri lui explique qu’il fera tout pour « qu’il ne soit pas élu maire de Saint-Denis ».
C’est donc avec un tel CV qu’Aziz Zemouri exerçait encore au sein du journal Le Point jusqu’en juin 2022. Mais cette fois la cible était trop grosse et trop politiquement correcte pour que l’affaire passe inaperçue ; et elle touchait la France Insoumise et non le FN ou le RN. Un exemple qui laisse pensif sur l’état des rédactions en France, et nous laisse curieux de savoir ce qui permettait à Zemouri de sauver sa peau à chaque affaire. Enfin, une dernière question : où étaient les Décodeurs, Reichstadt, Mendès-France, et consort pour « fact-checker » les affabulations de Zemouri contre le FN/RN ? La réponse est dans la question.
Voir aussi : Rudy Reichstadt, portrait