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Avisa Partners : quand la communication se fait passer pour du journalisme

22 octobre 2022

Temps de lecture : 6 minutes
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Avisa Partners : quand la communication se fait passer pour du journalisme

Temps de lecture : 6 minutes

Depuis l’été dernier, les révélations pleuvent sur le cabinet de conseil en communication, Avisa Partners, qui publie des dizaines d’articles de presse, parfois sous de faux profils.

C’est dans les colonnes de Fakir, le jour­nal d’ex­trême gauche fondé par François Ruf­fin en 1999, qu’un rédac­teur « qui fait des ménages dans la com », Julien Fomen­ta Rosat, con­fes­sait en juin dernier avoir été rémunéré durant plusieurs années pour écrire des arti­cles que le cab­i­net lui com­mandait et qui étaient ensuite pub­liés dans divers médias sous pseu­dos, à qui on inven­tait par­fois une biogra­phie bidon. En six ans de col­lab­o­ra­tion avec cette agence, ce sont près de 595 arti­cles qui se retrou­vent dans les pages de cer­tains gros titres de la presse nationale, des Échos au Huff­in­g­ton Post. Julien Fomen­ta Rosat écrivait sur « toutes les thé­ma­tiques, cer­taines par­fois dont je ne savais rien : énergie, poli­tique inter­na­tionale, nou­velles tech­nolo­gies, san­té, économie – et j’en passe. Ce n’é­tait pas du jour­nal­isme évidem­ment ». Et pour cause !

Leader des Chemises rouges…

Les arti­cles écrits étaient le fruit d’une com­mande pré­cise. La tonal­ité, l’an­gle, par­fois le con­tenu, répondaient à un cahi­er des charges que Fomen­ta Rosat rece­vait par mail, l’un de ces mails étant dévoilé dans l’article de Fakir. Nous lisons, au sujet d’un arti­cle qu’il devait écrire sur l’in­té­gra­tion du Mon­téné­gro à l’OTAN : « il faut que l’ar­ti­cle soit neu­tre et jour­nal­is­tique, tout en dévelop­pant que le Mon­téné­gro est trop cor­rompu et vic­time de trop de crimes pour adhér­er à l’OTAN. Ne pas par­ler de la Russie ». Signés par des jour­nal­istes fic­tifs, les arti­cles étaient par­fois asso­ciés à des per­son­nes réelles. Ain­si, une tri­bune pub­liée sur le site de l’Ex­press, écrite par Julien Fomen­ta Rosat, se retrou­va signée par l’écrivain et mil­i­tant des droits de l’homme thaï­landais Jaran Ditapichai, l’un des meneurs des chemis­es rouges en exil à Paris…

Promouvoir les compteurs Linky

Le témoignage tombe à point nom­mé pour la rédac­tion de Médi­a­part, qui enquête depuis quelque temps sur Avisa Part­ners. Cette enquête révèle un sys­tème de lob­by­ing par le biais d’ar­ti­cles de presse. Le cas de Fomen­ta Rosat n’est pas isolé. Ce sont des dizaines de rédac­teurs qui planchent sur des sujets var­iés. Un jour il s’ag­it de pro­mou­voir les comp­teurs Linky, un autre de faire de la dés­in­for­ma­tion rel­a­tive à un incendie dans la cen­trale de Fla­manville en Nor­mandie. Les clients du cab­i­net prof­i­tent de ce sys­tème pour agrandir leur notoriété et peser sur les débats publics ; par­mi ces clients se trou­vent la com­mis­sion européenne, LVMH ou encore la Société Générale. Ces rédac­teurs fan­tômes ciblent les espaces par­tic­i­pat­ifs de cer­tains sites d’in­for­ma­tions tels que Le Club de Médi­a­part, où plus de 600 bil­lets seront mis en ligne par des rédac­teurs du cabinet.

1000 articles en un mois !

