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<span class="dquo">«</span> Immigration, idéologie et souci de la vérité » : retour sur un essai passé inaperçu

5 novembre 2022

Temps de lecture : 4 minutes
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« Immigration, idéologie et souci de la vérité » : retour sur un essai passé inaperçu

Temps de lecture : 4 minutes

En janvier 2022 paraissait un essai écrit par la démographe Michèle Tribalat intitulé « Immigration, idéologie et souci de la vérité ». Il est passé relativement inaperçu, sans doute en raison de l’actualité du moment (campagne électorale, etc.). L’OJIM revient sur l’ouvrage de celle qui s’est éloignée de la doxa dominante dans le petit milieu des spécialistes de l’immigration. C’est un appel à la vigilance sur ce qui se dit dans les médias à ce sujet que lance de façon salutaire Michèle Tribalat.

40 ans de recherches

Michèle Trib­al­at décrit de la façon suiv­ante son activ­ité pro­fes­sion­nelle passée dans l’essai que les édi­tions L’Artilleur ont pub­lié en début d’année 2022 : « le domaine de la recherche (…) pen­dant près de 40 ans à l’INED, la démo­gra­phie et plus par­ti­c­ulière­ment l’immigration étrangère ».

La ques­tion des sta­tis­tiques eth­niques a forte­ment opposé Michèle Trib­al­at à un autre démo­graphe, Hervé Le Bras, comme le relatait un arti­cle du Monde du 6 novem­bre 1998. Cela n’a pas été sans con­séquences. Eugénie Bastié soulig­nait dans un arti­cle du Figaro du 21 décem­bre 2018 que Michèle Trib­al­at, comme Stéphane Guil­luy et Stephen Smith, se sont vus « mar­gin­al­isés par l’université lorsqu’ils touchent à des thèmes comme l’islam et l’immigration. On reproche à leurs thès­es de “faire le jeu” des dis­cours poli­tiques d’extrême droite. Ils répon­dent qu’on s’attache à réduire leur légitim­ité plutôt qu’à con­tredire leurs argu­ments ». « Immi­gra­tion, idéolo­gie et souci de la vérité » est le douz­ième ouvrage que la démo­graphe a écrit ou auquel elle a apporté sa contribution.

Une chape de plomb…

Dans un arti­cle pub­lié en févri­er 2020, l’OJIM soulig­nait, avec de nom­breux exem­ples à l’appui, qu’une véri­ta­ble chape de plomb était posée sur la ques­tion de l’immigration dans les médias cen­traux, avec d’un côté des spé­cial­istes ortho­dox­es, omniprésents dans les inter­views don­nées sur la ques­tion, et les spé­cial­istes hétéro­dox­es, relégués aux médias alter­nat­ifs et à la presse d’opinion classée à droite.

De fait, Michèle Trib­al­at donne fréquem­ment des inter­views à Atlanti­co, au  Figaro, à Causeur, etc. Celle qui ne tra­vaille plus à l’Institut Nation­al d’Etudes Démo­graphiques tient égale­ment un blog dont l’une des rubriques est présen­tée comme visant à « relever les erreurs sta­tis­tiques propagées par les élus ou le gou­verne­ment, sans avoir for­cé­ment une mau­vaise inten­tion, mais sou­vent par pure igno­rance des ordres de grandeurs de ce dont ils par­lent, lorsqu’il s’ag­it d’im­mi­gra­tion étrangère ».

Immigration, idéologie et souci de la vérité

L’ouvrage de Michèle Trib­al­at paru en jan­vi­er de cette année est une invi­ta­tion à la vig­i­lance à l’égard de la présen­ta­tion des phénomènes migra­toires par les jour­nal­istes, les « fact checkeurs », les poli­tiques et autres intel­lectuels. En cinq par­ties divisées en chapitres, la démo­graphe entre­prend de démon­ter à l’aide d’exemples des présen­ta­tions biaisées de sta­tis­tiques et d’arguments sur l’immigration. Michèle Trib­al­at prend le lecteur par la main en présen­tant tour à tour la pra­tique de la mino­ra­tion de l’immigration étrangère, la réfu­ta­tion « des per­cep­tions com­munes sur les effets démo­graphiques de l’immigration étrangère », les « approx­i­ma­tions au doigt mouil­lé », l’« arro­gance sur fond de décul­tur­a­tion tech­nique » et in fine les « bêtis­es proférées par des poli­tiques qui ignorent ce qu’ils ne savent pas ».

« Délégitimer les porteurs d’idées qui dérangent »

Les démon­stra­tions sur les erreurs de raison­nement et les présen­ta­tions tron­quées ne sont pas que péd­a­gogiques. Elles sont par­fois drôles, comme lorsque M. Trib­al­at souligne que Le Monde s’appuie sur François Héran pour cri­ti­quer l’essai de Stephen Smith sor­ti en 2018 « La ruée vers l’Europe », comme si celui-ci « représent(ait) à lui tout seul la démo­gra­phie ». La démo­graphe se mon­tre par­fois caus­tique, comme quand elle évoque les exer­ci­ces de debunk­age qui sont devenus si fréquents sur les chaines de télévi­sion et de radio : « tout ceci m’incline à penser que la pré­ten­tion du fact check­ing n’est pas tant d’y voir clair que de délégitimer les por­teurs d’idées qui dérangent ».

Le livre se con­clut par une mise en garde. Con­statant l’emprise idéologique crois­sante dans l’enseignement et la recherche, M. Trib­al­at souligne que « si rien n’est fait pour val­oris­er le plu­ral­isme, l’uniformité de points de vue dans les milieux académiques devrait s’accroitre, lorsqu’arriveront ceux qui ont subi “plein pot” une forme d’endoctrinement lors de leur for­ma­tion sco­laire et uni­ver­si­taire ».

On a longtemps prêté à Win­ston Churchill la cita­tion : « Je ne crois aux sta­tis­tiques que lorsque je les ai moi-même fal­si­fiées ». Il s’agirait pour­tant d’une cita­tion apoc­ryphe, c’est à dire attribuée à une per­son­ne qui n’a jamais tenu les pro­pos rap­portés, ou alors les a exprimés sous une forme dif­férente. Nou­velle démon­stra­tion qu’il faut tou­jours pren­dre avec pru­dence les pro­pos rapportés…

Immi­gra­tion, idéolo­gie et souci de la vérité, Michèle Trib­al­at, éd. L’Artilleur, 2022

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