Dans un environnement médiatique et culturel en renouvellement permanent, les plateformes de streaming se sont taillées une belle part du gâteau en quelques années. Un succès qui pourrait s’effriter à la faveur de l’éclatement des pratiques en matière de consommation numérique.
Le succès du McDonald de l’audio-visuel
Depuis plusieurs années, les plateformes de streaming (vidéo à la demande) ont pris une place centrale dans le paysage culturel numérique. A travers des séries mais aussi des documentaires et la diffusion d’évènements sportifs et culturels, Netflix, Disney+ ou encore Amazon Prime sont devenus incontournables.
L’ascension fulgurante et le décor qui entoure le géant américain Netflix a été résumé dans une brochure de l’OJIM : L’empire Netflix, l’emprise du divertissement. Prolongement de l’esprit de la télévision qui consiste à choisir le programme que l’on veut quand l’on veut, le concept a rapidement trouvé un écho dans un société avide de zapper en permanence. Alliant les lubies « wokes » au management libéral, le phénomène Netflix a connu un premier à‑coup dans son développement. Les explications à ce coup d’arrêt sont nombreuses : effet plafond, concurrence, lassitude… Une cause semble cependant avoir été négligée : l’attrait des 15–24 ans pour des contenus plus courts.
Toujours plus courts, toujours plus simples
Ce segment d’âge abandonnerait ainsi ces services vidéo par abonnement. Le baromètre SVoD Médiamétrie / Harris Interactive estime ainsi qu’au troisième trimestre 2022, les plateformes ont perdu 400 000 abonnés dans cette tranche d’âge par rapport à l’exercice précédent et 800 000 de moins qu’en 2020. Parallèlement le nombre de consommateurs des plateformes de plus de 50 ans a progressé de 52 % entre 2020 et 2022. Cette tranche d’âge étant très dense en Occident, elle pourrait à moyen terme être l’assurance vie de ces plateformes. Une tendance qu’évoquait Le Figaro en août 2022 avec « l’infidélité » de la clientèle des plateformes. Le phénomène n’est pas vraiment étonnant, à considérer que ces plateformes font l’apologie de mœurs libérale et prône une société du choix permanent et de la libre concurrence.
Si les plateformes n’ont plus la cote chez la « génération Z », en revanche Youtube (ici dans sa version Shorts) et TikTok font un tabac. Au Royaume-Uni, les jeunes passeraient aujourd’hui plus de temps sur le réseau social chinois que devant la télévision, on parle de 57 minutes quotidiennes.
Les formats proposés ont pour particularité d’être très courts et d’éviter toute forme de stimulation intellectuelle tout en permettant l’insertion furtive de contenue publicitaire. Un format bref que tente de s’accaparer la concurrence, notamment Snapchat avec Spotlight, Youtube a lancé Shorts et Instagram a de son côté expérimenté Reels. Une lame de fond qu’il sera difficile de contrer ; la force des contenus courts est d’être créés par ceux-là même qui les consomment et demandent donc un investissement minimum en comparaison à celui des séries et autres droits de diffusion. Si les méfaits de la télévision consommée en grande quantité sont connus, ceux des applications de contenus instantanés commencent à faire l’objet d’étude… Et évidemment de récupération commerciale sur fond d’industrie de la santé.
La fracture numérique verticale et horizontale
A défaut d’éliminer les plateformes de streaming, les applications, appuyées sur des formats d’échanges très courts, diversifient les canaux de diffusion culturels et médiatiques. Elles participent du remodelage du marché numérique. On parle d’ordinaire de fracture numérique en évoquant les populations qui n’auraient pas accès à internet faute de compétence technique, d’appétence pour l’outil mais aussi par incapacité d’accès pour des raisons géographiques et financières. Cette fracture que l’on qualifiera de verticale, semble aujourd’hui se doubler d’une fracture horizontale. Cette dernière s’opère entre des usages différenciés des outils numériques et se fonde souvent sur des clivages générationnels (TikTok pour les jeunes, la télévision pour les plus âgés) mais peut aussi refléter des disparités sociales (usage de LinkedIn pour les CSP+).
Au-delà de la vie et de la mort des plateformes, des moyens de diffusion ou des médias, cette rupture générationnelle et sociale participe de l’émiettement des sociétés numérisées, des sociétés où l’on ne se parle plus et dans lesquelles il sera de plus en plus difficile de se comprendre…