Depuis l’été dernier, les révélations pleuvent sur le cabinet de conseil en communication, Avisa Partners, qui publie des dizaines d’articles de presse, parfois sous de faux profils.
C’est dans les colonnes de Fakir, le journal d’extrême gauche fondé par François Ruffin en 1999, qu’un rédacteur « qui fait des ménages dans la com », Julien Fomenta Rosat, confessait en juin dernier avoir été rémunéré durant plusieurs années pour écrire des articles que le cabinet lui commandait et qui étaient ensuite publiés dans divers médias sous pseudos, à qui on inventait parfois une biographie bidon. En six ans de collaboration avec cette agence, ce sont près de 595 articles qui se retrouvent dans les pages de certains gros titres de la presse nationale, des Échos au Huffington Post. Julien Fomenta Rosat écrivait sur « toutes les thématiques, certaines parfois dont je ne savais rien : énergie, politique internationale, nouvelles technologies, santé, économie – et j’en passe. Ce n’était pas du journalisme évidemment ». Et pour cause !
Leader des Chemises rouges…
Les articles écrits étaient le fruit d’une commande précise. La tonalité, l’angle, parfois le contenu, répondaient à un cahier des charges que Fomenta Rosat recevait par mail, l’un de ces mails étant dévoilé dans l’article de Fakir. Nous lisons, au sujet d’un article qu’il devait écrire sur l’intégration du Monténégro à l’OTAN : « il faut que l’article soit neutre et journalistique, tout en développant que le Monténégro est trop corrompu et victime de trop de crimes pour adhérer à l’OTAN. Ne pas parler de la Russie ». Signés par des journalistes fictifs, les articles étaient parfois associés à des personnes réelles. Ainsi, une tribune publiée sur le site de l’Express, écrite par Julien Fomenta Rosat, se retrouva signée par l’écrivain et militant des droits de l’homme thaïlandais Jaran Ditapichai, l’un des meneurs des chemises rouges en exil à Paris…
Promouvoir les compteurs Linky
Le témoignage tombe à point nommé pour la rédaction de Médiapart, qui enquête depuis quelque temps sur Avisa Partners. Cette enquête révèle un système de lobbying par le biais d’articles de presse. Le cas de Fomenta Rosat n’est pas isolé. Ce sont des dizaines de rédacteurs qui planchent sur des sujets variés. Un jour il s’agit de promouvoir les compteurs Linky, un autre de faire de la désinformation relative à un incendie dans la centrale de Flamanville en Normandie. Les clients du cabinet profitent de ce système pour agrandir leur notoriété et peser sur les débats publics ; parmi ces clients se trouvent la commission européenne, LVMH ou encore la Société Générale. Ces rédacteurs fantômes ciblent les espaces participatifs de certains sites d’informations tels que Le Club de Médiapart, où plus de 600 billets seront mis en ligne par des rédacteurs du cabinet.
1000 articles en un mois !
L’affaire prend une autre ampleur lorsque Médiapart publie son enquête. D’autres rédactions se penchent sur l’affaire, à l’instar de Marianne. Dans des documents que la rédaction a consultés, le cabinet se targue d’avoir publié près de 1000 billets, articles ou tribunes en un seul mois. C’est un vaste système qui est mis en place afin de promouvoir les clients du cabinet. Certaines rédactions publient sur ce scandale et s’attirent les foudres du cabinet, qui leur enjoint de retirer dans les 48 heures l’article les incriminant, sous peine de se lancer dans une procédure coûteuse. Une intimidation visant à bâillonner certains sites de petite taille, tels que Le Miroir du Nord, qui a retiré son article après une mise en demeure. D’autres sites ont subi ce procédé : Arrêt sur images, Médiapart ou encore Reflets.
Usurpation d’identité ?
La ligne de défense du cabinet consiste à dire : « nous n’avons pas publié de fausses informations ». En effet, il n’y a pas que des fausses informations publiées par les rédacteurs mandatés par le cabinet. En revanche, ces articles étaient publiés sous pseudo mais prenaient aussi parfois l’identité d’une vraie personne. Or, comme le souligne Le Journal du Net, l’article 226–4‑1 du Code pénal dispose que l’usurpation d’une photo d’identité pour compléter un profil est puni de 15 000 euros d’amende et d’un an d’emprisonnement.
Si cet intérêt de la presse pour les agissements du cabinet peut paraître salvateur, ces faits étaient pourtant révélés dès 2013, soit neuf ans avant le témoignage publié sur Fakir, par le Journal du Net. Des faits connus qui n’ont pas empêché certains gros sites, ainsi que des blogs participatifs, d’accueillir les articles issus de ce cabinet. De quoi se poser la question de la faille des modérations, mais aussi du contrôle des articles avant publication. Une question que pourraient se poser les fact-checkeurs…
Des liens entre le cabinet et le gouvernement
L’affaire a pris une autre tournure lorsque certains journaux, dont Le Miroir du Nord, ont mis en évidence les liens entre ce cabinet et Olivia Grégoire, ancienne porte-parole du gouvernement et ministre déléguée chargée des Petites et Moyennes Entreprises, du Commerce, de l’Artisanat et du Tourisme depuis le 4 juillet 2022. Cette dernière a en effet travaillé dans le « cabinet d’intelligence économique » iStrat, ancêtre d’Avisa Partners, en tant que directrice associée, de 2013 à 2014. Si elle nie toute implication dans l’affaire, selon CheckNews, la cellule de fact-checking de Libération, Olivia Grégoire aurait pleinement participé à ces opérations de lobbying journalistique. D’anciens employés témoignent : « Son bureau était dans la même pièce que celui de Matthieu Creux [le patron d’iStrat], en face de l’open space dans lequel travaillait le reste de l’équipe, qui comptait alors seulement une quinzaine de personnes. Il y avait donc une communication permanente entre tous et sur tous les sujets relatifs à ses clients. Tenter de faire croire qu’elle n’était pas au courant de ce qui se faisait est donc une plaisanterie, pour ne pas dire un gros mensonge très peu crédible ». Si la ministre affirme avoir quitté la firme en 2014 après avoir pris conscience d’un problème éthique, ce témoignage met du plomb dans l’aile à cette version. D’autres sources, citées par Libération, mettent plutôt ce départ sur le compte d’une volonté d’Olivia Grégoire de créer son propre cabinet de conseil en communication.
Quoi qu’il en soit, ce phénomène n’a rien de surprenant, à une époque où le copinage entre les médias, la politique et le « business » sont légion. La question est alors de savoir combien d’autres cabinets comme Avisa Partners existent et quelle est leur influence…