L’af­faire prend une autre ampleur lorsque Médi­a­part pub­lie son enquête. D’autres rédac­tions se penchent sur l’af­faire, à l’in­star de Mar­i­anne. Dans des doc­u­ments que la rédac­tion a con­sultés, le cab­i­net se tar­gue d’avoir pub­lié près de 1000 bil­lets, arti­cles ou tri­bunes en un seul mois. C’est un vaste sys­tème qui est mis en place afin de pro­mou­voir les clients du cab­i­net. Cer­taines rédac­tions pub­lient sur ce scan­dale et s’at­tirent les foudres du cab­i­net, qui leur enjoint de retir­er dans les 48 heures l’ar­ti­cle les incrim­i­nant, sous peine de se lancer dans une procé­dure coû­teuse. Une intim­i­da­tion visant à bâil­lon­ner cer­tains sites de petite taille, tels que Le Miroir du Nord, qui a retiré son arti­cle après une mise en demeure. D’autres sites ont subi ce procédé : Arrêt sur images, Médi­a­part ou encore Reflets.

Usurpation d’identité ?

La ligne de défense du cab­i­net con­siste à dire : « nous n’avons pas pub­lié de fauss­es infor­ma­tions ». En effet, il n’y a pas que des fauss­es infor­ma­tions pub­liées par les rédac­teurs man­datés par le cab­i­net. En revanche, ces arti­cles étaient pub­liés sous pseu­do mais pre­naient aus­si par­fois l’i­den­tité d’une vraie per­son­ne. Or, comme le souligne Le Jour­nal du Net, l’ar­ti­cle 226–4‑1 du Code pénal dis­pose que l’usurpa­tion d’une pho­to d’i­den­tité pour com­pléter un pro­fil est puni de 15 000 euros d’a­mende et d’un an d’emprisonnement.

Si cet intérêt de la presse pour les agisse­ments du cab­i­net peut paraître sal­va­teur, ces faits étaient pour­tant révélés dès 2013, soit neuf ans avant le témoignage pub­lié sur Fakir, par le Jour­nal du Net. Des faits con­nus qui n’ont pas empêché cer­tains gros sites, ain­si que des blogs par­tic­i­pat­ifs, d’ac­cueil­lir les arti­cles issus de ce cab­i­net. De quoi se pos­er la ques­tion de la faille des mod­éra­tions, mais aus­si du con­trôle des arti­cles avant pub­li­ca­tion. Une ques­tion que pour­raient se pos­er les fact-checkeurs…

Des liens entre le cabinet et le gouvernement

L’af­faire a pris une autre tour­nure lorsque cer­tains jour­naux, dont Le Miroir du Nord, ont mis en évi­dence les liens entre ce cab­i­net et Olivia Gré­goire, anci­enne porte-parole du gou­verne­ment et min­istre déléguée chargée des Petites et Moyennes Entre­pris­es, du Com­merce, de l’Ar­ti­sanat et du Tourisme depuis le 4 juil­let 2022. Cette dernière a en effet tra­vail­lé dans le « cab­i­net d’intelligence économique » iStrat, ancêtre d’Av­isa Part­ners, en tant que direc­trice asso­ciée, de 2013 à 2014. Si elle nie toute impli­ca­tion dans l’af­faire, selon Check­News, la cel­lule de fact-check­ing de Libéra­tion, Olivia Gré­goire aurait pleine­ment par­ticipé à ces opéra­tions de lob­by­ing jour­nal­is­tique. D’an­ciens employés témoignent : « Son bureau était dans la même pièce que celui de Matthieu Creux [le patron d’iS­trat], en face de l’open space dans lequel tra­vail­lait le reste de l’équipe, qui comp­tait alors seule­ment une quin­zaine de per­son­nes. Il y avait donc une com­mu­ni­ca­tion per­ma­nente entre tous et sur tous les sujets relat­ifs à ses clients. Ten­ter de faire croire qu’elle n’é­tait pas au courant de ce qui se fai­sait est donc une plaisan­terie, pour ne pas dire un gros men­songe très peu crédi­ble ». Si la min­istre affirme avoir quit­té la firme en 2014 après avoir pris con­science d’un prob­lème éthique, ce témoignage met du plomb dans l’aile à cette ver­sion. D’autres sources, citées par Libéra­tion, met­tent plutôt ce départ sur le compte d’une volon­té d’O­livia Gré­goire de créer son pro­pre cab­i­net de con­seil en communication.

Quoi qu’il en soit, ce phénomène n’a rien de sur­prenant, à une époque où le copinage entre les médias, la poli­tique et le « busi­ness » sont légion. La ques­tion est alors de savoir com­bi­en d’autres cab­i­nets comme Avisa Part­ners exis­tent et quelle est leur influence…

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